Maroc

Écoles pionnières : la recette, les acquis et les ambitions expliqués par Mohamed Saad Berrada

Alors que le Maroc poursuit sa quête d’une école publique équitable, performante et en phase avec les enjeux de son temps, le chantier des «écoles pionnières» s’avère être une piste prometteuse. Initié par Chakib Benmoussa et aujourd’hui porté par Mohamed Saad Berrada, ministre de l’Éducation nationale, du préscolaire et des sports, ce projet incarne la volonté politique de dépasser les logiques traditionnelles, pour ancrer durablement l’école marocaine dans une culture de résultats, d’exigence et de responsabilité. Cette vision a été exposé par M. Berrada Lors de son intervention dans l’émission «Maa Ramdani», diffusée la semaine passée sur 2M. En effet, à cette occasion, le ministre a levé le voile sur les contours opérationnels, les enjeux stratégiques et les ambitions de généralisation de cette réforme. Entre immersion territoriale, pilotage rigoureux, partenariat académique de haut niveau et validation internationale, le ministre RNI a défendu avec conviction ce «chantier national majeur».

Une réforme née du terrain et nourrie par une immersion régionale

Loin d’adopter une approche technocratique, la vision que prône aujourd’hui Mohamed Saad Berrada puise son essence, selon lui, dans une expérience de terrain, forgée par des réalités sociales marocaines. Car avant de prendre les commandes du ministère de l’Éducation nationale, l’intervenant rappelle qu’il était déjà investi dans le secteur éducatif à Sidi Moumen, territoire emblématique de la précarité sociale à Casablanca. C’est dans ce quartier populaire qu’a germé son premier engagement éducatif, centré sur la petite enfance. Il s’en souvient avec une certaine émotion : «À l’époque, il n’y avait pas d’enseignement préscolaire. On s’est demandé comment aider la société et notre région.» Ce diagnostic initial, fondé sur l’absence d’une offre éducative adaptée aux premières années de la vie, a nourri une approche pragmatique et territorialisée de la réforme, que le ministre continue aujourd’hui de porter à l’échelle nationale.

Le gouvernement lance le label «Écoles pionnières»

Dès sa nomination au sein de l’Exécutif, Mohamed Saad Berrada a choisi de garder cette méthode d’immersion directe. Pour commencer, il a entrepris une tournée à travers les douze régions du Royaume, visitant écoles, établissements pionniers, rencontrant enseignants et acteurs locaux, pour «confronter les ambitions politiques aux réalités du terrain». «Je suis allé voir la réalité sur le terrain. Un mois plus tard, les problèmes ont commencé à se dessiner et il fallait ajuster les choses», confie-t-il. Cette démarche basée sur l’écoute et l’observation l’a conduit à identifier les dysfonctionnements, mais aussi les marges d’innovation portées localement, notamment dans les zones rurales et les périphéries urbaines. Depuis lors, elle constitue la ligne directrice de son pilotage du projet des écoles pionnières.

Une généralisation progressive encadrée par une stratégie rigoureuse

Le programme des écoles pionnières, au cœur de la réforme ambitieuse conduite par le ministère de l’Éducation nationale, s’impose aujourd’hui comme un levier majeur de transformation du système éducatif marocain. Lancé initialement dans 600 établissements à titre expérimental, il a connu en 2024 une extension remarquable, touchant désormais 2.600 écoles et mobilisant plus de 1,3 million d’élèves répartis sur près de 40.000 classes. Cette progression soutenue s’appuie sur des partenariats solides avec des institutions prestigieuses telles que l’UM6P, le GIPAL (Groupement d’intérêt public de l’Académie de Lyon) et le MIT (Massachusetts Institute of Technology), témoignant d’une volonté politique affirmée de bâtir des établissements modèles, exemplaires tant sur le plan pédagogique qu’administratif.

Mohamed Saad Berrada, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : «En septembre 2025, nous viserons 4.600 écoles pionnières, soit la moitié des établissements scolaires du pays. Dès septembre 2026, ce chiffre montera à 70%». Ce calendrier ambitieux traduit l’objectif d’ériger les écoles pionnières non plus comme une expérimentation, mais bien comme le socle du futur modèle éducatif national.

Cette expansion concerne également le niveau du collège, longtemps identifié comme le point névralgique du parcours scolaire. Sur les 530 établissements ciblés, 230 ont déjà amorcé cette transition. L’approche, fidèle à la philosophie du projet, repose sur un recentrage sur les apprentissages fondamentaux, un accompagnement renforcé des équipes pédagogiques, ainsi qu’une évaluation continue et rigoureuse des acquis. Après avoir consolidé au primaire l’enseignement de l’arabe, du français et des mathématiques, le programme étend désormais son attention aux sciences de la vie et de la terre (SVT) et à la physique-chimie au collège, démontrant ainsi une progression réfléchie et cohérente des compétences scolaires.

