La métamorphose silencieuse de la justice marocaine présentée au SIEL


«L’indépendance de la justice… une cause nationale.» Cette affirmation puissante capte immédiatement l’attention des visiteurs rassemblés au Salon international de l’édition et du livre de Rabat ce vendredi 18 avril 2025. L’assistance a été réunie autour de la thématique proposée par le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) qui a inaugurée sa participation à cet événement culturel majeur par son bilan, avec une présence institutionnelle transformée dans son stand en un véritable espace de dialogue avec la société. «Votre présence aujourd’hui dans cet espace consacré à la justice n’est pas simplement symbolique. Elle revêt une signification profonde, en ce qu’elle témoigne de l’attachement du citoyen à la justice, de son intérêt pour son fonctionnement et de la confiance qu’il place en ses institutions», a déclaré avec conviction Mounir El Montassir Billah, secrétaire général du CSPJ, devant une assistance nombreuse et attentive.
Une institution née d’une révolution constitutionnelle
Pour Chakir Fettouh, directeur du Pôle des études et des affaires juridiques du Conseil, le chemin parcouru depuis la création du CSPJ en 2017 peut être divisé en trois phases distinctes. «La première phase, qui a duré environ trois ans, était une phase de fondation. Il fallait mettre en place les structures, les cadres administratifs et judiciaires pour que cette nouvelle autorité puisse fonctionner», précise-t-il. Puis est venue «une phase de consolidation institutionnelle, à partir de 2020 ou 2021», qui a révélé certaines lacunes législatives et la nécessité d’adapter le cadre juridique. Cette période a abouti à l’adoption de la loi organique de 2023, renforçant les prérogatives du Conseil, notamment en matière de suivi de l’activité des tribunaux, de formation des magistrats et de gestion de l’administration judiciaire. L’institution se trouve aujourd’hui dans sa troisième phase, celle de «l’ouverture de grands chantiers stratégiques pour la réforme de la justice, en ligne avec les orientations de Sa Majesté le Roi», visant à faire de la justice un véritable levier de développement et de confiance.
Une feuille de route stratégique en trois axes
Parmi ces plateformes figure le Portail judiciaire du Royaume, qui rassemble aujourd’hui 43.485 décisions jurisprudentielles publiées, une plateforme de doléances et de réclamations, un système numérique d’évaluation de la performance judiciaire, ainsi qu’une revue judiciaire nationale documentant le parcours institutionnel et juridique national.
L’efficience judiciaire : des délais raisonnables enfin respectés
Les résultats sont déjà visibles. En 2024, les juridictions du Royaume ont atteint un taux de réalisation de 103% par rapport au nombre d’affaires enregistrées, permettant de réduire le stock des affaires en instance de 142.760 dossiers par rapport à 2023. Les délais indicatifs de traitement affichent des performances notables : 72% pour les affaires civiles, 75% pour les affaires commerciales, 77% pour les dossiers pénaux, 75% pour les affaires administratives et 69% pour le droit de la famille. «Ce que les juges ont réalisé l’année dernière, en 2024, est vraiment très honorable, malgré les difficultés et la pression du travail», salue Mohammed Nassar, qui souligne également l’effort considérable fourni par chaque magistrat, avec une moyenne de 2.100 affaires traitées par juge dans les tribunaux de première instance.
Ce dernier point met en lumière un défi important pour l’avenir : «Au Maroc, nous avons environ 3.000 juges du siège, ce qui représente une moyenne de 8,1 juges pour 100.000 habitants. Cet indicateur est utilisé par le Conseil de l’Europe pour évaluer les systèmes judiciaires en Europe, où la moyenne est de 21,9 juges pour 100.000 habitants. Nous en avons huit, ce qui signifie que le chemin est encore long. Un effort doit être fait par l’État pour injecter du sang neuf dans le corps judiciaire».
L’indépendance financière : une autonomie conquise pas à pas
Une étape décisive a été franchie en 2023 avec la modification de l’article 55 de la loi organique relative au CSPJ. «Avant la modification de l’article, il était inconcevable et illogique de parler d’indépendance du pouvoir judiciaire, alors que le juge, pour obtenir un certificat de salaire, devait se rendre au ministère de la Justice, et que le juge recevait son salaire du budget du ministère de la Justice», rappelle Mohammed Nassar. La nouvelle formulation de l’article stipule désormais que «Le Conseil, en coordination avec le ministère chargé des Finances, prend toutes les mesures nécessaires pour exécuter les décisions du Conseil relatives à la situation administrative et financière des juges», supprimant ainsi l’intervention du ministère de la Justice. Cette indépendance financière s’est accompagnée d’une évolution significative du budget du Conseil, particulièrement marquée en 2023 et 2024, ainsi que d’un renforcement considérable des ressources humaines, l’effectif passant de 40 personnes en 2017 à 495 agents au 15 avril 2025 (585 en comptant les éléments des Forces auxiliaires).
L’investissement dans l’humain : formation et éthique au cœur de la réforme
Cette priorité accordée à la formation s’est concrétisée par plusieurs initiatives majeures : l’inscription de cette dimension dans le plan stratégique du CSPJ, la modification du cadre juridique régissant l’Institut supérieur de la magistrature, la création d’un pôle dédié au sein du Conseil et la mise en place d’une stratégie claire concernant la formation initiale, continue et spécialisée. En 2024, trente-six sessions de formation ont été organisées, couvrant des domaines variés et ciblant 1.153 magistrats. Le contenu était diversifié, allant de l’approfondissement des connaissances juridiques à la formation sur des enjeux émergents comme l’intelligence artificielle et la cybercriminalité, en passant par le renforcement des compétences personnelles et la formation en matière d’éthique.
La modernisation et la numérisation : le défi du XXIe siècle
Cette transformation numérique s’est déjà concrétisée par la mise en place d’une architecture intégrée comprenant des tableaux de bord interactifs et des analyses de performance via le système d’information Sage 2. L’objectif affiché est «une gestion intelligente du temps judiciaire et une amélioration continue des indicateurs». «Nous avons entamé au Conseil, en coordination avec la Cour de cassation, un travail important qui est la publication des jurisprudences judiciaires», souligne Mohammed Nassar. «Cet aspect était difficile d’accès pour les observateurs ainsi que pour les magistrats. Aujourd’hui, le Conseil met à leur disposition cette jurisprudence».
Une vision d’avenir : les défis à relever
Amal Lemniai rappelle qu’au niveau local, «la proximité avec les justiciables ne se limite plus à la dimension géographique», mais englobe «la proximité avec leur réalité, leurs attentes, leur langage, leur vulnérabilité parfois». Au niveau national, «il n’y a pas de développement global sans sécurité juridique, et pas de sécurité juridique sans une justice garante des droits et libertés». Quant à l’échelle internationale, elle pose des défis transfrontaliers comme la criminalité organisée et la mondialisation des lois. «Tous ces défis nous obligent à repenser les rôles et les fonctions traditionnelles de la justice et les modes d’exercice de ses missions», conclut-elle. «Ce que nous vivons aujourd’hui n’est pas une simple transformation technique ou conjoncturelle, mais une transformation structurelle profonde».