Maroc

Généralisation de l’AMO : Le casse-tête de la pérennité du régime face au non-paiement des cotisations

Au cœur du chantier de généralisation de l’Assurance Maladie obligatoire (AMO), «la CNSS a travaillé aux côtés des instances gouvernementales et de toutes les parties intervenant dans le secteur de la prévoyance sociale au Maroc, sur la mise en œuvre efficace des Hautes Instructions Royales, qui ont dressé une sorte de feuille de route pour la généralisation de l’assurance maladie obligatoire et la protection sociale avec des jalons», note-t-on auprès de la Caisse.

La généralisation de l’Assurance Maladie obligatoire a permis à ce régime de couvrir aujourd’hui trois nouvelles catégories, avec le même panier de soins et les mêmes prestations octroyés à la population classique, celle des salariés du secteur privé.

Il s’agit de :

  • L’AMO TNS, dédié aux professionnels, travailleurs indépendants et personnes non salariées exerçant une activité libérale. Ce régime regroupe 27 catégories socioprofessionnelles, dont l’effectif a atteint 3,4 millions d’assurés avec leurs ayants droit en 2024.
  • L’AMO Tadamon, destiné aux personnes incapables de supporter les cotisations. En 2024, 11 millions de personnes (assurés et ayants droit) sont couvertes par ce régime.
  • L’AMO Chamil, consacré aux personnes ayant des revenus sans exercer une activité rémunérée. Près de 235.000 personnes (assurés et ayants droit) y sont inscrites à fin 2024.

«Comme tout régime assurantiel contributif, c’est le paiement des cotisations qui garantit la pérennité du régime et la continuité du service des prestations AMO», rappelle la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Pour l’AMO Tadamon, les cotisations sont entièrement prises en charge par l’État, ce qui en garantit l’équilibre.

«Cependant, pour les autres catégories, beaucoup de personnes assujetties au régime de l’AMO ne sont pas conscientes de l’importance de la couverture, ni du caractère obligatoire du régime, bien que les taux de cotisation fixés par la loi soient très bien étudiés en fonction des revenus de chaque catégorie et sous-catégorie», déplore la CNSS.

Elle précise que ces taux restent très abordables et constituent le minimum nécessaire pour faire vivre le régime. À titre d’exemple, la catégorie des travailleurs non salariés (TNS) compte seulement 500.000 assurés qui paient régulièrement leurs cotisations sur 1,6 million de personnes assujetties, avec un taux de recouvrement ne dépassant pas 40%.

«En effet, il s’agit de populations hétérogènes, et la CNSS fournit un grand effort en matière de communication et de sensibilisation pour ramener toutes les personnes assujetties à intégrer le régime et payer régulièrement leurs cotisations. En revanche, l’accès aux soins nécessite d’abord l’inscription et la régularité de paiement des cotisations, notamment pour les TNS et les personnes assujetties à l’AMO Chamil», précise la Caisse.

Santé : L’équation complexe d’une réforme ambitieuse

L’accès de ces deux catégories aux soins se reflète dans le nombre de dossiers de remboursement déposés : 1,7 million en 2024 pour les TNS, pour un montant remboursé de plus de 1,7 milliard de dirhams. À cela s’ajoutent 354 141 dossiers déposés dans le cadre de l’AMO Chamil, avec un montant remboursé dépassant 4,5 millions de dirhams.

Les responsables de la CNSS estiment que l’effet de la généralisation de la couverture médicale est plus tangible chez les assurés de l’AMO Tadamon, compte tenu du poids de cette catégorie et de la prise en charge de leurs cotisations par l’État. En 2024, quelque 12,8 millions de dossiers ont été déposés, pour un montant de prestations s’élevant à 7 milliards de dirhams.

Assurer la viabilité financière du système

«La pérennité des régimes AMO est une question très importante qui fait l’objet de nombreux débats. D’abord, il faut rappeler que la CNSS gère un régime contributif, et par conséquent, les seules ressources dont elle dispose sont les cotisations des entreprises affiliées, des TNS, des bénéficiaires de l’AMO Chamil et de l’État dans le cadre de l’AMO Tadamon», souligne la CNSS.

Selon elle, sur le plan financier, le régime AMO des salariés continue à générer des excédents. Cette année, la Caisse compte dégager près de 3 milliards de dirhams.

Si l’AMO Tadamon reste équilibré grâce à la prise en charge étatique, l’équilibre financier des régimes AMO Chamil et AMO TNS reste très préoccupant, en raison du déficit technique déjà enregistré. La Caisse a ainsi mis en place une nouvelle stratégie de recouvrement en renforçant ses effectifs et en diversifiant ses outils.

«Toutefois, le problème de recouvrement est plus inquiétant pour les TNS, qui ont tendance à s’acquitter de leurs cotisations uniquement lorsqu’ils ont besoin d’un accès aux soins. Face à cette problématique, des mesures à la fois incitatives et coercitives ont été adoptées pour améliorer le taux de recouvrement et assurer la régularité du paiement», précise la Caisse.

Outre les grandes opérations d’annulation des majorations de retard, des frais de recouvrement et d’amnistie sur les anciennes cotisations impayées, un délai de carence de trois mois a été introduit pour la réouverture des droits des débiteurs régularisant tardivement leur situation.