Les ressources humaines au cœur de la réforme

Pour mener à bon port ce projet de refondation du système éducatif, Mohamed Saad Berrada mise gros sur les ressources humaines. Selon lui, il serait illusoire d’espérer une amélioration durable de la qualité de l’enseignement sans une réforme en profondeur de la gestion et de la valorisation du capital humain. L’enjeu est de disposer de profils capables de porter les exigences d’une gouvernance éducative moderne, fondée sur l’évaluation rigoureuse et l’agilité administrative.

Pour ce faire, cette réforme est accompagnée d’une mesure hautement symbolique et attendue : la revalorisation salariale du corps enseignant. Dans un contexte social marqué par le renchérissement du coût de la vie, le ministre affirme avoir pu décrocher une augmentation de 1.500 dirhams étalée sur deux années, portant ainsi le salaire de base à 7.000 dirhams mensuels. À terme, la grille salariale prévoit un plafond atteignant 15.000 dirhams en fin de carrière, traduisant une volonté claire de restaurer l’attractivité du métier d’enseignant, tout en inscrivant cette revalorisation dans une logique de mérite et de performance.

Une stratégie d’évaluation au service de l’excellence

Au cœur de la réforme, qui porte déjà ses premiers fruits, la question des apprentissages fondamentaux occupe une place stratégique. Le ministre souligne la nécessité de garantir à chaque élève la maîtrise des savoirs de base, condition sine qua non de toute réussite future, tant scolaire que sociale : «Les apprentissages de base, qu’il s’agisse de l’éducation physique ou de la langue, sont essentiels. Si l’élève ne parvient pas à les assimiler, il ne pourra pas réussir dans son parcours scolaire ni dans la vie», tranche-t-il.

Dans cette perspective, le système éducatif est désormais arrimé à un dispositif rigoureux d’évaluation périodique. Toutes les six semaines, les élèves sont soumis à des contrôles réguliers. Afin d’en garantir l’objectivité et la qualité, 20% de ces évaluations sont supervisées directement par des inspecteurs, avant d’être validées par un organisme indépendant. Cette architecture d’évaluation repose sur une logique de mesure continue des acquis, conçue pour prévenir les retards d’apprentissage et pour assurer un accompagnement pédagogique adapté aux besoins réels des élèves.

Et cette exigence de qualité trouve écho sur la scène internationale. Le ministre cite à cet égard un rapport émanant d’un groupe d’experts américains, pour le compte du Conseil supérieur de l’éducation, qui salue la pertinence du modèle marocain. Ce rapport met en exergue la cohérence et l’audace de la transition vers l’«école pionnière». Et Mohamed Saad Berrada ne manque pas de s’en enorgueillir, tout en insistant sur la crédibilité de cette reconnaissance : «Les Américains ne se livrent pas à la complaisance. Il s’agit donc d’un rapport objectif qui parle de la transition vers l’“école pionnière” comme d’un véritable progrès.»

Le décrochage scolaire, talon d’Achille du système éducatif

Mais malgré les progrès notables enregistrés dans le cadre de la réforme, Mohamed Saad Berrada ne dissimule pas les failles profondes qui persistent, en particulier le décrochage scolaire, véritable point faible du système éducatif marocain. Chaque année, ce sont près de 280.000 élèves qui quittent prématurément le collège, déplore le ministre qui s’alarme des conséquences lourdes sur le parcours scolaire et l’insertion sociale des décrocheurs. Parmi ces derniers, on compte environ 160.000 garçons issus majoritairement des zones urbaines, tandis que les filles sont les principales victimes de cet abandon en milieu rural, en raison notamment de l’absence de transports scolaires ou d’installations sanitaires adaptées.

Le ministre attire également l’attention sur un autre point sensible : l’état des infrastructures scolaires. Près de 500 établissements ainsi que 3.400 classes «satellites» demeurent encore privés d’accès à l’eau potable, un déficit qui rend les conditions d’apprentissage particulièrement difficiles pour des milliers d’élèves. Pour relever ces défis, le ministère de l’Éducation nationale a érigé la rénovation des établissements sous-équipés en priorité. Un plan ambitieux prévoit la réhabilitation annuelle de 2.000 établissements, avec pour objectif une couverture totale du parc scolaire d’ici 2027. Cette démarche s’inscrit dans une volonté d’améliorer durablement le cadre matériel, condition indispensable pour offrir un environnement propice à l’épanouissement des élèves et à la réussite éducative. Car il n’est pas question d’avoir un système scolaire à plusieurs vitesses. Une école de qualité est un droit fondamental qui doit être accessible à tous les enfants marocains sans exclusive.