Maroc

Dialogue social : l’UMT désabusée, la session d’avril s’annonce ardue

Le gouvernement prépare un nouveau round du dialogue social qui devrait s’étaler tout au long du mois d’avril. Joint par «Le Matin», le secrétaire général de l’Union marocaine du travail, Miloudi Moukharik, a confirmé l’information. Le secrétaire général de l’UMT, première centrale syndicale du pays, a déclaré avoir reçu un appel du Chef du gouvernement Aziz Akhannouch. « Il y a quelques jours, le Chef du gouvernement m’a contacté pour m’informer de son intention de relancer le dialogue social après l’Aïd», nous a-t-il confié. Face à cette annonce, le leader syndical affirme avoir immédiatement questionné le Chef de l’Exécutif sur l’ordre du jour. «Je l’ai interrogé sur l’ordre du jour de cette future réunion. Mais la réponse de Akhannouch fut diplomatique mais vague. Il m’a répondu que nous allions élaborer cet ordre du jour ensemble». M. Moukharik conclut avec prudence : «Nous attendons donc toujours cette invitation officielle».

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Une institutionnalisation du dialogue social qui peine à se concrétiser

L’annonce de la reprise du dialogue social intervient dans un contexte particulier. Depuis la signature de la Charte du dialogue social le 30 avril 2022, les centrales syndicales reprochent au gouvernement de ne pas respecter ses engagements. La Charte prévoit en effet clairement deux réunions annuelles (en avril et en septembre) qui n’ont pas eu lieu. «Il est regrettable que le gouvernement n’ait pas convoqué les partenaires sociaux aux réunions de dialogue social prévues, malgré l’existence de la Charte qui stipulait clairement deux réunions annuelles», a déploré M. Moukharik, qui ne mâche pas ses mots face à ce qu’il considère comme un «manquement» de la part du gouvernement «qui a failli à ses engagements».

Au-delà de ces réunions périodiques, la Charte prévoit également la création d’une Commission supérieure du dialogue social, un organe qui doit être présidé par le Chef du gouvernement et rassembler les secrétaires généraux des centrales syndicales ainsi que les représentants de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Cette commission devait traiter des «grandes questions et dossiers nationaux», selon les termes du secrétaire général de l’UMT. «Il est également déplorable que cette commission ne se soit jamais réunie, alors qu’elle aurait dû être consultée et accompagner plusieurs dossiers importants», poursuit le responsable syndical. Pour lui, le constat est sans appel : «Cette institutionnalisation dont parle le gouvernement n’a jamais été concrétisée. Elle a été simplement écartée sans aucune explication».

La réforme des retraites, un dossier explosif

Parmi les sujets qui devraient figurer au menu des prochaines discussions, la réforme des retraites occupe une place centrale. Sur ce point, la position de l’UMT est claire et tranchée, face aux propositions de la ministre des Finances, Nadia Fettah. «La réforme paramétrique que la ministre des Finances avait préparée il y a environ deux ans – qui propose d’augmenter l’âge de la retraite, de réduire les pensions et d’augmenter les cotisations – est totalement inacceptable», a martelé M. Moukharik.

Le leader syndical conteste fondamentalement le diagnostic posé par le gouvernement sur l’état des caisses de retraite. «On nous dit, ainsi qu’aux travailleurs des secteurs public et privé, que les caisses seront en difficulté d’ici 2028. Nous le répétons avec insistance : cette affirmation est fausse», a-t-il souligné avec conviction. Pour étayer son propos, il s’appuie sur des exemples concrets : «Certaines caisses ne connaîtront jamais de difficultés. Je cite toujours l’exemple du Régime collectif d’allocations de retraite et de la CNSS, qui présentent aujourd’hui des excédents et dont les fonds sont déposés à la CDG à des taux d’intérêt très faibles».

Une question de gouvernance plutôt que de financement

Pour l’UMT, le problème de la Caisse marocaine de retraite (CMR) relève davantage de la gouvernance que d’un manque de ressources. «Concernant la Caisse marocaine de retraite qu’ils prétendent en difficulté, le problème n’est pas un manque de réserves, mais plutôt un problème de gouvernance et de gestion», a argué M. Moukharik.

Ce dernier soulève alors une question qui, selon lui, illustre parfaitement le paradoxe : «Comment une caisse qui prétend être en difficulté peut-elle acheter des CHU au prix de 6,5 milliards de dirhams, avec un loyer qui sera déterminé ultérieurement ? Cela n’a aucun sens», s’est-il exclamé. D’où la position ferme de l’UMT : «S’ils ont besoin de liquidités, qu’ils cherchent ailleurs, et non au détriment des salariés et des ouvriers qui travaillent dans des conditions pénibles, que ce soit dans les champs ou dans d’autres secteurs difficiles».

Des centrales syndicales en ordre de bataille

La nouvelle session du dialogue social s’annonce donc délicate et les centrales syndicales semblent s’y préparer sérieusement. Selon des sources syndicales concordantes, les organisations ouvrières les plus représentatives prévoient de tenir leurs conseils nationaux dans les prochains jours pour discuter des dossiers qu’elles comptent mettre sur la table des négociations. Si l’ordre du jour définitif n’est pas encore arrêté, certains sujets semblent d’ores et déjà incontournables. Parmi eux figurent notamment «l’augmentation générale des salaires et la mise en œuvre des accords signés lors des sessions précédentes», rapportent ces mêmes sources.

Pour l’UMT, il est encore trop tôt pour dévoiler ses cartes. «Il est prématuré pour l’UMT de se prononcer sur l’ordre du jour ou sur nos revendications. Il est trop tôt pour évoquer quelles questions seraient éventuellement discutées – et je souligne bien ‘’éventuellement’’», a précisé M. Moukharik, laissant entendre que la centrale attend de voir les propositions concrètes du gouvernement avant de finaliser sa position. Cette prudence n’est pas sans raison. Après l’annulation de la session de septembre «sans préavis», comme le soulignent les syndicats, la confiance n’est pas au beau fixe. La reprise du dialogue social s’annonce donc ardue, avec des positions qui semblent, pour l’heure, difficilement conciliables, notamment sur le dossier explosif de la réforme des retraites.