EXCLUSIF. Le rôle des ONG internationales dans la politique migratoire marocaine.
L’Union européenne a alloué 500 millions d’euros pour 2021–2027 afin de soutenir la SNIA, la protection des migrants, la lutte contre la traite et la sécurisation des frontières. Depuis 2014, la dynamique associative au Maroc a progressivement cédé la place à une approche axée sur l’intégration, visant des objectifs opérationnels tels que l’accès à l’emploi, à l’éducation et à la santé des migrants.
Selon une récente étude de Migrapress, une plateforme spécialisée dans l’analyse des politiques migratoires, l’Union européenne a, depuis 2014, favorisé l’emprise des ONG internationales sur la mise en œuvre des projets migratoires au Maroc, reléguant les acteurs locaux à un rôle secondaire. Ces organisations, principalement européennes, détiennent la majeure partie des financements et imposent leurs priorités, souvent sans consulter véritablement les collectivités territoriales et les associations marocaines.
Cette situation engendre un cadre où l’expertise technique des ONG internationales prédomine, tandis que les intervenants de terrain, pourtant les mieux placés pour comprendre les besoins des migrants, sont marginalisés. Les interventions, ainsi, prennent une forme bureaucratique, déconnectée des réalités locales et largement influencée par des agendas extérieurs. Ce déséquilibre limite l’appropriation locale des projets, restreint leur impact durable et freine l’émergence d’une politique d’intégration réelle portée par les communautés marocaines.
L’analyse de Migrapress retrace les responsabilités, dissèque les mécanismes de financement et laisse la parole à ceux qui subissent quotidiennement les conséquences de ce déséquilibre.
**Une gouvernance multi-niveaux et externalisée de la gestion migratoire au Maroc**
La coopération migratoire entre l’Union européenne (UE) et le Maroc repose sur un cadre stratégique renforcé depuis le Partenariat pour la mobilité signé en 2013. Ce partenariat, considéré comme la base des relations bilatérales, allie mobilité légale, lutte contre la migration irrégulière, mécanismes de retour et intégration de la migration dans les politiques de développement.
En juillet 2022, cette collaboration a été accentuée grâce à un Partenariat opérationnel contre le trafic de migrants, visant à améliorer la gestion des frontières, accroître la coopération policière et soutenir des actions de sensibilisation, en étroite collaboration avec les agences européennes.
D’un point de vue financier, l’UE a dédié 500 millions d’euros pour la période 2021-2027, afin de soutenir la Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA), la protection des migrants, la lutte contre la traite et la sécurisation des frontières. Une grande partie des fonds européens, administrée via des agences internationales, est destinée au contrôle des flux migratoires, au renforcement des frontières ou à l’appui de retours volontaires.
Les ONG internationales, souvent mandatées par l’UE, travaillent selon des cadres de résultats et des indicateurs qui mettent l’accent sur les « livrables » (nombre de retour, formations, bénéficiaires assistés) au détriment des besoins individuels ou communautaires. Les projets sont rarement issus d’un diagnostic participatif, et les migrants, y compris les Subsahariens vivant au Maroc, sont souvent considérés comme de simples bénéficiaires plutôt que des acteurs actifs dans les programmes, ce qui génère un sentiment d’infantilisation et d’instrumentalisation.
Un autre enjeu crucial réside dans la collecte de données sensibles par les ONG et ONGI, qui les intègrent dans leurs rapports sans garanties sur leur utilisation, stockage ou partage. Dans un contexte où la migration est fortement politisée, la diffusion de ces données peut poser des risques éthiques importants. La pression exercée par les bailleurs sur les ONG pour produire des chiffres incite souvent à accumuler des données sans questionner leur finalité ou leur impact sur les personnes concernées, ce qui conduit à la négligence des approches qualitatives essentielles pour comprendre les motivations migratoires et les dynamiques locales.
L’UE impose également des priorités géographiques basées sur des logiques de contrôle, se concentrant surtout sur les zones frontalières et les régions de passage, souvent en négligeant les besoins des acteurs locaux et des collectivités.
