Gestion des événements sportifs : les approches sécuritaires à privilégier

Face à l’ampleur des enjeux que soulève la tenue au Maroc de la Coupe d’Afrique des nations 2025 et de la Coupe du monde 2030, organisée conjointement avec l’Espagne et le Portugal, la question de la gestion sécuritaire des manifestations sportives s’impose comme une priorité stratégique. Réunis à Rabat le mardi 15 avril 2025, dans le cadre d’un séminaire international placé sous le thème «Gestion sécuritaire des événements sportifs au Maroc : approches inclusives du secteur sécurité», les participants ont appelé à la mise en place d’une gouvernance sécuritaire cohérente et intégrée, fondée sur une coordination rigoureuse entre les institutions concernées : organes de sécurité, instances sportives, société civile et acteurs judiciaires. Portée par le Centre d’études en droits humains et démocratie (CEDHD), en partenariat avec le Centre de Genève pour la gouvernance du secteur de la sécurité (DCAF), cette rencontre s’inscrit dans le prolongement d’une étude conjointe récemment publiée, plaidant pour une approche proportionnée, respectueuse des droits humains et adaptée aux nouvelles dynamiques du sport à grande échelle.
Sécurité sportive et enjeux sociaux, économiques et géopolitiques
Prenant la parole en ouverture, El Habib Belkouch, président du Centre d’études en droits humains et démocratie, a appelé à une refondation profonde de la manière dont sont pensées et mises en œuvre les politiques de sécurité autour des événements sportifs. Selon lui, il ne s’agit plus seulement de contenir la violence, mais d’en comprendre les ressorts sociaux, de l’anticiper intelligemment, et d’adopter une approche centrée sur la prévention et le dialogue. Face à l’évolution des comportements dans les tribunes et aux nouvelles formes d’expression du public, M. Belkouch (qui vient d’être nommé nouveau délégué interministériel aux droits de l’Homme) plaide pour une lecture fine du contexte, fondée sur l’analyse des tensions sociales et des dynamiques culturelles qui s’expriment dans les stades. Cette approche, estime-t-il, doit s’appuyer sur une coordination étroite entre les institutions de sécurité, les instances sportives et les acteurs de la société civile.
Alors que le Maroc s’apprête à accueillir la CAN 2025 et à co-organiser le Mondial 2030, les enjeux prennent une dimension nouvelle. La gestion des flux de supporters, la sécurisation des infrastructures, la fluidité logistique et la capacité à répondre rapidement à toute situation exigent une stratégie robuste, pensée en amont, à la hauteur de l’affluence attendue. Mais au-delà de l’enjeu sécuritaire stricto sensu, M. Belkouch insiste sur la portée économique du sport. Le football, dit-il, est devenu un moteur de croissance à part entière, pesant lourd dans l’attractivité du territoire, l’investissement, l’emploi et les retombées touristiques. À ce titre, la sûreté des événements sportifs ne peut être traitée en vase clos : elle doit soutenir cette dynamique économique, tout en restant alignée avec les exigences démocratiques.
Dans ce cadre, le président du CEDHD a tenu à rappeler l’expérience marocaine déjà éprouvée à l’international. Il a mis en avant l’expertise des forces de sécurité du Royaume, qui ont contribué de manière significative à la réussite de compétitions majeures comme la Coupe du monde au Qatar ou la Coupe du monde de rugby en France. Ces engagements, souvent discrets, mais salués par les partenaires internationaux, illustrent le savoir-faire marocain en matière de coordination opérationnelle, de maîtrise des foules et de gestion de crise. Pour M. Belkouch, cette reconnaissance internationale constitue un socle solide sur lequel il faut construire une stratégie nationale durable, cohérente et exemplaire.
Gouvernance sécuritaire et lutte contre le hooliganisme
Pour Abdeslam Belgchour, président de la Ligue nationale de football professionnel (LNFP), la violence dans les stades ne relève pas d’un simple problème de discipline, mais d’une réalité enracinée dans des dynamiques sociales bien plus larges. Hooliganisme structuré, tensions entre groupes ultras, débordements organisés : autant de manifestations d’un malaise qu’il faut comprendre avant de prétendre le résoudre. Face à cela, il plaide pour une gouvernance sécuritaire renouvelée, qui mise sur l’anticipation, l’analyse fine des comportements et une coordination active entre clubs, autorités locales, forces de sécurité et tissu associatif. Les clubs, à ses yeux, doivent aller bien au-delà de la sanction ; ils sont appelés à devenir des espaces d’écoute, de médiation et d’engagement, au plus près de leurs supporters.
