Élections : lutter contre l’achat des voix, une nécessité démocratique

constituent un fléau qui mine le processus démocratique au Maroc. Au-delà d’un simple manquement à l’éthique électorale, ces pratiques affaiblissent la légitimité des institutions, altèrent la représentativité des élus et fragilisent la confiance des citoyens dans le système politique. Lorsqu’un vote peut être acheté, le choix des électeurs cesse de refléter leurs convictions, leurs attentes ou leurs besoins collectifs, et devient un bien transactionnel. Ce phénomène ne se limite pas à quelques cas isolés : il s’inscrit dans une dynamique structurelle où la précarité socio-économique, la faible culture politique et l’insuffisance de l’encadrement partisan se conjuguent pour transformer le suffrage universel en un mécanisme vulnérable à la corruption. L’impact est double : il affaiblit la qualité de la démocratie et compromet la crédibilité du processus électoral, sapant ainsi l’une des pierres angulaires de l’État de droit.
La précarité, un terreau propice
Le système électoral marocain accentue également cette dynamique. Le scrutin proportionnel plurinominal pour les élections législatives crée une compétition interne au sein des listes de chaque parti, tandis que la répartition des sièges selon le quotient électoral rend parfois l’achat de quelques voix décisif. Les candidatures individuelles pour les élections communales et régionales, centrées sur la personne du candidat, facilitent les transactions monétaires directes. De plus, les quotas réservés aux femmes et aux jeunes peuvent, selon le nombre de votes requis, offrir des opportunités pour des achats ciblés. Les pratiques d’achat de voix prennent différentes formes : distribution directe d’argent, de biens matériels tels que denrées alimentaires ou électroménager, ou offre de services comme des emplois temporaires ou des aides sociales. Elles sont souvent accompagnées de pressions sociales et communautaires, renforçant leur efficacité et compliquant leur détection.
Une responsabilité partagée
Le cadre légal marocain encadre strictement ces pratiques. Le Code électoral (loi n°9-97) prévoit des sanctions pour les actes de fraude électorale, y compris l’achat de voix, et encadre le financement des campagnes afin de limiter l’influence de l’argent. La loi organique relative aux partis politiques (loi n°29-11, modifiée par la loi n°07-21), impose aux partis des obligations de transparence sur leurs ressources et prévoit des sanctions en cas de financement frauduleux, pouvant aller jusqu’à la dissolution. Ces dispositions visent à réduire le rôle de l’argent dans le processus électoral et à garantir l’intégrité du système. Des cas jurisprudentiels illustrent la mise en œuvre de ces règles : par exemple, la Cour constitutionnelle a annulé les résultats des élections législatives dans certaines circonscriptions, comme Benslimane et Fès Sud en 2024, en raison de pratiques d’achat de voix. D’autres élections, comme celles de la Chambre des conseillers en 2015, ont donné lieu à des poursuites contre des élus pour des fraudes similaires. Ces décisions démontrent que les autorités marocaines disposent de mécanismes pour sanctionner les abus et préserver la régularité du processus électoral.
Concernant les électeurs, la loi prévoit également des implications juridiques. Bien que les sanctions ciblent principalement les personnes offrant de l’argent ou des biens, le Code électoral marocain stipule que les actes de corruption sont punissables, et les électeurs qui acceptent des incitations peuvent être poursuivis pour complicité ou corruption active, selon les circonstances. Ces dispositions soulignent la responsabilité des citoyens dans la préservation de l’intégrité du vote et renforcent l’importance de sensibiliser les électeurs aux conséquences légales de l’achat de leur voix. Des études et rapports, comme ceux de Transparency Maroc et de l’Institut national de la statistique et de la planification, montrent que l’achat de voix est plus fréquent dans les zones rurales et les régions économiquement défavorisées. La perception de la corruption y est très élevée, renforçant la vulnérabilité des électeurs et la tentation des candidats de recourir à l’argent pour s’assurer des suffrages.
Les moyens de lutte
Afin de renforcer encore l’efficacité de ces actions, l’État pourrait mettre en place un numéro vert ou une plateforme de signalement dédiée, permettant aux citoyens de dénoncer anonymement les intermédiaires et les tentatives d’achat de voix. L’anonymat réduit la peur des représailles, encourage les signalements et permet au ministère de l’Intérieur de concentrer les efforts de surveillance sur les zones à risque. Ce dispositif, intégré dans une stratégie globale incluant campagnes de sensibilisation, éducation civique et suivi rigoureux des signalements, pourrait jouer un rôle dissuasif important.
Contrôle et sensibilisation
Parallèlement, plusieurs mesures concrètes peuvent être déployées pour les élections législatives de 2026. Sur le plan réglementaire, le contrôle strict du financement des campagnes, l’imposition de plafonds et la vérification des dépenses sont essentiels, tout comme la publication transparente des financements des partis et candidats. Sur le plan opérationnel, le déploiement d’observateurs électoraux indépendants et la mobilisation des commissions de surveillance sont indispensables. Les médias peuvent relayer ces initiatives, dénoncer les pratiques irrégulières et diffuser des contenus pédagogiques sur les droits et devoirs électoraux. La société civile, enfin, peut former les observateurs, mener des campagnes locales et sensibiliser les populations vulnérables aux enjeux de leur vote.
L’enjeu est clair : seule une approche intégrée, combinant réformes réglementaires, encadrement politique, campagnes de sensibilisation et vigilance citoyenne, pourra garantir que le vote reflète véritablement la volonté des citoyens et renforcer durablement la crédibilité du processus démocratique au Maroc.
* Le contenu de cette tribune ne reflète par forcément le ligne éditoriale du journal «Le Matin».


