France-Maroc : des annonces aux actes, les prémices d’un partenariat tourné vers l’avenir

Le Matin : On assiste actuellement à une intensification des relations franco-marocaines, caractérisée notamment par une multiplication des visites et des échanges de haut niveau. Peut-on dire que les deux pays passent à la concrétisation du «nouveau livre» que la visite de Macron a ouvert ?
Yassine El Yattioui : Depuis la visite d’État d’Emmanuel Macron à Rabat fin octobre 2024, la trajectoire bilatérale a clairement évolué de l’intention vers la mise en œuvre. Entre décembre 2024 et mars 2025, on enregistre plus d’une dizaine de rencontres de haut niveau, réparties entre Rabat et Paris, impliquant Chefs d’État, ministres et représentants des administrations publiques. Depuis plusieurs semaines, il y a même une diplomatie des territoires comme le démontre la visite au Maroc de Valérie Pécresse (présidente du Conseil régional d’Ile-de-France) puis Michaël Delafosse (maire de Montpellier). Cette visite s’est matérialisée par des partenariats conclus et des échanges denses. Tanger, Fès, Meknès, Rabat, Casablanca, Benguérir, Marrakech, Dakhla… Les axes de coopération sont multiples. Au total, une vingtaine d’instruments juridiques et opérationnels (protocoles, mémorandums et déclarations d’intention) ont été conclus, couvrant les domaines de la sécurité intérieure, de la justice, de la défense, de la culture, de l’éducation et de la recherche.
Dans le domaine économique, la Commission mixte économique et financière, réunie en février à Rabat, a acté un volume de financements bilatéraux de 1,8 milliard d’euros pour l’année 2025, dont 600 millions dédiés à la transition énergétique et 450 millions au renforcement des infrastructures portuaires. La signature de onze conventions entre banques de développement, instituts de recherche et pôles d’innovation marque une accélération notable : on compte désormais cinq stations de recherche commune en intelligence artificielle, robotique et agritech, portées conjointement par des laboratoires français et marocains. L’ensemble de ces actions – cellules de renseignement partagées, comités stratégiques, financements conséquents, coopération scientifique et manifestations culturelles – témoigne que le «nouveau livre» ouvert par la visite présidentielle de 2024 n’est plus un simple horizon verbal, mais bien un socle d’engagements effectifs, à peine cinq mois après son lancement.
La France considère le Maroc comme un partenaire stratégique dans plusieurs domaines, notamment la lutte contre le terrorisme, la stabilité régionale et le développement économique. Quels sont les défis pour ce partenariat et quelles sont les opportunités qui en découlent pour la Royaume ?
La question migratoire demeure un enjeu délicat: la réadmission des ressortissants marocains en situation irrégulière fait l’objet d’un protocole opérationnel signé en janvier 2025, mais la mise en place de centres de transit et le respect des délais légaux de réadmission restent difficiles à coordonner. Les autorités marocaines ont enregistré 2.700 retours coordonnés au premier trimestre 2025, contre 1.900 sur la même période de 2024. Cette hausse traduit une meilleure structuration, mais suscite des critiques d’ONG sur les conditions d’accueil et les garanties juridiques.
Économiquement, l’équilibre de la balance commerciale, oscillant autour de 7,4 milliards d’euros d’échanges bilatéraux, masque des fragilités : le Maroc dépend encore à 65% des importations énergétiques et à 72% des technologies de pointe issues de France et d’Europe pour ses secteurs stratégiques. La pression inflationniste globale et l’augmentation des taux d’intérêt pèsent sur le financement des projets d’infrastructure. De plus, la dette publique marocaine, qui s’établit à 70,8% du PIB fin 2024, limite la capacité d’endettement pour des investissements structurants si les conditions de marché se durcissent.
Au niveau juridique et administratif, les procédures de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles peinent à se généraliser. Les avocats, médecins et ingénieurs doivent encore passer des certifications longues avant de pouvoir exercer dans l’autre pays, freinant la mobilité des talents et la circulation des compétences. Malgré ces défis, les opportunités pour le Royaume sont multiples et portent sur des secteurs à forte valeur ajoutée.