Cette approche prend tout son sens à l’heure où le Maroc se prépare à accueillir plusieurs rendez-vous de premier plan, de la Coupe du monde féminine U-17 à l’horizon 2025–2029, jusqu’au Mondial 2030 coorganisé avec l’Espagne et le Portugal. Pour accompagner cette ambition, le Royaume, rappelle-t-il, sous les directives de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a investi massivement dans la modernisation de ses infrastructures sportives. M. Belegchour cite en exemple le futur stade de Benslimane, appelé à devenir, avec ses 115.000 places, le plus grand stade au monde. Il souligne également l’ampleur des travaux de réhabilitation menés dans de nombreuses enceintes, avec une attention particulière portée aux systèmes de contrôle d’accès et aux dispositifs de vidéosurveillance, désormais alignés sur les normes internationales.
Mais l’enjeu n’est pas uniquement matériel. Il est aussi humain. M. Belegchour met en lumière le rôle fondamental de la formation, incarnée notamment par l’Académie Mohammed VI, qui s’impose comme un modèle en matière de développement de jeunes talents, alliant exigence sportive et rigueur éducative. Pour lui, bâtir un football pacifié et ambitieux passe par une stratégie à la fois globale et cohérente, capable de concilier sécurité, performance et ancrage social.
Le Maroc, acteur stratégique au cœur des enjeux de sécurité sportive
Intervenant à distance, Nathalie Chuard, directrice du Centre de Genève pour la gouvernance du secteur de la sécurité (DCAF), a tenu à souligner avec force le rôle central que jouait aujourd’hui le Maroc sur la scène sportive mondiale. Selon elle, l’organisation par le Royaume d’événements d’envergure comme la Coupe d’Afrique des nations 2025 et, plus encore, la Coupe du monde 2030, consacre une reconnaissance internationale manifeste, mais impose dans le même temps un niveau d’exigence exceptionnel, notamment en matière de sécurité.
Dans cette perspective, Mme Chuard a mis en lumière les implications stratégiques de cette dynamique, insistant sur le fait que «les événements sportifs peuvent constituer des cibles potentielles pour des activités criminelles», et qu’il devient dès lors impératif de garantir une gouvernance sécuritaire à la hauteur de ces menaces. Elle a salué à cet égard «l’engagement constant» des autorités marocaines, dont elle a souligné la capacité à fédérer l’ensemble des parties prenantes autour d’un objectif commun : assurer la sécurité des manifestations sportives dans le respect des principes fondamentaux de l’État de droit.
Plus encore, elle a plaidé pour l’instauration de mécanismes pérennes de coopération et de coordination entre les différents acteurs concernés, estimant que la réussite de ces événements reposait sur une approche inclusive, intégrant à la fois les forces de l’ordre, les autorités sportives, les comités d’organisation, les collectivités territoriales et la société civile. «Il est donc impératif d’assurer une coordination fluide», a-t-elle précisé, insistant sur la nécessité de construire un cadre cohérent, capable d’absorber la complexité croissante des enjeux sécuritaires liés au sport de haut niveau.
Mme Chuard a ainsi replacé la question de la sécurité sportive dans une perspective globale, où se croisent diplomatie, prévention des risques, et culture de la concertation. Pour elle, le Maroc, de par sa position stratégique et son engagement réformateur, est aujourd’hui en mesure de proposer un modèle de gouvernance sécuritaire moderne, fondé sur l’efficacité, l’ouverture et le respect des droits humains.
Une vision concertée et fondée sur les droits
Intervenant dans le cadre du même séminaire, Cécile Lagoutte, directrice du Programme Maroc au sein du Centre de Genève pour la gouvernance du secteur de la sécurité (DCAF) était sur la même longueur d’onde. Elle a tenu à rappeler d’emblée la position «très haute» qu’occupe le Maroc dans le «concert sportif», tant par ses performances que par les enjeux et défis qu’il assume sur la scène internationale. Saluant l’orientation choisie par le Royaume, elle a qualifié l’approche marocaine de «moderne et responsable», estimant qu’elle reposait sur une articulation rigoureuse entre trois piliers essentiels : l’innovation technologique, la concertation interinstitutionnelle et le respect des droits fondamentaux. À ses yeux, ces dimensions constituent désormais les fondements incontournables de toute politique sécuritaire efficace dans le cadre de manifestations sportives d’envergure mondiale.
