Criquets pèlerins : le Maroc réactive ses centres de commandement face à la menace


Alors que des essaims de criquets pèlerins ont été repérés dès la mi-mars à Zagora, et plus récemment à Tata et dans d’autres régions du sud-est, le ministère de l’Intérieur a annoncé, samedi, la mise en place d’un plan de veille et d’intervention renforcé pour contenir toute propagation acridienne.
« Bien que la situation demeure sous contrôle et ne suscite pas d’inquiétude à ce stade, des mesures proactives et réactives ont été déployées », précise un communiqué officiel. La situation actuelle ne présente pas de caractère alarmant, insiste le ministère. Mais l’évolution rapide des conditions climatiques et la nature migratoire de ces insectes imposent une surveillance constante, notamment dans les zones traditionnellement propices à leur prolifération. « Le Maroc n’est pas un territoire d’invasion majeur, mais sa proximité avec les foyers actifs d’Afrique de l’Ouest et du Sahel impose un état de préparation avancé. Les zones les plus sensibles sont celles du sud-est, souvent premières exposées lors des migrations vers le nord », alerte le ministère.
Centres de commandement réactivés et logistique en alerte
Des unités spécialisées ont été mobilisées dans les provinces exposées, notamment celles de Figuig, Bouarfa, Bouanane, Boudnib, Errachidia, Ouarzazate, Zagora, M’Hamid El Ghizlane, Tata, Fam El Hisn et Smara. Des opérations de pulvérisation aérienne sont prévues pour circonscrire tout foyer détecté.
« Parmi les mesures mises en œuvre figurent la réactivation des centres de commandement dans les provinces concernées, la mobilisation de brigades spécialisées en repérage et en lutte antiacridienne, l’activation de moyens logistiques, y compris aériens, ainsi que la mise en alerte des stocks de pesticides », indique le ministère. Ces unités sont équipées de matériels adaptés, de pulvérisateurs motorisés et de produits phytosanitaires homologués. L’approche retenue privilégie la rapidité d’intervention tout en veillant à la préservation des équilibres écologiques locaux. « Toutes les opérations sont encadrées de manière à protéger la biodiversité, les ressources en eau, la flore et la faune locales », précise le communiqué.
La stratégie nationale inclut :
- La mobilisation de toutes les ressources humaines et matérielles disponibles,
- La mise en alerte des moyens d’intervention terrestre et aérien,
- L’activation de stocks de pesticides jugés « suffisants pour faire face à toute urgence »,
- Et surtout, la constitution d’équipes d’intervention rompues aux techniques de surveillance, de reconnaissance et de neutralisation des essaims.
Lorsque l’invasion est confirmée, le traitement consiste en la pulvérisation du pesticide sous forme de fines gouttelettes. L’épandage de ce pesticide se fait par différents moyens. Il s’agit, en premier lieu, des appareils de traitement montés sur véhicules où «toutes les commandes de ces pulvérisateurs sont installées dans la cabine pour une sécurité maximale de l’opérateur». Ces pulvérisateurs peuvent également être portés à dos par l’opérateur. Enfin, le matériel de traitement aérien s’effectue à l’aide d’hélicoptères et d’avions équipés de pompes. Au Maroc, trois types d’avion sont utilisés : Hercule C130, Air Tractor, Turbo Trush et PA 25 et deux types d’hélicoptères : Lama et Bell 205.
Un soin particulier est apporté à la préservation de la biodiversité et des équilibres écologiques, précise le ministère, qui insiste sur la nécessité de protéger les nappes phréatiques, les sols, la flore et la faune des zones concernées.
Des témoignages préoccupants sur le terrain
Dans la province de Tata, les dégâts sont déjà visibles. Les criquets ont non seulement touché les cultures, mais envahi les habitations, poussant les agriculteurs à demander une action rapide de l’État. « Nous risquons de perdre toute la production printanière si rien n’est fait rapidement », témoigne un producteur de la région de Souss-Massa. Les coopératives agricoles appellent à protéger les troupeaux et les ruches avant toute pulvérisation, rappelant que ce type d’intervention chimique doit être encadré pour éviter des conséquences sur les écosystèmes et la chaîne alimentaire locale. Des observations précises ont montré qu’un criquet peut consommer par jour en moyenne l’équivalent de son poids. Un kilomètre carré d’essaim dense compte environ 50 millions d’insectes qui peuvent donc dévorez chaque jour 100 tonnes de végétaux.
De son côté, le ministère affirme que les services techniques de l’État, en coordination avec les secteurs concernés, resteront mobilisés dans les semaines à venir. L’objectif est double : assurer un suivi rigoureux des foyers potentiels et intervenir rapidement en cas de signalement.
Un bulletin d’alerte de la FAO dès janvier 2025
La FAO avait alerté dès le mois de janvier sur la présence de criquets pèlerins adultes solitaires immatures dans plusieurs zones du sud marocain, notamment dans la vallée du Draa, au sud d’Assa, vers Foum Zguid, et au sud de Tata, où des accouplements ont été observés à la mi-décembre 2024. L’organisation, avait alors mis en garde, dans un bulletin d’alerte, contre les risques possibles :
- Des adultes matures en phase de reproduction ont été détectés.
- Risque de reproduction localisée à petite échelle, en particulier dans certaines zones de la vallée du Draa.
- Présence de conditions écologiques favorables.
Et de noter que « la FAO n’attend pas de développement significatif à grande échelle dans l’immédiat. Toutefois, de faibles effectifs de criquets devraient persister dans le sud-ouest du Royaume. Une surveillance renforcée et des opérations de lutte préventive sont recommandées dans les zones sensibles ».
Les criquets pèlerins, un danger connu au Maroc et toujours redouté
Le Maroc n’en est pas à sa première alerte acridienne. Depuis le début du XXe siècle, le Royaume a connu plusieurs épisodes marquants : en 1954, 1988, 2004 et 2019, des invasions massives ont ravagé les cultures sur des milliers d’hectares, entraînant des pertes économiques considérables. Historiquement, les régions du sud-est — du Tafilalet à Dakhla — sont les plus exposées à ces migrations saisonnières, souvent liées à la pluviométrie et aux vents du Sud. Les menaces sont aujourd’hui accentuées par le dérèglement climatique, qui favorise la prolifération des essaims dans les zones arides. Selon les experts, le Maroc devra inscrire durablement la lutte acridienne dans ses politiques de résilience environnementale.