Code de procédure pénale : plaidoyer pour une justice accessible aux Amazighophones


Quatorze ans après la reconnaissance officielle de l’amazigh dans la Constitution de 2011 et six ans après l’adoption de la loi organique 26.16, censée baliser son intégration progressive dans l’administration, l’éducation et la justice, les tribunaux marocains fonctionnent encore quasi exclusivement en arabe. Dans les commissariats, devant les juges d’instruction ou en audience, de nombreux justiciables amazighophones continuent de se heurter à une barrière linguistique insurmontable. Faute de traducteurs attitrés, des interprétations improvisées sont souvent sollicitées dans les salles d’audience. Un policier, un greffier ou parfois même un proche du justiciable est désigné pour faire le lien entre le magistrat et l’accusé. Une pratique dénoncée par les associations de défense des droits de l’Homme, qui pointent une violation flagrante du droit à un procès équitable, garanti aussi bien par la Constitution que par les conventions internationales ratifiées par le Maroc. Ainsi, l’un des points phares soulevés par le plaidoyer d’Arrehmouch concerne les auditions et les interrogatoires. Actuellement, lorsqu’un Amazighophone est interpellé par la police, rien ne garantit que son audition se déroule dans une langue qu’il comprend parfaitement. Cela peut non seulement fausser la procédure, mais aussi entraîner des décisions de justice biaisées. Pourtant, l’article 30 de la loi organique 26.16 prévoit explicitement que l’État doit assurer aux justiciables amazighophones le droit de s’exprimer dans leur langue et garantir un service de traduction sans frais supplémentaires. Une disposition encore trop peu appliquée.
Des propositions concrètes pour une réforme législative
Le mémorandum soumis par Ahmed Arrehmouch ne se limite pas à une simple dénonciation des lacunes du système judiciaire marocain. Il propose une série de modifications précises du projet de loi 03.23 (modifiant et complétant la loi 22.01 relative au Code de procédure pénale), visant à garantir aux justiciables amazighophones un accès effectif à la justice dans leur langue maternelle. Parmi les mesures phares de cette réforme, l’abrogation de la loi 3.64 de 1965 figure en tête de liste. Cette législation, héritée d’une époque où l’arabisation des institutions était la norme, impose toujours l’usage exclusif de l’arabe dans les tribunaux, en contradiction flagrante avec la Constitution de 2011, qui reconnaît l’amazigh comme langue officielle.
Le plaidoyer insiste également sur la nécessité d’adapter plusieurs articles du Code de procédure pénale pour y inscrire des garanties linguistiques claires. L’article 21, qui définit les missions des officiers de police judiciaire, devrait ainsi inclure l’obligation de prendre en compte la langue du plaignant ou du suspect et de recourir à un traducteur si nécessaire. De même, l’article 134, qui encadre la première comparution devant le juge d’instruction, devrait être modifié pour imposer à ce dernier de s’assurer de la langue maîtrisée par le mis en cause avant toute procédure. Le texte suggère également un renforcement du recours aux traducteurs assermentés durant l’instruction, en particulier à travers une modification de l’article 147, afin que l’absence de traduction ne puisse plus être ignorée ni compensée par des solutions improvisées. Enfin, le mémorandum réclame l’ajout d’une disposition explicite à l’article 751, affirmant que l’amazigh est une langue de procédure et d’accès à la justice au même titre que l’arabe.
Des financements en hausse, une mise en œuvre laborieuse
Le plaidoyer de Ahmed Arrehmouch, fort louable au demeurant, ne veut pas dire que rien n’est fait pour garantir au amazighophone un meilleur accès aux services de justice. Depuis 2022, l’État a progressivement augmenté le budget alloué à l’intégration de l’amazigh dans l’administration et la justice : 200 millions de dirhams en 2022, 300 millions en 2023 et 2024, et un milliard prévu pour 2025. Un effort budgétaire conséquent, mais qui, selon les défenseurs de la cause amazighe, ne se traduit pas encore en mesures concrètes dans les tribunaux et les services de police.
En janvier, à l’occasion du Nouvel An amazigh, la ministre déléguée chargée de la Transition numérique et de la réforme de l’administration, Amal El Fallah Seghrouchni, avait annoncé le recrutement de 464 agents amazighophones destinés à améliorer l’accueil et la communication avec les citoyens, ainsi que l’intégration de 69 opérateurs parlant amazigh dans des centres d’appel à travers le Royaume. Une initiative qui, selon de nombreux observateurs, reste insuffisante pour garantir une égalité linguistique effective, notamment dans l’accès à la justice.
De son côté, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, avait déjà annoncé que le ministère avait déjà consacré 250 millions de dirhams à ce chantier, avec plusieurs mesures concrètes en cours de mise en œuvre. Parmi celles-ci, le recrutement de 100 fonctionnaires amazighophones pour améliorer l’accessibilité linguistique dans les tribunaux, et la mise en place de programmes de formation en langue amazighe destinés aux magistrats et agents de justice. Le ministère prévoit également la numérisation progressive des documents judiciaires en amazigh, ainsi que l’installation de bornes interactives traduites en amazigh dans plusieurs tribunaux du pays. Par ailleurs, M. Ouahbi a annoncé le lancement d’un programme de formation de traducteurs judiciaires spécialisés, avec pour objectif de déployer au moins 200 interprètes dans les tribunaux d’ici 2026. Mais malgré les promesses, les obstacles demeurent. Pour beaucoup d’hommes et de femmes marocains, la justice est un monde opaque, non seulement parce qu’elle est complexe, mais aussi parce qu’elle leur est linguistiquement inaccessible. L’issue de ce plaidoyer dira donc si la justice sera garantie pour les millions de Marocains qui ne parlent que l’amazigh.