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Union européenne: le Pacte sur la migration et l’asile progresse, mais le cap d’une « Europe forteresse » restera inchangé

“Nous sommes prêts”, a de son côté déclaré la social-démocrate allemande Birgit Sippel, signalant aux États membres qu’il est temps, qu’eux aussi trouvent un compromis et arrêtent leur position sur l’ensemble du Pacte, afin de pouvoir entamer les négociations en trilogue. À travers celles-ci, le Parlement européen, le Conseil (des ministres des Vingt-sept) et la Commission devront trouver un terrain commun – une étape qui s’annonce aussi complexe –, avant d’entériner la nouvelle politique migratoire de l’Union.

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Progrès et… blocages au Conseil

Longtemps paralysés par leurs désaccords, les Vingt-sept ont certes progressé récemment sur ce dossier, s’accordant notamment sur le screening des migrants à la frontière de l’UE, qui vise aussi à évaluer rapidement leurs chances d’obtenir le statut de réfugié. Une procédure que le Parlement européen a aussi validé ce mardi – il était pressé de le faire depuis des mois par le Conseil –, tout en disant vouloir mieux veiller au respect des droits fondamentaux lors de ce screening, décrié par plusieurs ONG. Mardi, le CNCD a ainsi dénoncé “des procédures d’asile express” et une volonté de “bloquer, détenir, trier, voire expulser au plus vite les personnes exilées aux frontières”.

Mais certains sujets restent explosifs au niveau du Conseil, à commencer par le règlement de Dublin, qui impute la responsabilité de l’accueil et du traitement des demandes d’asile au pays par lequel les migrants entrent dans l’UE. Donc aux États en première ligne des flux migratoires (Italie, Grèce, Malte, Chypre…). Ce principe resterait la règle, même si le Parlement européen tient à ce que les liens familiaux des demandeurs d’asile soient davantage pris en compte pour déterminer l’Etat membre qui en sera responsable. Encore faut-il que le règlement de Dublin soit respecté par les premiers concernés, plusieurs pays à commencer par les Pays-Bas et la Belgique, se disant submergés par les “mouvements secondaires” de migrants qui poursuivent leur route dans l’UE.

C’est que le concept de “responsabilité” est directement lié à celui de la “solidarité” européenne envers les pays du Sud, qui disent en manquer cruellement. Il est question ici de la répartition équitable des demandeurs d’asile dans l’UE, dont certains Etats membres, en particulier de la Hongrie et de la Pologne, refusent d’entendre parler. Si dans sa proposition, la Commission avait opté pour une solidarité assez “flexible” (à travers des aides financières, etc.), le Parlement européen voudrait, lui, rendre la relocalisation de migrants un peu plus obligatoire – surtout en cas de force majeure, à savoir lorsqu’un État membre se déclare en situation de crise. L’outil “numéro un” – donc pas le seul – pour l’aider devrait être “la relocalisation obligatoire”, a insisté le socialiste espagnol Juan Fernando Lopez Aguilar, président de la commission Libé.

Tout comme il faudrait, estime-t-il, favoriser la redistribution de migrants sauvés en mer et débarqués dans un port européen. Le sort de ces personnes a été plusieurs fois au coeur des tensions entre les capitales européennes, en particulier entre Paris et Rome.

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Sur ces sujets sensibles, les Vingt-sept peinent encore à s’accorder. Or “il n’y a plus de temps à perdre”, a insisté la présidente du Parlement européen Roberta Metsola, l’objectif étant d’adopter le Pacte l’année prochaine. La Belgique, qui assumera la présidence du Conseil de l’UE de janvier à juin 2024, aura la difficile tâche de faire atterrir ce paquet législatif.

L’Europe, complice de crimes contre l’humanité ?

Cette avancée du Parlement européen, tombe à un moment où les rapports accablants s’accumulent au sujet de la politique migratoire de l’UE. Lundi, une mission d’enquête de l’Onu a dénoncé les “crimes contre l’humanité” dont les migrants sont victimes en Libye (détention, torture, esclavage sexuel, meurtre…). Ce, alors que l’UE finance depuis des années la formation de garde-côtes libyens et la fourniture d’équipements pour empêcher les départs de migrants vers l’Europe – le premier des cinq bateaux de patrouilles récemment financés par la Commission a été livré il y a trois semaines. “Nous ne disons pas que l’UE et ses États membres ont commis ces crimes. Le fait est que le soutien apporté a aidé et encouragé la commission de ces crimes”, a constaté un membre de la mission de l’Onu.

Pas plus tard que le weekend dernier, l’ONG SOS Méditerranée a accusé les garde-côtes libyens d’avoir tiré plusieurs coups de feu en l’air et menacé les équipes de son navire de sauvetage en mer, l’Ocean Viking, au moment où celui-ci voulait apporter de l’aide à une embarcation en détresse. Les 80 migrants qui s’y trouvaient « ont été brutalement interceptées et ramenées de force en Libye« , a dénoncé SOS Méditerranée.

Par ailleurs, dans son rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde publié mardi, Amnesty international salue l’accueil réservé par l’UE aux réfugiés ukrainiens, mais constate que pour des personnes d’autres régions du monde “les frontières de l’Europe sont restées des lieux d’exclusion, de danger et d’atteintes aux droits fondamentaux”.

Or si le Pacte sur la migration et l’asile doit permettre aux États membres de mieux gérer ce phénomène, le cap européen restera, lui, inchangé : tenir coûte que coûte les migrants loin des frontières de l’Union européenne. Lors du sommet de février dernier, les dirigeants des Vingt-sept ont d’ailleurs acté la direction, qui fait donc l’unanimité, vers une Europe forteresse.

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