Maroc

Avec l’inflation, le Ramadan hors de portée pour de nombreuses familles marocaines cette année

Le Ramadan, mois sacré dédié à la prière, au jeûne et au partage, est chaque année un moment de rassemblement et de solidarité pour les Marocains. Toutefois, ces dernières années, ce mois d’abstinence se trouve confronté à un défi économique de plus en plus lourd : l’inflation. En 2025, cette réalité s’est exacerbée, avec des prix des produits alimentaires qui continuent de grimper, affectant gravement le pouvoir d’achat des ménages marocains. En effet, l’inflation, qui a commencé à se faire sentir bien avant le Ramadan, n’est plus une simple variation annuelle : elle s’inscrit dans une dynamique globale marquée par une incertitude économique, des hausses de matières premières et des déséquilibres entre l’offre et la demande.

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Face à cette pression croissante, les citoyens se retrouvent pris dans un tourbillon économique qu’ils peinent à maîtriser. Le mois de Ramadan devient ainsi un véritable casse-tête économique pour de nombreuses familles, déjà fragilisées par une inflation qui dure et qui impacte lourdement leurs habitudes de consommation.

Une inflation qui dépasse les frontières du Ramadan

Selon Bouazza Kherrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC), «depuis 2022-2023, l’inflation importée a conduit à une flambée des prix des produits alimentaires, impactant fortement les consommateurs marocains qui se retrouvent dans une situation d’inertie. Ils subissent cette inflation sans réaction immédiate, faute d’un encadrement adapté». Cette réalité s’explique en partie par un cadre législatif qui demeure déséquilibré : la Loi 104-12, qui accorde aux fournisseurs la liberté de fixer les prix, et la Loi 31-08, qui octroie aux consommateurs le droit au choix, mais ce dernier reste largement méconnu. Si ce droit était pleinement exercé, il pourrait inverser les rapports de force sur le marché, mais malheureusement, il conduit souvent à des erreurs fatales. En conséquence, la période précédant le Ramadan est marquée par une ruée vers les produits alimentaires, entraînant une hausse des prix allant de 2 à 6%, selon Kherrati. Ce dernier rappelle également un problème récurrent durant cette période : «Le Ramadan est devenu, au Maroc, le mois du gaspillage alimentaire par excellence». Ce phénomène, selon lui, est exacerbé par l’absence de régulation des prix et d’une gestion inefficace des stocks. Le manque de contrôle des prix conduit à une surconsommation, ce qui contribue directement à ce gaspillage.

Pour Rachid Essedik, président du Centre marocain pour la citoyenneté (CMC), le Ramadan est une période de consommation accrue, ce qui exerce une pression sur les prix. Cependant, cette hausse ne peut pas être attribuée uniquement à la demande saisonnière. «La tendance inflationniste dépasse largement le cadre du Ramadan et s’inscrit dans un contexte économique global marqué par une inflation persistante», explique-t-il. En effet, malgré une légère maîtrise de l’inflation, les prix des produits de consommation de base n’ont pas retrouvé leurs niveaux d’avant la crise, ce qui pèse directement sur les familles marocaines.

«Malgré un taux d’inflation aujourd’hui plus maîtrisé, les prix des produits prioritaires pour les Marocains ne sont toujours pas revenus à leurs niveaux d’avant l’inflation», ajoute Essedik. Selon lui, l’impact du Ramadan sur les habitudes de consommation est notable : «Les familles marocaines consacrent une part plus importante de leur budget aux produits alimentaires», accentuant ainsi la pression sur la demande et contribuant à la hausse des prix. Cette pression, combinée à la tendance inflationniste générale, entraîne des hausses de prix notables, particulièrement sur les produits les plus prisés pendant cette période.

L’offre face à la demande

Essedik met également en lumière un autre facteur crucial : «La hausse des prix ne résulte pas uniquement de la demande accrue, mais aussi de l’insuffisance de l’offre». En effet, la production locale, déjà fragilisée par des conditions climatiques difficiles, peine à suivre la demande intérieure. «Le maintien des exportations agricoles, alors même que la production locale est fragilisée par des conditions climatiques difficiles, réduit l’approvisionnement du marché intérieur et rend certains produits moins accessibles aux consommateurs marocains», explique-t-il. Cette situation, selon lui, aggrave l’inflation, mais n’est pas la seule cause. «La spéculation et les marges bénéficiaires excessives de certains acteurs économiques peuvent aussi jouer un rôle dans l’augmentation des prix», précise-t-il.

Le Ramadan modifie les habitudes de consommation des Marocains. En effet, les Marocains privilégient certains produits de base, comme les viandes, les fruits, le lait et le poisson. Essedik remarque que cette période de forte demande augmente encore plus la pression sur ces denrées. «On observe que de plus en plus de familles réduisent leurs achats en grande quantité et privilégient des alternatives plus abordables», ajoute-t-il. De plus en plus de familles cherchent à éviter les intermédiaires en se tournant vers les circuits courts et les marchés locaux, mais ces ajustements restent limités et n’atténuent pas entièrement l’impact de l’inflation sur leur pouvoir d’achat.

Des solutions pour éviter une crise

Face à cette situation, plusieurs mesures doivent être envisagées. Essedik appelle à une meilleure gestion de l’offre et de la demande : «Il est impératif de mieux encadrer les exportations agricoles afin de garantir qu’une part suffisante de la production nationale soit destinée au marché local, en particulier en période de sécheresse.» Il propose également la constitution de stocks stratégiques de produits de première nécessité, ce qui permettrait d’amortir les fluctuations des prix et d’assurer un approvisionnement stable.

Essedik plaide également pour un renforcement des contrôles sur les circuits de distribution afin de limiter les abus et la spéculation, bien qu’il avertisse que ces contrôles ne peuvent pas être la seule solution. «La régulation des prix, les contrôles stricts et les sanctions sont essentiels, mais cela ne suffit pas. Un débat public est nécessaire sur la Stratégie agricole nationale», souligne-t-il. «Voulons-nous une agriculture tournée avant tout vers l’approvisionnement du marché intérieur et la sécurité alimentaire des Marocains, ou privilégions-nous l’exportation au détriment de l’accès des citoyens aux produits de base ?», interroge-t-il. Pour lui, cette réflexion est essentielle afin de garantir un équilibre entre les impératifs économiques et le bien-être des citoyens marocains. Il appelle, par ailleurs, à une action conjointe entre les autorités publiques, les commerçants et les consommateurs. «Les autorités doivent mettre en place une politique plus transparente sur les niveaux de stock et les mesures prévues pour éviter des pénuries», conclut Essedik. Mais il est tout aussi crucial que les citoyens fassent preuve de responsabilité et adoptent une consommation plus rationnelle, afin de limiter la pression sur certains produits.