Le programme Offre Maroc H₂, lancé début 2025, soutient six projets d’hydrogène vert dans la région de Guelmim-Oued Noun, pour un investissement total estimé à 319 milliards de dirhams (30 milliards d’euros). Ces projets mobilisent des consortiums franco-suédois, franco-norvégiens et franco-japonais, dont TotalEnergies, Engie, A.P. Møller et des partenaires marocains. Ce ferment industriel pourrait placer le Maroc en hub de production pour les marchés européen et subsahariens, tout en réduisant la dépendance aux combustibles fossiles.
Le partenariat avec BMCE Capital et des centres de recherche français a débouché, en mars 2025, sur un programme d’open innovation en intelligence artificielle et cybersécurité. Il prévoit l’octroi de bourses d’étude à 150 jeunes chercheurs marocains, la création de deux campus hybrides à Casablanca et Grenoble, ainsi qu’un fonds de capital-risque de 50 millions d’euros dédié aux startups maghrébines. Cette impulsion numérique soutient l’émergence d’écosystèmes locaux compétitifs, susceptibles d’attirer davantage d’investissements étrangers.
L’Agence française de développement a alloué 1,2 milliard d’euros en prêts concessionnels et subventions pour soutenir des projets d’eau potable, d’assainissement et de transport urbain entre décembre 2024 et mars 2025. Le chantier de la ligne à grande vitesse Tanger-Marrakech, cofinancé par un prêt de 400 millions, a franchi la phase de tests fin février, illustrant la montée en puissance de l’ingénierie franco-marocaine dans le ferroviaire. Par ailleurs, la mise en place d’un mécanisme de garanties publiques pour les PME innovantes vise à déployer 200 millions d’euros de prêts bancaires garantis d’ici la fin 2025.
Les coopérations dans le secteur agricole se sont intensifiées avec la signature de conventions entre l’INRA France et l’Institut national de la recherche agronomique du Maroc. Objectif : développer des variétés de céréales et d’arbres fruitiers résistants aux conditions arides, et valoriser les filières de transformation locale pour réduire les importations de produits finis et renforcer la sécurité alimentaire régionale.
Le nombre de liaisons aériennes directes entre la France et le Maroc a été porté à 24 routes régulières en janvier 2025, contre 18 fin 2023. Cette hausse contribue à la relance du tourisme – le volume de touristes français au Maroc a déjà augmenté de 22% sur le premier trimestre 2025, revenant aux niveaux de 2019. Le renforcement de la formation professionnelle dans l’hôtellerie et la restauration, via des partenariats entre écoles françaises et centres de formation marocains, prépare un vivier de 4.500 nouveaux diplômés aptes à répondre à une demande touristique croissante. Pour le Royaume, la clé sera de transformer ces opportunités en projets tangibles et durables, tout en préservant un équilibre macroéconomique solide et en consolidant sa position de trait d’union entre l’Europe et l’Afrique.
La question des visas pour les ressortissants marocains voyageant en France est source de tensions récurrentes. Comment évaluez-vous les efforts déployés par les deux parties pour résoudre cette problématique, notamment en ce qui concerne les délais de traitement et les conditions d’octroi ?
Sur le plan diplomatique, une feuille de route visée par les ministres de l’Intérieur a été validée en mars 2025, engageant la France à augmenter de 20% le nombre de visas «court séjour» attribués aux demandes jugées conformes, et le Maroc à renforcer les garanties d’authenticité des justificatifs fournis. Dans ce cadre, un dispositif de suivi des refus a été instauré: chaque dossier écarté fait l’objet d’une notification personnalisée et d’un conseil afin de préparer une éventuelle nouvelle demande. Cette mesure a sensiblement abaissé le taux de recours contentieux auprès des tribunaux administratifs, passé de 18 à 11% sur la période considérée, signe d’une plus grande transparence et d’une meilleure compréhension des motifs de rejet.
Pour autant, subsistent des enjeux majeurs liés à la saisonnalité des déplacements touristiques et à la mobilité étudiante. Durant les pics de février et mars 2025, la surcharge des plateformes de prise de rendez-vous a parfois généré des attentes dépassant 45 jours, suscitant la colère des associations étudiantes et professionnelles. Pour y remédier, la formation de personnel supplémentaire et l’ouverture de trois guichets temporaires lors de ces périodes de pointe ont été décidées, avec l’objectif de ramener le délai maximal à 25 jours dès le second semestre 2025.
