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Zurich : Prostitution, cocaïne, mixité… Bienvenue dans le Langstrasse, l’autre quartier rouge d’Europe

De notre envoyé spécial à la nuit tombée,

Dans la très sage Zurich, un quartier (rouge) a la réputation d’être le plus mal famé de toute la Suisse. Bienvenue à Langstrasse, artère centrale de la ville et qui, selon la rumeur, abrite tous les vices possibles. Plus d’un kilomètre de rue principale à croiser prostitution, dealers et pauvreté, mais aussi fêtes endiablées, tarifs presque abordables et un semblant de mixité sociale qui manque cruellement au pays. Une petite visite ?

18 heures : Première pinte et douche froide

« La réputation du quartier est un peu exagérée », sèche d’entrée Meret, cogérante du Roter Dolfin, l’un des premiers bars en arrivant sur place. Ce n’est pas dans tous les « quartiers rouges » qu’on trouve une chorale de Noël en train de chanter ou une agence de voyages pour partir à l’autre bout du monde. La Suisse, même sulfureuse, reste la Suisse.

« Tout ce qui se passe ici, un habitant de n’importe quelle grande métropole l’a plus ou moins déjà vu chez lui », poursuit la patronne. « Mais pour un Suisse, beaucoup plus dans la retenue, Langstrasse peut effectivement être impressionnant. » Illustration avec la décoration de son bar : des néons rouge façon Démons de minuit. Pas de quoi faire lever un sourcil « à un Parisien ou un Londonien, mais beaucoup d’habitants m’ont demandé si ce n’était pas trop osé. »

Ermet, cogérante, a osé une décoration rouge, de quoi choquer de nombreux Suisses
Ermet, cogérante, a osé une décoration rouge, de quoi choquer de nombreux Suisses - JLD/20 Minutes

Un peu déceptif pour le touriste à qui on a promis les sept cercles de l’enfer en dix minutes de marche… Mais Langstrasse n’en reste pas moins un incontournable : « On croise des gens qu’on ne verrait pas ailleurs, c’est l’endroit où aller quand on ne sait pas quoi faire ou qu’on espère des rencontres. »

19 heures : Le prix plus que la prostitution

La nuit est totalement tombée, et tout passant au pas un peu ralenti est soupçonné de chercher plus qu’une marche nocturne. Alors beaucoup pressent la marche pour aller se planquer dans le premier bar venu. Et ce ne sont pas les bons plans qui manquent.

Au Kir Royar, le demi est à « seulement » 4,60 francs suisses (5 euros), ce qui, de l’autre côté des Alpes, équivaut à une affaire. Ajoutez bien deux balles de plus et 50 décibels d’ambiance en moins dans les autres quartiers de la ville. « La moindre activité coûte tellement cher à Zurich malgré nos salaires, confie Elio, 32 ans et venu boire avec sa meute. Ce qui fait l’attrait du quartier, ce sont les prix, bien plus que les prostitués ou la drogue. Ça, ça fait juste frissonner les touristes des petits villages ».

23 heures : Le mauvais plan du strip-club

Alors qu’il nous avait promis par téléphone de répondre à quelques questions, Stéphane*, gérant d’un strip-club adjacent à l’artère, nous accueille dans son établissement avec un peu trop de poudreuse des Alpes dans le nez. Un mal qui n’est pas spécifique au quartier : cinq villes suisses figurent dans le classement des dix métropoles européennes qui consomment le plus de cocaïne, et le pays, bien aidé par ses hauts salaires, subit « une épidémie » de drogue dure, selon les autorités sanitaires.

Au Langstrasse, vous savez quand vous rentrer dans un endroit, pas quand vous en sortez - ni comment
Au Langstrasse, vous savez quand vous rentrer dans un endroit, pas quand vous en sortez – ni comment - JLD/20 Minutes

Très euphorique et plus vraiment en état de dialoguer, Stéphane nous invite à oublier un peu notre interview et à plutôt profiter des offres de son enseigne, nous poussant à côté d’un couple probablement échangiste. Ermet nous avait pourtant prévenus : « Langstrasse peut paraître un peu sage, mais il reste un côté où tout peut arriver, surtout lorsqu’on s’éloigne de la foule. » Encore plus quand on est seul. Ariana, 24 ans dont deux à officier, vient heureusement nous faire la conversation : « On a tous types de clientèle, locale comme nationale ou étrangère. Ils peuvent parfois simplement se détendre et boire du champagne, tous ne demandent pas un show privé. Et nous, on a des bons salaires et un travail encadré ».

23h30 : Eloge de la mixité sociale

Refuge est trouvée au Long Street, bar dansant. Et habillé. Un autre atout « pouvoir d’achat » du quartier. « Pour danser ailleurs, il faut souvent payer l’entrée », développe Tiago, d’origine brésilienne. Une entrée gratuite donc, et un regard moins insistant de la part des autres clients dans un pays plus blanc que les narines de Stéphane. « On peut un peu se mélanger », argumente-t-il, un verre à la main. Les différentes communautés de la ville, notamment latino, ont vite investi le quartier et certains bars pour s’y sentir bien.

Le Long street possède une entrée gratuite, même pour danser.
Le Long street possède une entrée gratuite, même pour danser. - JLD/20 Minutes

Si Langstrasse a un côté cour des miracles, il n’en produit que peu. La mixité tant promue a ici des allures de leurre : les milieux sociaux et les couleurs de peaux se côtoient, certes, mais sans vraiment se mélanger. Et les regards de faïence restent nombreux.

00h30 : Prostitution et gentrification

Passé minuit, de nombreux bars ont déjà fermé leurs portes. A Zurich, le « travail » de rue est autorisé dans quelques coins de la ville mais a toujours été officiellement banni à Langstrasse. « Malgré les interdictions, les travailleuses du sexe continuent dans cette rue car c’est l’artère centrale, très fréquentée, avec des clubs, des bars et une clientèle constante de passage », renseigne Carine Maradan, collaboratrice scientifique auprès de l’organisation ProCoRe, qui défend les travailleurs du sexe. A mesure que la nuit s’avance, ces dernières se font de plus en plus visibles dans l’artère. Et tant pis pour le risque d’amende, confie l’une d’elles : « C’est ici que la plupart des clients nous cherchent – et nous ne sommes jamais seules s’il y a un problème. Alors ça reste encore rentable de rester. »

Pour combien de temps ? Le quartier se gentrifie, des établissements toujours plus chics et propres sur eux remplacent les anciens squats, « et il est de plus en plus difficile pour les travailleuses du sexe de trouver des logements et des espaces pour travailler à des prix abordables. » La ville n’hésite pas à faire son beurre sur son « quartier rouge », proposant même des tours guidés dans cet épicentre de tous les maléfices, mais les politiques mises en place « veulent nous faire fuir et nous cacher au loin. On n’est pas assez clean pour Zurich. » Le frisson, oui, mais bien planqué sous le tapis.

Il est 1 heure du matin, reste un kebab à la viande douteuse. De quoi observer des hommes banquiers le jour venus dégommer leur sandwich comme leur premier salaire. Oui, il reste encore un peu de magie dans le. Langstrasse.

* Le prénom a été modifié