Maroc

«Halieutis» : La secrétaire d’État révèle des chiffres élogieux.

Zakia Driouch, secrétaire d’Etat chargée de la Pêche maritime, a mentionné que le secteur génère désormais 135.000 emplois directs (260.000 au total) et que 42 villages de pêcheurs ont été construits. En juin 2023, la température moyenne de la surface de la mer Méditerranée a atteint son niveau le plus élevé jamais enregistré, avec une moyenne de 28,71 °C, selon des données recueillies par le programme européen Copernicus.


Devant les parlementaires de la Chambre des représentants, Zakia Driouch, secrétaire d’État chargée de la Pêche maritime, a présenté un bilan élogieux de la stratégie nationale « Halieutis », lancée en 2009 par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. « Depuis sa mise en œuvre, nous avons renforcé les acquis du secteur et levé ses contraintes grâce à la recherche scientifique, l’aménagement et la surveillance accrue », a-t-elle déclaré lundi, avançant des chiffres significatifs : 6 milliards de dirhams de valeur ajoutée (1 % du PIB), 28,8 milliards d’exportations (+15 % par rapport à 2021) et un réseau portuaire renforcé par des infrastructures majeures comme celles de Casablanca, Tanger, Lmehriz et le futur Dakhla Atlantique.

Cependant, malgré ces réussites macroéconomiques, des inégalités régionales persistantes et des pressions climatiques soulèvent des préoccupations, dans un contexte où le déclin des stocks côtiers contribue à l’exode des jeunes.

Un secteur en pleine évolution : chiffres et infrastructures à l’appui

Zakia Driouch, première femme à présider la Commission internationale pour la conservation du thon atlantique (CICTA), a fourni des indicateurs pour défendre « Halieutis ». Le secteur génère désormais 135 000 emplois directs (260 000 au total), avec 42 villages de pêcheurs construits et 9 projets en cours, dont un à Driouch (147 millions de dirhams). « Les fluctuations climatiques pèsent sur la sardine, notre atout majeur, mais la dynamique est forte », a-t-elle soutenu, mentionnant 61 marchés numérisés pour plus de transparence et 14 nouveaux marchés de première vente.

L’aquaculture se distingue comme un axe stratégique : 24 000 hectares aménagés, 329 projets autorisés (184 actifs), avec un objectif de 500 millions de dirhams de chiffre d’affaires et 4 000 emplois. Des soutiens fiscaux (exonération de TVA sur les intrants, baisse des droits de douane des aliments de 40 % à 2,5 %) et 112 projets sociaux solidaires viennent compléter ce tableau. Pour la pêche artisanale – représentant 23 % de la production nationale (3,8 milliards de dirhams), avec 60 000 emplois – 30 plans d’aménagement, 8 réserves marines, des caisses isothermes pour chaque bateau et des tracteurs pour 23 coopératives (11 millions de dirhams) garantissent « durabilité et rentabilité ». Une couverture sociale complète et des pensions assouplies complètent ce dispositif.

Précarités occultées : emplois saisonniers et pression climatique

Cependant, ce discours technocratique masque des réalités plus sombres. Les emplois mis en avant sont souvent précaires : salaires modestes (3 000-5 000 dirhams par mois), saisonnalité accrue due à la surpêche (-30 % de sardine depuis 2015) et aux changements climatiques. En effet, les côtes méditerranéennes et atlantiques du Royaume ne sont pas épargnées par les défis mondiaux et régionaux ; elles sont un point particulièrement vulnérable, enregistrant des niveaux records d’exposition au changement climatique. Cette vulnérabilité est en grande partie attribuable à la forte concentration des activités économiques dans les zones littorales, augmentant les pressions environnementales existantes.

À titre d’exemple, la température moyenne de la surface de la mer Méditerranée a atteint en juin 2023 son niveau le plus élevé jamais enregistré, avec une moyenne de 28,71 °C, selon des données du programme européen Copernicus. Cette augmentation des températures entraîne la migration ou la mortalité massive de certaines espèces, dégrade les écosystèmes et réduit la capacité des couches océaniques à se mélanger, perturbant ainsi la distribution des nutriments essentiels à la vie marine.

Ce phénomène est lié à l’upwelling, un processus permettant aux eaux riches en nutriments de remonter à la surface. Cependant, ce mécanisme, essentiel pour la productivité biologique des côtes marocaines, est de plus en plus fragilisé par le réchauffement climatique.

La province de Driouch, bénéficiant d’un village à 147 millions de dirhams, illustre ce paradoxe : le chômage endémique (15-20 % sur les côtes) pousse à l’émigration irrégulière, touchant même des élus locaux. Les femmes et les jeunes sous-qualifiés, exclus des pôles urbains (Casablanca, Tanger), ont du mal à intégrer des coopératives, dont le nombre est limité (seulement 23 tracteurs).

La numérisation des marchés, bien qu’appréciable, exclut les pêcheurs analphabètes ou âgés, maintenant ainsi un élitisme urbain. L’aquaculture, dépendante d’intrants importés, pourrait accroître les inégalités : qui bénéficiera des 4 000 emplois annoncés ? La centralisation portuaire (Dakhla, Sahara) néglige les périphéries rifaines et atlantiques, où les vulnérabilités sociales augmentent les flux migratoires.

Migrations en toile de fond : du chalutier au haraga

Le silence de Zakia Driouch sur les liens entre la pêche et la migration est significatif. Plusieurs territoires montrent comment le désespoir économique – amplifié par le déclin halieutique – conduit à des exodes via des réseaux familiaux, idéalisant l’Europe. Les pêcheurs artisanaux, souvent exploités, contribuent à ces flux migratoires. De plus, la couverture sociale limitée dans le secteur de la pêche est l’un des problèmes les plus préoccupants du modèle socio-économique maritime au Maroc.

En effet, malgré l’importance de ce secteur, qui emploie des milliers de marins et contribue fortement aux exportations, une grande partie des travailleurs reste en dehors des dispositifs de protection formels. Les raisons en sont multiples : forte présence de l’informel, contrats précaires, rotation rapide des travailleurs, absence de déclarations régulières à la CNSS, et contrôle limité des conditions de travail en mer. Cette situation expose les pêcheurs à des risques importants — accidents, maladies professionnelles, instabilité des revenus — sans garantie d’indemnisation ni de retraite. Elle fragilise également les familles, souvent dépendantes d’activités saisonnières ou aléatoires pour survivre.