Enfin, la question des visas de long séjour pour études et formation professionnelle fait l’objet d’une attention particulière. La signature d’un protocole en décembre 2024 a permis la mise en place d’un accélérateur de titres de séjour via un portail dédié, traitant prioritairement les demandes d’étudiants inscrits en universités partenaires et en écoles d’ingénieurs. Les résultats sont déjà palpables : sur les 8.400 demandes examinées au cours du premier trimestre 2025, 78% ont reçu une réponse favorable en moins de 15 jours ouvrés, contre 43% durant la même période de l’année précédente.
Ces efforts conjoints montrent une volonté claire de fluidifier les déplacements, de renforcer la confiance mutuelle et d’ajuster les processus administratifs pour répondre à l’ampleur du partenariat. Si les difficultés ponctuelles persistent, la dynamique engagée depuis décembre 2024 traduit une convergence d’intérêts et une capacité d’adaptation qui devraient, à terme, permettre de faire de la question des visas un point de coopération plutôt qu’une source de tensions.
Parmi les avancées notables dans la coopération entre Rabat et Paris, l’accord sur le rapatriement des Marocains sous OQTF. Pourquoi c’est important selon vous et ne pensez-vous pas que la question de l’identification pourrait le compromettre ?
La mise en place d’une cellule conjointe OQTF, qui se réunit mensuellement depuis janvier 2025, illustre cette logique de coopération pragmatique. Elle permet notamment de vérifier en amont la conformité des documents d’identité, d’accélérer le traitement des demandes et de planifier des vols directs sans escales intermédiaires, réduisant ainsi le délai de rapatriement de près de 30%. Pourtant, la question de l’identification s’impose comme un facteur potentiellement bloquant.
La question des obligations de quitter le territoire français (OQTF) appliquées aux ressortissants marocains met en lumière un dysfonctionnement profond de la politique migratoire et sécuritaire hexagonale : en cantonnant le Maroc au rôle de simple destination de renvoi pour satisfaire des quotas administratifs, la France se prive d’un allié crucial dans la lutte contre le terrorisme et le renseignement. Il est temps de changer ce logiciel et de reconnaître que derrière chaque dossier d’OQTF se cache non seulement un enjeu humain et social, mais aussi une opportunité stratégique pour consolider une coopération authentique en matière de sécurité. Plutôt que de traiter le Maroc comme une entité passive, destinée à accueillir des personnes «recalées» dans l’examen de leurs droits, Paris gagnerait à bâtir un partenariat fondé sur la confiance et le partage de renseignements, où les services français et marocains travaillent de concert pour identifier en amont les profils à risque et prévenir les radicalisations. Un véritable partage d’informations biométriques et d’analyses de parcours, assorti d’une coordination judiciaire renforcée, permettrait de rapatrier rapidement les individus sans risque vers le Maroc.
À cette fin, il conviendrait d’intégrer systématiquement tout dossier d’OQTF dans une cellule opérationnelle mixte, dotée d’experts francophones et arabophones, où des officiers de liaison marocains seraient habilités à participer aux enquêtes en temps réel, avec un accès sécurisé aux bases de données européennes. Ce dispositif, loin de se limiter à une gestion administrative des expulsions, créerait un flux d’informations continu entre Paris et Rabat, transformant chaque retour en une occasion de contrôle et de renseignement ciblés, ce qui aurait pour effet de renforcer la sécurité intérieure des deux pays. Par ailleurs, en valorisant le rôle du Maroc dans la réinsertion et le suivi post-retour, la France pourrait bénéficier de programmes conjoints de déradicalisation et de réintégration sociale, financés par des fonds européens pour la gestion des migrations, qui assureraient un suivi psychologique et professionnel des personnes rapatriées.