Dans ce contexte, Mme Lagoutte a mis en avant l’impératif d’un dialogue structuré et permanent entre les différents acteurs du système sécuritaire. «Il faut faire équipe pour réussir», a-t-elle déclaré, insistant sur la nécessité d’une coopération active entre les forces de l’ordre, les institutions sportives, les autorités judiciaires, la société civile et les experts en gouvernance. Elle a souligné que la sécurisation des événements ne pouvait plus être pensée de manière cloisonnée, mais devait s’inscrire dans une perspective globale, fondée sur la prévention des risques, l’écoute mutuelle et l’inclusion des publics concernés. Selon elle, cette approche intégrée constitue le socle d’une gouvernance pérenne, alignée sur les standards internationaux et apte à répondre à la complexité croissante des enjeux sécuritaires contemporains.
Une coopération internationale et intersectorielle
Les débats ont souligné l’impératif d’une gouvernance transversale, fondée sur l’articulation entre les différents registres d’intervention juridique, sécuritaire, psychologique, médiatique et social dans le but d’analyser les facteurs structurels de la violence dans les stades, d’anticiper les foyers de tension et de bâtir des environnements sportifs inclusifs, apaisés et protecteurs.
La participation active de représentants marocains issus des départements de la sécurité, du sport, du Parlement et de la société civile a renforcé la dimension multipartite de la réflexion. Elle a illustré l’engagement du Royaume en faveur d’une approche systémique, intégrant les voix institutionnelles et citoyennes, dans une perspective de gouvernance responsable, alignée sur les principes des droits humains et les normes internationales en matière de sécurité publique.
Vers une nouvelle culture sécuritaire du sport
Le séminaire international sous le thème « Gestion sécuritaire des événements sportifs au Maroc : approches inclusives du secteur sécurité» a rassemblé des acteurs nationaux et internationaux, d’horizons divers, témoignant de la volonté d’inscrire la question sécuritaire dans une dynamique de collaboration globale et complémentaire. Des experts de la Fédération internationale de football (FIFA), de la Confédération africaine de football (CAF), du Comité international paralympique, ainsi que des représentants de la Fédération internationale du para-athlétisme ont pris part aux travaux, aux côtés de spécialistes en sécurité venus de plusieurs pays européens, apportant des expériences comparées en matière de prévention des risques liés aux grandes manifestations sportives.
À travers cette initiative, le Centre d’études en droits humains et démocratie et le Centre de Genève pour la gouvernance du secteur de la sécurité souhaitent lancer le débat sur la nécessité d’un nouvelle culture en matière de gestion sécuritaire du sport, fondée sur une rupture avec les approches exclusivement répressives. Il s’agit de promouvoir un paradigme préventif, fondé sur l’anticipation, la concertation et le respect des droits, en accord avec les standards internationaux et les exigences démocratiques contemporaines. Cette vision renouvelée repose sur une conception élargie de la sécurité, intégrant les valeurs de dignité, de transparence institutionnelle, de responsabilité partagée et d’inclusion sociale. Elle place l’humain au centre des politiques sécuritaires et privilégie l’articulation entre les différents acteurs de l’écosystème sportif et sécuritaire, dans une logique de coopération pérenne et systémique.
Dans un contexte où le sport tend à s’imposer comme vecteur de rayonnement international, outil de cohésion sociale et levier de diplomatie d’influence, cette rencontre scientifique organisée à Rabat marque un tournant stratégique, s’inscrivant dans une dynamique d’élévation des standards nationaux en matière de gouvernance sécuritaire, à la mesure des ambitions portées par le Royaume en vue de l’accueil d’événements majeurs tels que la Coupe d’Afrique des nations 2025 et la Coupe du monde 2030.
