Maroc

La musique gnaoua ancrée dans ses racines africaines

Musique initiatique et passerelle d’élévation spirituelle, la tagnaouite est aujourd’hui un vecteur de transmission culturelle et un pont entre les peuples. Puisant dans le riche héritage de la culture africaine, cet art s’impose désormais avec aisance et naturel sur les plus grandes scènes du monde. Cependant, rien de tout cela n’aurait été possible sans le succès phénoménal du festival d’Essaouira, qui a joué un rôle essentiel dans la renaissance et le rayonnement de la tagnaouite.

Parmi les témoins privilégiés de cette évolution, Neila Tazi, fondatrice du Festival Gnaoua et Musique du monde, a partagé l’histoire fascinante de ce rendez-vous devenu incontournable. «Peu de gens le savent, mais l’idée du festival a émergé après un moment magique : en 2014, Carlos Santana, en concert à Casablanca, invite Maâlam Mahmoud Guinea sur scène et refuse de le laisser partir. On s’était dit qu’il y avait peut-être là quelque chose à creuser», raconte-t-elle. D’un simple projet passionné, le festival s’est mué en un événement planétaire attirant plus de 400.000 festivaliers chaque année, porté par un line-up de prestige.

Mâalam Hamid El Kasri, figure emblématique de la tagnaouite, confirme l’impact du festival sur sa carrière et sur la génération actuelle de musiciens. «J’étais fonctionnaire et je devais poser des congés pour pouvoir venir jouer. Aujourd’hui, la musique est ma vie.» Aujourd’hui star mondiale de la tagnaouite, Hamid El Kaasri se souvient avec émotion de la première édition du festival : «C’était tellement magique que j’espérais qu’on me réinvite. J’ai en effet été réinvité et depuis, je n’ai plus jamais quitté Essaouira».

Bien qu’ils soient naturellement doués pour la musique, les anciens musiciens et mâalems ont tous évolué au contact des artistes du monde.

«Avant, il y avait très peu de musiciens au Maroc et on se connaissait tous. Aujourd’hui, il y a des centaines de jeunes qui ont appris la musique et on ne peut que s’en réjouir», se félicite le mâalem. Pourtant, il met en garde contre une vision trop rapide de la transmission musicale : «N’est pas mâalem qui le veut ! L’initiation et l’apprentissage sont un long processus qui prend toute une vie. Pour être mâalem, on devait suivre la musique à la trace, s’abreuver des mains de plusieurs maîtres et sacrifier son confort au nomadisme pour tout apprendre. Et ce n’est qu’à la mort d’un mâalem que son successeur était nommé !»

Née la même année que le festival, Asmae Hamzaoui incarne la nouvelle génération de musiciens gnaoua. Fille d’un mâalam, elle a baigné dans cet univers dès son plus jeune âge. Encouragée par sa mère, elle fonde son propre groupe, Bnate Toumbouktou, du nom de la ville mythique chérie par son père. «Tagnaouite est un monde d’hommes, mais j’ai toujours été respectée par les musiciens. Ce n’est pas aussi facile pour les autres filles.»

Après avoir baroudé partout et présenté son art à travers le monde, Asmae reste convaincue d’une chose : «Il n’y a pas de public tel que le public marocain. C’est lui qui comprend le mieux la profondeur de la tagnaouite.»

Pour illustrer le rayonnement de la musique gnaoua, mais surtout sa résonance avec le patrimoine africain, le musicien du Malien Yaya Diabaté raconte sa rencontre avec la tagnaouite en 2009. «J’ai découvert la musique gnaoua lors d’une visite à Essaouira, à l’invitation d’un ami. Dès les premières notes du guembri, j’ai été bouleversé. C’était un choc musical pour moi. J’ai reconnu mes racines et retrouvé les mêmes origines des musiques d’Afrique de l’Ouest», raconte-t-il. Les similitudes avec les rythmes traditionnels de la culture mandingue sont frappantes, à une exception près : la langue bambara. En 2019, la musique gnaoua a été consacrée par l’Unesco en tant que patrimoine immatériel de l’humanité, renforçant sa dimension universelle et son enracinement profond dans la culture marocaine. «Pourtant, ce n’est toujours pas facile d’organiser ce Festival qui a fait ses preuves», explique la fondatrice qui estime que certains festivals comme Essaouira, les Musiques sacrées de Fès ou Mawazine doivent désormais être protégés et pris en charge pour leur rôle crucial dans la promotion du Maroc et de la culture marocaine.

Mais l’optimisme est toujours de mise. «Le directeur du prestigieux Berklee College of Music estime qu’Essaouira est une capitale mondiale de la musique. Aussi le festival d’Essaouira accueille le programme “Berklee on the road” qui permet aux musiciens du monde de perfectionner leur art sous l’enseigne de l’institution», se félicite Neila Tazi.