Enfin, une telle refonte du mécanisme OQTF contribuerait à restaurer la crédibilité de la France auprès de ses voisins méditerranéens, en montrant qu’elle privilégie l’efficacité et la rationalité opérationnelle plutôt que la gestion purement bureaucratique des migrants. En somme, pour que les OQTF ne se limitent plus à un instrument de comptabilité ministérielle, la France doit impérativement revoir sa stratégie, passer d’une vision unilatérale à une vision conjointe avec le Maroc, et faire de chaque dossier de retour une pièce maîtresse d’un partenariat durable en matière de renseignement et de lutte antiterroriste. Pour limiter ces risques, les deux pays ont prévu un renforcement du volet technique de l’accord : numérisation des registres d’état civil, formation commune des officiers d’état civil et intégration d’outils de comparaison d’empreintes digitales. Reste à suivre la montée en capacité des administrations et leur volonté politique de débloquer les crédits nécessaires.
Le rapprochement franco-marocain a exacerbé indirectement les tensions dans les relations franco-algériennes. Qu’est-ce qui a fait selon vous que la France ait fait le pari du Maroc aux dépens de l’Algérie, sachant qu’elle tenait depuis toujours à une posture d’équilibre ?
Ensuite, le contexte sécuritaire sahélien a placé Rabat sur un piédestal : la reconduction par la France de la force Takuba et le recours à des installations logistiques marocaines pour soutenir les opérations extérieures ont renforcé la coopération militaire bilatérale. En parallèle, Alger a décidé de suspendre en 2023 la plupart de ses accords de défense avec Paris, marquant ainsi une rupture qui, aux yeux de nombreux stratèges français, a justifié un recentrage sur un partenaire jugé plus fiable.
Le Maroc offre à la France un avantage stratégique évident par rapport à l’Algérie, d’abord en raison de sa stabilité politique interne, fondée sur une monarchie constitutionnelle qui, depuis plusieurs décennies, maintient un équilibre entre réformes graduelles et contrôle institutionnel, garantissant un environnement prévisible pour les investissements et la coopération bilatérale. Là où l’Algérie traverse régulièrement des phases de tension sur le plan diplomatique, susceptibles de modifier brusquement son positionnement international, le Maroc présente une trajectoire de gouvernance plus pragmatique, ce qui facilite la planification à long terme des projets conjoints.
Cette stabilité domestique s’accompagne d’une géostratégie particulière : positionné à la croisée des chemins entre Europe et Afrique, le Royaume chérifien s’est fait le promoteur de corridors continentaux, qu’il s’agisse du développement des infrastructures portuaires de Tanger Med ou des réseaux ferroviaires modernes reliant le nord et le sud du pays, et se pose comme porte d’entrée naturelle vers le marché africain, complémentaire de la façade méditerranéenne française.
Par ailleurs, Rabat a su nouer des partenariats avec une diversité d’acteurs internationaux – Union européenne, États-Unis, pays du Golfe – tout en préservant sa marge de manœuvre diplomatique, ce qui contraste avec l’approche plus verrouillée et moins flexible d’Alger. Sur le plan de la diplomatie de la paix, le Maroc a acquis une légitimité croissante dans la médiation du conflit israélo-palestinien : il a promu un modèle de dialogue direct, sans se soumettre aux tensions idéologiques habituellement exacerbées par certains pays du Proche-Orient, et a développé des canaux informels de communication, renforçant ainsi son image de facilitateur crédible. Cette posture, validée par plusieurs rounds de discussions interpalestiniennes, confère à la France un allié capable de relayer et d’amplifier ses initiatives diplomatiques.
Enfin, l’expertise marocaine dans la résolution des conflits africains puise sa force dans son enracinement historique sur le continent : le Royaume a contribué à plusieurs missions de maintien de la paix et a mis à disposition des plateformes de dialogue pour des crises allant du Sahel à la région des Grands Lacs. Les forces marocaines, aguerries par des exercices conjoints et des formations organisées en collaboration avec l’armée française, disposent d’une compréhension pointue des dynamiques locales, de la dimension culturelle aux circuits informels de pouvoir, atout que l’Algérie, en retrait de nombreux dispositifs multilatéraux, ne sait pas offrir avec la même régularité.
En somme, la combinaison d’une stabilisation politique interne, d’une géostratégie d’ouverture et de modernisation, d’une diplomatie proactive dans les conflits les plus délicats et d’une expertise opérationnelle éprouvée sur le continent africain confère au Maroc un statut de partenaire privilégié pour la France, capable d’associer efficacité et flexibilité, tout en offrant une passerelle tangible entre l’Europe et l’Afrique, fonction que l’Algérie, avec son modèle politique plus uniforme et son orientation diplomatique moins diversifiée, peine à remplir de manière aussi cohérente et continue.