Hooliganisme : un cadre légal obsolète
Driss Belmahi, juriste et universitaire, a alerté sur l’obsolescence du cadre législatif qu’il a jugé inadapté aux enjeux contemporains du football marocain. Selon cet expert, la législation actuelle se limite à traiter la violence dans les stades sous un angle répressif, sans aborder ses causes profondes ni mettre en place de véritables stratégies de prévention. Pour lui, la violence doit être appréhendée dans toute sa complexité, en tenant compte des aspects structurels, sociaux et préventifs, et non uniquement sous l’angle punitif. L’intervenant a ajouté par ailleurs qu’en dépit de la conformité des règlements de la Fédération Royale marocaine de football (FRMF) aux standards internationaux, ceux-ci demeurent freinés par un cadre législatif national qui n’a pas su suivre le rythme des évolutions du sport à l’échelle mondiale.
Dans un autre registre, le juriste a insisté sur la nécessité de replacer le supporter au cœur du système sportif. «Un système moderne ne peut ignorer le supporter comme acteur essentiel», a-t-il déclaré. Dans cet esprit, il a dénoncé le fait que les supporters ne soient toujours pas reconnus comme partenaires à part entière des clubs. Au contraire, ils sont perçus comme une menace à contenir, plutôt que des acteurs influents et positifs, a-t-il déploré. Il a aussi souligné l’importance d’adapter les infrastructures sportives aux besoins des femmes, rappelant qu’il est impossible d’exiger leur présence dans les stades sans leur offrir un cadre confortable et sécurisé.
En définitive, pour M. Belmahi, la question de la sécurité doit être abordée suivant une approche intégrée, où les enjeux de sécurité, de sûreté et de services sont abordés de manière complémentaire. À cet égard, il a insisté sur la nécessité d’un dialogue constructif entre tous les acteurs concernés, citant l’exemple du boycott pacifique des supporters du Raja et du Wydad, qui ont exercé leur droit de manifestation sans recourir à la violence, contribuant ainsi à un environnement respectueux et serein.
Un cadre législatif spécifique en gestation
Alors que le Maroc s’apprête à accueillir des compétitions sportives d’envergure mondiale, le ministère de la Justice planche sur un projet de loi destiné à encadrer juridiquement les infractions inhérentes à ces événements et qui pourraient même les entacher s’ils n’étaient pas gérés de manière pragmatique et lucide. Avec la Coupe du monde 2030 et la Coupe d’Afrique des nations 2025-2026 en ligne de mire, un texte «ambitieux» sera bientôt soumis au Parlement. Le but est d’instaurer un dispositif adapté aux défis sécuritaires liés à ces grands rassemblements internationaux.
S’exprimant début février dernier à la Chambre des représentants sur les mesures juridiques devant accompagner ces manifestations, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a souligné la nécessité d’un cadre législatif spécifique. «L’organisation d’événements sportifs de cette envergure implique l’accueil de milliers de supporters venus des quatre coins du globe, avec son lot d’incidents inévitables : altercations, débordements liés à l’alcool, ou encore actes de violence, voire hooliganisme», a-t-il expliqué. Mais plutôt que de sévir en ayant recours systématiquement aux procédures habituelles menant forcément à l’incarcération, le ministre plaide pour une gestion pragmatique et immédiate des infractions mineures, évitant ainsi l’engorgement des tribunaux et des établissements pénitentiaires. Mais comment procéder alors ?
Selon le ministre de la Justice, l’une des grandes nouveautés de ce projet de loi réside dans la création de comités de gestion au sein des stades. Présidés par un représentant du ministère public et composés des forces de sécurité et d’autres acteurs concernés, ces comités auront pour mission de traiter les infractions sur place. Ce dispositif permettra d’auditionner immédiatement les contrevenants et d’établir un procès-verbal, garantissant ainsi une prise de décision rapide et efficace. Ainsi, dans le cas des délits mineurs, une amende pourrait être appliquée sur-le-champ, tandis que les supporters étrangers impliqués dans des infractions plus sérieuses seraient directement expulsés vers leur pays d’origine, accompagnés d’un dossier judiciaire transmis aux autorités compétentes. Cette approche vise, selon M. Ouahbi, à concilier fermeté et efficacité tout en préservant le bon déroulement des compétitions. «Les arrestations ne peuvent en aucun cas être une solution, car certains supporters souffrant de maladies chroniques pourraient voir leur état de santé se détériorer en détention, voire succomber à des complications», a relevé le ministre de la Justice, avant de préciser que «cette future loi ne s’appliquera qu’aux supporters détenteurs d’une carte d’accès aux stades».