**ONG marocaines : de simples exécutantes dans la machine de la coopération migratoire**
Les ONG marocaines interviennent principalement en tant qu’exécutantes, assurant la mise en œuvre opérationnelle (sensibilisation, assistance juridique, services sociaux, réinsertion, hébergement) tout en étant souvent sous-bénéficiaires de financements pilotés par l’IOM, les agences onusiennes ou les ONG internationales. Des enquêtes montrent que l’accès des ONG locales aux contrats directs est très limité, avec des sous-subventions plus petites et une marginalisation dans la conception des projets.
L’architecture de financement favorise généralement des implémenteurs internationaux et des actions centrées sur la « sécurité/contrôle », limitant l’espace et la voix des ONG marocaines. Le processus d’accès aux financements donne l’illusion d’un système transparent, mais il est structuré par des rapports de pouvoir implicites et inéquitables, où de grandes ONG conservent la maîtrise de la conception et de la gouvernance des projets, laissant peu de place aux ONG locales.
Pour M.T, consultant marocain en migration, la situation a radicalement changé depuis 2014, lorsque la dynamique associative a évolué d’une lutte pour les droits fondamentaux des migrants vers une approche focalisée sur l’intégration, influençant la conception et la mise en œuvre des projets européens.
**Un partenariat sous tutelle : la gouvernance européenne des projets migratoires au Maroc**
L’UE exige des garanties strictes des ONG bénéficiaires, comme une solvabilité, une expérience solide et une capacité à gérer des budgets conséquents, ce qui exclut la majorité des petites organisations marocaines. Les ONG européennes bien établies, dotées d’une expérience d’interaction avec les institutions de l’UE, prennent souvent les rênes dans les projets migratoires. Dans les consortiums, même associés à des ONG locales, le déséquilibre persiste, créant une forme de dépendance où les associations marocaines jouent un rôle d’exécutantes.
Face à ces défis, les ONG marocaines optent souvent pour une approche pragmatique, intégrant les consortiums existants pour gagner en visibilité et en expertise, mais au prix de leur autonomie. Cela peut être perçu comme une opportunité de professionnalisation ou, pour d’autres, comme une forme de néo-colonialisme institutionnel.
**De l’aide conditionnée à la coopération sous contrôle : le Maroc redéfinit ses rapports avec l’Union européenne**
La relation entre le Maroc et l’UE est complexe, oscillant entre coopération stratégique et méfiance. Alors que Bruxelles présente ce partenariat comme un modèle, la réalité est marquée par des désaccords sur la mise en œuvre et les priorités. Les programmes de l’UE sont souvent conçus sans tenir compte des dynamiques locales, ce qui pousse les autorités marocaines à défendre une vision souveraine de la coopération migratoire, insistant sur la nécessité d’aligner chaque projet sur la réalité marocaine et les priorités de la SNIA.
Les autorités marocaines cherchent à s’affranchir du modèle d’aide conditionnée, en réaffirmant leur rôle d’acteur clé dans la gestion migratoire, refusant d’être traitées comme de simples bénéficiaires ou sous-traitants du contrôle migratoire. Elles souhaitent que les fonds européens soient utilisés concretement en respect des choix politiques nationaux.
Cette position s’explique par la volonté du Maroc de s’émanciper du modèle d’aide conditionnée, cherchant à se positionner comme un leader régional sur la question migratoire. Toutefois, cette indépendance se heurte aux rigidités des systèmes de financement européens, qui imposent des procédures lourdes et une centralisation qui limite la marge des institutions marocaines.
L’UE détient les ressources et le calendrier, tandis que le Maroc tente de redéfinir le sens et l’utilisation de cette coopération, créant ainsi une dynamique d’attraction-répulsion. Cependant, le Maroc n’est pas un partenaire passif; il maîtrise désormais la coopération, définissant les priorités et les modalités d’intervention afin de s’assurer que les projets correspondent aux réalités du terrain.
En résumé, cette évolution traduit un rapport de forces inversé où le Maroc conditionne de plus en plus la coopération aux reconnaissance de sa souveraineté et à la prise en compte de ses priorités internes.