La question du Sahara marocain pèse lourd : l’Algérie continue de soutenir le Front Polisario, ce qui constitue un problème irritant et persistant dans la relation franco-algérienne, d’autant plus que la France a reconnu en 2024 la souveraineté marocaine sur cette région. En adoptant cette position, Paris a voulu sécuriser ses intérêts géopolitiques – approvisionnement en phosphates, corridors énergétiques vers l’Europe et contournement des instabilités libyennes –, mais cela a été ressenti à Alger comme un désaveu. Dès lors, la préférence affichée pour le Maroc relève d’une vision pragmatique fondée sur la stabilité, l’efficacité opérationnelle et la vision à long terme que propose Rabat.
Globalement, les relations franco-marocaines sont caractérisées par une complexité multidimensionnelle, avec des périodes de rapprochement et de tensions. Quels sont, selon vous, les principaux enjeux et les défis qui pourraient influencer l’avenir de ces relations, et quelles sont les perspectives de développement à long terme ?
Sur le plan économique, la compétition croissante d’autres acteurs internationaux – Chine, Turquie, Russie – remet en question le monopole historique de la France dans certains secteurs. L’introduction de nouvelles lignes de crédit chinoises ou d’investissements turcs dans l’agro-industrie et les infrastructures portuaires constitue une mise en concurrence dont Rabat cherchera à tirer parti, sans rompre pour autant ses liens privilégiés avec Paris.
L’environnement régional, enfin, exige une lecture stratégique fine. La stabilité du Sahel, les recompositions diplomatiques en Afrique de l’Ouest et les enjeux de sécurité énergétique de l’Union européenne sont autant de paramètres qui vont influer sur la profondeur et l’orientation du partenariat. Dans ce contexte, la mise en place d’un dialogue stratégique quadripartite entre France, Maroc, Espagne et pays du Sahel est à l’étude, ouvrant la voie à un format élargi où Rabat jouerait un rôle de hub diplomatique.
Société civile, diaspora et diplomatie publique
«Les consulats et les ambassades s’orientent désormais vers la création de plateformes de concertation régulières avec des associations de la diaspora, des chambres de commerce et des think tanks franco-marocains, afin de co-construire des projets d’envergure – qu’il s’agisse de programmes de formation, de clubs d’affaires ou de forums interculturels – qui complètent les volets traditionnels de la coopération diplomatique. Cette approche ascendante, qui valorise l’initiative citoyenne, doit permettre de renforcer la légitimité des décisions prises au sommet en les ancrant dans la réalité des besoins et des opportunités identifiés localement», explique Yassine El Yattioui.
Parallèlement, au niveau institutionnel, un renforcement du cadre bilatéral est envisagé à travers la création d’un conseil consultatif mixte, composé de représentants élus de la diaspora, d’experts universitaires et d’acteurs de la société civile, qui se réunirait biannuellement à Rabat ou à Paris pour formuler des recommandations stratégiques et évaluer la mise en œuvre des accords. «Ce conseil pourrait mettre en avant des projets concrets, tels que des incubateurs binationaux dédiés à l’innovation sociale, des partenariats entre universités et ONG pour la recherche appliquée au développement durable, ou encore des initiatives de mentorat professionnel destinées aux jeunes générations franco-marocaines, facilitant ainsi leur insertion sur les deux rives de la Méditerranée», ajoute-t-il.
Sur le plan diplomatique, la diplomatie publique gagnerait à être repensée pour valoriser davantage ces acteurs non-étatiques : des événements culturels itinérants, des résidences artistiques et des programmes d’échanges linguistiques pourraient être cofinancés par les ministères des Affaires étrangères et enrichis par la participation active de la diaspora, favorisant ainsi un dialogue interculturel plus direct et spontané, relève M. El Yattioui. En parallèle, dit-il, l’instauration d’un réseau de «points France-Maroc» dans les régions françaises à forte présence marocaine – semblable à un réseau de chambres consulaires hors des consulats pittoresques – offrirait un guichet unique pour l’accompagnement des entrepreneurs, des étudiants et des porteurs de projets, tout en servant de relais pour les politiques publiques bilatérales. L’avènement des outils numériques et des plateformes collaboratives permettrait de dématérialiser cet espace de façon interactive, offrant des services à distance (conseils juridiques, rencontres virtuelles, financement participatif) et renforçant l’accessibilité pour les communautés éloignées des centres urbains.
