Le marché européen du carbone ne doit pas négliger l’avenir.
Depuis sa création en 2005, le système d’échange de quotas d’émission (SEQE) a permis de réduire les émissions des secteurs participants d’environ 50%. Près de 30% des émissions mondiales de CO2 sont couvertes par une forme ou une autre du système de tarification, générant plus de 100 milliards $ de recettes publiques chaque année.
La politique de tarification du carbone mise en œuvre par l’Union européenne suscite depuis longtemps un débat intense. Pour certains, il s’agit d’une expérience audacieuse visant à adapter les marchés aux limites de la planète ; pour d’autres, elle représente un fardeau supplémentaire pour des ménages et des entreprises déjà affectés par la hausse des prix de l’énergie.
Une réalité est cependant indéniable : le système d’échange de quotas d’émission (SEQE) de l’UE a permis de diminuer les émissions de dioxyde de carbone plus rapidement et à moindre coût que presque toutes les autres politiques climatiques. Il n’est plus question de savoir s’il faut attribuer un prix au carbone, mais de déterminer comment rendre le système plus équitable, efficace et résilient face aux vents politiques contraires. La crédibilité de l’Europe en matière de climat dépend de sa capacité à établir un juste équilibre entre ambition et pragmatisme économique.
Depuis sa création en 2005, le SEQE a favorisé d’importantes réductions des émissions, orientées par le marché. Les émissions du secteur électrique ont diminué, le charbon a été largement exclu, et les émissions des secteurs participant au système ont baissé d’environ 50 %. De plus, plusieurs milliards de dollars de recettes issues du SEQE ont été investis dans des technologies d’énergie propre.
Ainsi, ce qui a commencé comme un système expérimental de plafonnement et d’échange est devenu le plus grand marché du carbone au monde, en termes de revenus, tout en servant de modèle à plusieurs systèmes similaires, de Californie à la Chine. Aujourd’hui, près de 30 % des émissions mondiales de CO2 sont couvertes par un type quelconque de tarification, contre moins de 6 % il y a 20 ans, générant plus de 100 milliards de dollars de recettes publiques chaque année.
Une telle croissance engendre inéluctablement de nouveaux défis. À mesure que le SEQE s’étend à des secteurs comme les transports et le bâtiment, et que les quotas gratuits seront progressivement supprimés entre 2026 et 2034, l’augmentation des prix du carbone touchera plus directement les entreprises et les ménages. Ces réalités ne doivent pas être mises de côté, mais elles ne justifient pas l’abandon d’une politique qui a prouvé son efficacité. Il s’agit plutôt d’un ajustement prudent pour maintenir l’équité et la viabilité politique du système.
Bien que la tentation d’assouplir ou de suspendre la tarification du carbone en période de crise économique soit forte, un tournant politique radical nuirait à la confiance des investisseurs, accroîtrait l’incertitude et compromettrait la crédibilité de l’Europe en tant que leader climatique. La stabilité est le fondement de l’innovation à long terme, et la croissance des investissements européens dans les technologies propres en dépend.
L’objectif de la tarification du carbone n’est pas de pénaliser l’industrie. Elle vise à signaler que la pollution a un coût élevé, et à montrer que la rentabilité passe par une production plus écologique, permettant ainsi aux entreprises de suivre le chemin le plus efficace pour réduire leurs émissions, au lieu de se conformer à des obligations uniformes. Les recettes peuvent – et doivent – être réinvesties dans l’économie pour soutenir les entreprises et les ménages vulnérables durant la transition.
Le versement d’un « dividende climatique » aux ménages, financé par les recettes du SEQE, pourrait compenser la hausse des coûts de l’énergie et des transports, tout en renforçant la confiance du public. Un soutien ciblé, s’il aboutit à des gains mesurables en matière de décarbonation, pourrait faciliter la transition des industries concernées jusqu’à ce que des alternatives à faibles émissions de carbone deviennent viables, à condition que les dirigeants politiques évitent de soutenir des subventions nuisibles, justifiées par la nécessité d’améliorer la compétitivité.