Par ailleurs, l’attribution des aides et subventions de l’État est désormais conditionnée à la régularité vis-à-vis de la CNSS. La nouvelle loi 02.24 permet également à la CNSS de recourir aux dispositions du Code du recouvrement des créances publiques, notamment l’utilisation de l’avis à tiers détenteur (ATD).

«En gros, la CNSS pilote des études actuarielles sur ce volet et procédera aux ajustements nécessaires en coordination avec les autres partenaires», précisent les responsables.

Reste à charge : le Gargantua des dépenses de santé

Malgré les avancées enregistrées dans la généralisation de la couverture médicale, une part importante des dépenses de santé continue d’être supportée directement par les ménages. Selon les Comptes nationaux de la santé (CNS) 2022, publiés en mai 2025, les dépenses directes des ménages représentaient 49,5% du total des dépenses de santé en 2022.

C’est certes une légère baisse par rapport à 2018 (50,7%), mais cela reste inquiétant, notamment au regard de l’inflation persistante au Maroc. Il s’agit d’une pression financière continue sur les familles, en particulier celles à revenu limité.

Il convient de rappeler que les prises en charge et remboursements des actes médicaux et des médicaments dans le cadre de l’AMO se font sur la base de la Tarification nationale de référence (TNR). «Ce tarif est fixé en concertation entre les organismes gestionnaires de l’AMO et les prestataires de soins via des conventions», rappelle la CNSS.

Selon elle, «les réformes structurantes, comme la généralisation de l’AMO et la réforme du système national de santé, offrent une occasion d’enclencher les négociations sous l’égide de la Haute Autorité de la santé pour accélérer la révision de la TNR et de la nomenclature des actes professionnels afin de garantir une meilleure accessibilité aux soins pour tous les citoyens».

Améliorer la fluidité et l’efficience de la gestion des dossiers santé

Un délai réglementaire de trois mois est prévu pour rembourser un dossier de soins. Toutefois, la CNSS s’est fixé des délais de qualité et a réduit le délai moyen de remboursement à 9 jours. «Après la dématérialisation de toutes les prestations du régime général, elle travaille actuellement sur la digitalisation du parcours client dans le cadre de l’AMO», précise-t-on. Un projet de feuille de soins électronique a ainsi été lancé.

Ce projet permettra une dématérialisation totale du processus et une gestion plus fluide des dossiers. «Lorsqu’un patient se rend chez un médecin ou un prestataire de soins, ce dernier pourra accéder à une plateforme pour y saisir l’acte, l’ordonnance, l’examen biologique, etc. Le pharmacien, lui, n’aura qu’à saisir le numéro d’immatriculation du patient ou sa CIN pour consulter l’ordonnance en ligne et lui délivrer les médicaments», explique la Caisse.

Selon ses responsables, «la dématérialisation du système AMO apportera des avantages pour le patient, le prestataire de soins et l’assureur, car elle permettra de simplifier les procédures, d’améliorer la qualité de service en réduisant les délais de remboursement, et d’économiser entre 400 et 500 millions de dirhams sur les coûts de traitement».

Conventions avec les cliniques, hôpitaux et professionnels de santé

Avec la généralisation de l’AMO, un important travail a été mené pour dématérialiser les relations avec les prestataires publics et privés afin de fluidifier les échanges et maîtriser les dépenses.

Dans le secteur public, la CNSS a interconnecté ses systèmes avec ceux des CHU et hôpitaux. «L’hôpital peut vérifier sur une plateforme si un patient bénéficie de l’AMO Tadamon et si ses droits sont ouverts. Les actes sont alors reliés au numéro d’immatriculation et facturés par échange de données entre l’hôpital et la CNSS. Cela a permis de fluidifier la facturation, sachant que près de 20 000 dossiers par jour sont générés par la population AMO Tadamon dans les hôpitaux publics», précise la Caisse. Dans le privé, le nouveau système d’information AMO offre une vision à 360 ° sur les assurés et les prestataires. Il permet à la CNSS de suivre les pratiques médicales et de détecter les cas suspects.

Les indicateurs analysés sont : le volume des actes médicaux, la prescription de médicaments coûteux, la durée des hospitalisations, la fréquence moyenne par bénéficiaire, ou encore l’évolution du chiffre d’affaires.

«Ces indicateurs permettent de repérer des anomalies pouvant indiquer des cas de fraude. Dans ce cas, des alertes automatiques sont déclenchées, facilitant un dialogue constructif avec les professionnels pour encadrer les pratiques», souligne la CNSS.

Digitalisation et intelligence artificielle

La CNSS affirme avoir bien avancé dans le déploiement de la feuille de soins électronique, qui révolutionnera le système de santé en digitalisant le parcours du patient. La plateforme sera prête fin 2025 et testée sur un site pilote avant son déploiement national.

«Parallèlement, la transformation digitale de la CNSS met l’intelligence artificielle au cœur de sa stratégie. Elle mise sur l’IA pour renforcer la détection des fraudes grâce à des outils avancés d’analyse prédictive et de data analytics, afin d’améliorer la prévention, optimiser la gestion des risques et renforcer l’efficience organisationnelle globale», conclut la CNSS.