La diaspora, pour sa part, pourrait jouer un rôle de catalyseur en finançant des projets pilotes dans les quartiers prioritaires de France, tout en diffusant dans ses réseaux marocains des modèles de gouvernance locale et de participation citoyenne issus de l’expérience républicaine française. À travers cette synergie renouvelée entre États, collectivités territoriales, acteurs privés et société civile organisée, le partenariat franco-marocain se mue progressivement en une «communauté d’action» à géométrie variable, capable de répondre plus efficacement aux défis du XXIᵉ siècle – transition énergétique, transformation numérique, inclusion sociale – et d’incarner un modèle original de coopération Nord-Sud, fondé sur la co-construction, la co-innovation et l’appropriation partagée des bénéfices.
Le partenariat économique entre Rabat et Paris a le vent en poupe
«La mise en place dès janvier 2025 d’un Comité d’investissement franco-marocain, réunissant représentants ministériels et groupements patronaux, a permis de piloter en temps réel l’avancement de six grands projets d’infrastructure portuaire et ferroviaire. Les engagements concrets se sont matérialisés par un prêt concessionnel de 350 millions d’euros de l’Agence française de développement pour la modernisation des terminaux à conteneurs de Tanger Med, suivi en mars d’une première tranche de 175 millions pour le prolongement de la Ligne à grande vitesse Marrakech–Casablanca. Parallèlement, la signature d’un accord-cadre sur les partenariats public-privé a encouragé la co-entreprise entre la Société nationale des Autoroutes du Maroc et un consortium français, structurant un programme de 1,1 milliard d’euros pour l’entretien et l’exploitation de cinq liaisons routières stratégiques», précise M. El Yattioui.
Les échanges de services ont également bénéficié d’ententes sectorielles : un protocole sur la formation professionnelle a créé trois centres mixtes d’apprentissage pour 1.200 apprentis par an, et un accord dans le domaine des technologies de l’information a abouti au lancement d’un incubateur franco-marocain à Rabat, doté de 20 millions d’euros de financements croisés. En l’espace de quelques mois, entre janvier et mars 2025, le montant des flux commerciaux a bondi de 16% côté français et de 12% côté marocain, renouant avec les pics d’avant-pandémie, relève Yassine El Yattioui. Pour lui, l’ensemble de ces instruments – protocoles techniques, mémorandums d’entente, comités mixtes et accords-cadres – a forgé un maillage institutionnel resserré qui favorise l’anticipation des besoins, la réduction des frictions et l’accélération des projets, consolidant ainsi un partenariat économique dont la robustesse se mesure tant à l’évolution des chiffres qu’à la profondeur des liens tissés entre opérateurs privés et autorités publiques.
Pour notre interlocuteur, le forum d’affaires Maroc-France, qui s’est tenu le 24 avril dernier, au complexe sportif Mohammed VI, est la matérialisation d’un climat économique positif et stimulant entre Rabat et Paris. Organisé conjointement par la Fédération Royale marocaine de football (FRMF), Bpifrance et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), ce rendez-vous a réuni plusieurs figures de premier plan, telles que Fouzi Lekjaâ, président de la FRMF, Laurent Saint-Martin, ministre délégué français chargé du Commerce extérieur et des Français de l’étranger, Mehdi Tazi, vice-président général de la CGEM, Olivier Vincent, directeur exécutif de l’Export à Bpifrance, ou encore Walid Regragui, sélectionneur de l’équipe nationale du Maroc. L’événement vise à anticiper les opportunités économiques majeures liées à l’organisation du prochain Mondial 2030, tout en favorisant l’émergence de nouveaux partenariats concrets entre les deux pays avec une expertise française suite à son expérience d’organisation d’événements internationaux récents : Euro 2016, Coupe du monde de Rugby en 2023, Jeux olympiques et paralympiques de 2024, afin d’être aux côtés du Maroc.