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’UE, qui sera appliqué à partir de 2026, est un complément essentiel – bien que mal compris – au système d’échange de quotas d’émission. Il élargit la tarification du carbone aux importations d’acier, d’aluminium, de ciment, d’engrais, d’électricité et d’hydrogène, garantissant ainsi que les entreprises européennes ne soient pas mises en concurrence avec des rivales étrangères plus polluantes. Contrairement à ce que prétendent certains détracteurs de ce mécanisme, il ne s’agit pas de protectionnisme, mais de réalisme climatique.
Le MACF pourrait également catalyser une révolution discrète dans la politique climatique mondiale. En liant l’accès au plus vaste marché unique au monde à la transparence en matière de carbone, l’UE délivre un message clair : si vous souhaitez vendre chez nous, vous devez respecter les mêmes règles environnementales que nous. Plusieurs autres grandes économies, y compris les États-Unis, envisagent déjà une approche similaire, illustrant une reconnaissance croissante que la concurrence équitable et l’action climatique peuvent s’harmoniser.
Or, cette perspective même d’une convergence des systèmes de tarification du carbone au-delà des frontières est précisément la raison pour laquelle certains gouvernements et groupes industriels cherchent à entraver ou à fragmenter les échanges de quotas d’émission. Une tarification du carbone transparente et comparable menace en effet l’avantage concurrentiel des industries fortement polluantes.
L’UE ne doit pas laisser les pressions politiques définir le rythme ou l’orientation de sa transition énergétique. Cependant, il est essentiel que le MACF soit ajusté pour éviter que l’ambition ne se transforme en rigidité. Quatre mesures pourraient être envisagées pour y parvenir.
Tout d’abord, l’évaluation comparative des importations pourrait prévoir un allègement partiel pour les producteurs étrangers conformes aux normes européennes les plus strictes. Cette approche récompenserait la production respectueuse du climat, réduirait les tensions commerciales et permettrait à l’UE de maintenir des quotas gratuits pour les producteurs européens verts.
Ensuite, il est impératif que l’UE instaure des remises à l’exportation pour les entreprises européennes opérant sur des marchés n’ayant pas de tarification du carbone efficace. Pour faire avancer la lutte contre le changement climatique, les produits européens à faibles émissions doivent être compétitifs au niveau mondial.
La troisième priorité serait de simplifier et d’harmoniser les exigences de déclaration liées au MACF et aux autres politiques. Un MACF rationalisé pourrait remplacer un ensemble de règles hétérogènes par une tarification unique et claire du carbone pour la production nationale comme pour les biens importés, allégeant ainsi les formalités administratives et apportant davantage de clarté aux entreprises.
Enfin, il est crucial que le MACF soit mis en place progressivement, afin d’éviter de porter atteinte aux économies les plus pauvres et vulnérables du monde. L’UE pourrait même utiliser une partie des recettes du MACF pour aider ces pays à investir dans une production plus respectueuse de l’environnement. Loin d’affaiblir le système, cette démarche servirait son objectif de justice et de réciprocité concernant les coûts du carbone.
Il est nécessaire de comprendre que la résilience climatique et la compétitivité ne sont pas incompatibles. Le SEQE et le MACF ne sont pas des contraintes bureaucratiques, mais les fondations de l’économie européenne de demain. En stimulant l’innovation dans les technologies propres, la tarification du carbone peut soutenir la croissance de secteurs stratégiques, de l’hydrogène vert aux matériaux avancés, en passant par la fabrication circulaire, tout en réduisant la dépendance énergétique.
Pour que ce modèle fonctionne, les dirigeants politiques doivent se concentrer sur trois principes : l’équité, pour maintenir l’engagement des citoyens ; la prévisibilité, pour préserver la confiance des investisseurs ; et la cohérence, essentielle pour maintenir le leadership européen sur la scène mondiale. Si l’Europe parvient à éviter des changements politiques brusques durant sa transition énergétique, elle atteindra non seulement ses objectifs climatiques, mais également façonnera les règles d’une nouvelle économie sobre en carbone.
Par Günther Thallinger, membre du directoire d’Allianz SE
Et Ludovic Subran, directeur des investissements et économiste en chef chez Allianz

