Maroc

Enseigner n’a pas d’âge : réforme sans âme pour une jeunesse sans avenir

Le ministère de l’Education nationale a annoncé le relèvement de la limite d’âge pour accéder aux concours de recrutement des enseignants de 30 à 35 ans. Le Comité de soutien à la pétition adressée au chef du gouvernement a dénoncé, dans un communiqué publié le 30 octobre, une mesure «toujours discriminatoire et anticonstitutionnelle», qui «perpétue une politique pénalisant les jeunes diplômés les plus touchés par le chômage».


Lorsque le ministère de l’Éducation nationale a annoncé, dans un ton conciliant, le relèvement de la limite d’âge pour les concours de recrutement des enseignants de 30 à 35 ans, l’opinion publique aurait pu interpréter cela comme un geste d’ouverture. En réalité, il n’en est rien. Cette décision, présentée comme un assouplissement, n’est qu’un replâtrage politique révélant une incapacité à écouter, à comprendre et à agir.

Loin d’apaiser la colère des jeunes diplômés, elle a ravivé l’indignation. Le Comité de soutien à la pétition adressée au chef du gouvernement ne s’est pas trompé. Dans un communiqué publié le 30 octobre, il dénonce une mesure « toujours discriminatoire et anticonstitutionnelle », qui « perpétue une politique pénalisant les jeunes diplômés les plus touchés par le chômage ». Ces mots, lourds de sens, montrent l’élargissement du fossé entre les promesses d’égalité et la réalité vécue par des milliers de Marocains formés, compétents, mais sans perspective.

Depuis plusieurs semaines, la question de l’âge limite pour intégrer les Centres régionaux des métiers de l’éducation et de la formation (CRMEF) a pris une ampleur nationale. Le ministère, en fixant d’abord la barre à 30 ans, a enflammé une colère sociale et symbolique. Tout en étant confronté à une telle onde de choc, la réponse du gouvernement aurait pu être à la hauteur : un dialogue sincère, une révision des conditions d’accès, une réflexion globale sur la précarité des jeunes diplômés. Au lieu de cela, il a choisi la demi-mesure, tentant de calmer la tempête avec une simple addition de cinq années.

Mais, comme le souligne le Comité, ce relèvement reste « injuste et anticonstitutionnel ». Le communiqué est clair : « Cette mesure porte atteinte au principe d’égalité des chances et accentue l’exclusion sociale de larges catégories de jeunes diplômés marocains ». Derrière cette décision technique se cache une philosophie de gouvernance qui trie, sélectionne et segmente, au lieu d’inclure et de construire.

Les mots du Comité résonnent comme un verdict. « Cet assouplissement ne fait que confirmer l’échec du gouvernement à proposer des solutions durables à la question du chômage chez les jeunes », écrit-il encore. Cette phrase constitue un reproche à un Exécutif qui, depuis des années, empile les réformes sans jamais aborder les causes structurelles du désespoir social. Le chômage des jeunes n’est pas une fatalité ; il résulte d’une politique discouragée, sous-finançant la formation et érigeant des obstacles administratifs à la place d’opportunités.

En fixant des limites d’âge à l’entrée dans le métier d’enseignant, le gouvernement s’enferme dans une logique d’exclusion absurde. En quoi un diplômé de 36 ans, riche d’expérience, serait-il moins capable d’enseigner qu’un jeune de 34 ans ? Cette obsession de l’âge reflète une confusion plus profonde : celle entre modernisation et uniformisation, entre sélection et injustice. Le Comité, à juste titre, y voit une atteinte directe aux principes constitutionnels. « Le droit au travail et à l’accès à la fonction publique est un droit constitutionnel, rappelle-t-il. Et il doit être garanti à tous les citoyens sans distinction fondée sur l’âge ou la situation sociale ».

C’est là tout le paradoxe d’un gouvernement qui se vante de moderniser l’école tout en fermant la porte à ceux qui souhaitent y contribuer. Plutôt que d’ouvrir les concours à tous ceux qui ont la vocation d’enseigner, il érige des barrières arbitraires. Cette option n’est pas neutre : elle exclut mécaniquement des milliers de jeunes qui, faute de débouchés ailleurs, considéraient l’enseignement comme un horizon d’utilité et de stabilité.

Le Comité affirme avec fermeté : « Au lieu de réfléchir à des mécanismes permettant d’améliorer et de renforcer l’école publique en intégrant les meilleurs profils issus des universités marocaines, le gouvernement a choisi de bloquer l’accès à ces jeunes de plus de 35 ans ». Ce constat est implacable. Il met en lumière une réalité que l’Exécutif évite : celle d’un système éducatif affaibli, incapable de recruter sur la base du mérite et encore moins de valoriser le capital humain produit par nos universités.

Ainsi, cette affaire ne se résume pas à un simple débat administratif sur un âge limite. Elle dévoile la faillite d’une vision politique de l’emploi et de l’éducation. Le communiqué du Comité agit comme un miroir : il reflète l’échec d’une gouvernance qui, par manque de courage, se cache derrière des décisions techniques pour masquer son impuissance sociale. Le gouvernement, selon le Comité, « perpétue la logique consistant à faire porter aux citoyens la responsabilité de l’échec des politiques publiques dans les domaines de l’éducation, de l’emploi et du développement ».

Aujourd’hui, la jeunesse marocaine ne demande pas des faveurs. Elle exige la justice et la cohérence. Elle réclame un État qui protège plutôt qu’un État qui restreint. Elle réclame une école qui recrute sur la compétence, non sur la date de naissance. Enfin, elle exige que l’égalité des chances cesse d’être un slogan pour redevenir une réalité. Le communiqué dénonce ainsi « une logique discriminatoire (…) qui tenterait de légitimer une séparation entre citoyens selon leur tranche d’âge ».

Le Comité de soutien, formé le 18 octobre dernier, s’inscrit déjà dans cette dynamique. Sa pétition, soutenue par un large mouvement citoyen, appelle « toutes les forces vives du pays — organisations de jeunesse, associations de la société civile, partis politiques, syndicats et personnalités nationales — à unir leurs efforts pour faire tomber cette mesure injuste et défendre le droit des jeunes Marocains à l’emploi et à une vie digne ». Cet appel transcende un simple texte. C’est une alerte, une invitation à repenser les fondements même de notre contrat social.

Au final, la question de l’âge n’est qu’un symptôme. Le véritable problème réside dans l’absence d’une vision politique cohérente pour la jeunesse, l’éducation et le travail. Le Maroc regorge de talents, de volonté et de jeunesse. Ce qui fait défaut, c’est l’écoute, la stratégie et le courage politique.

Relever la limite d’âge à 35 ans ne suffit pas. Ce qu’il faut relever, c’est le niveau du débat public, le sens de la responsabilité et le respect des principes constitutionnels. Car la seule limite qui s’impose aujourd’hui n’est pas celle de l’accès aux concours de recrutement des enseignants, mais celle de la crédibilité de ce gouvernement.

**Mehdi Ouassat**