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« Un pas très important »: que va changer le mandat d’arrêt émis à l’encontre de Vladimir Poutine?

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Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, la Russie a déporté des milliers d’enfants vers son territoire, comme l’a constaté mercredi une commission d’enquête des Nations unies. Il peut s’agir d’enfants qui étaient déjà placés dans des institutions ou qui ont perdu, même temporairement, contact avec leurs parents pendant les hostilités, ou encore dont la mère ou le père ont été détenus. Par ailleurs, constate l’Onu, un grand nombre d’enfants ont été déplacés depuis des zones occupées par les soldats russes (Kharkiv, Kherson, Zaporijia) vers des camps de vacances en Crimée et en Russie avec le consentement des parents. Sauf que ceux-ci sont ensuite obligés d’aller les récupérer en personne, ce que beaucoup n’ont pas pu faire. Entre 200 et 300 enfants ont pu être ainsi rapatriés. Mais selon l’Ukraine, 16 221 enfants ont été déportés vers la Russie – un chiffre que la commission d’enquête n’a pas pu vérifier.

Une pratique dont la Russie se vante

« C’est un problème grave, car on dépend entièrement de la bonne volonté de la Russie. Et c’est un problème urgent, car chaque jour un enfant est russifié« , constatait vendredi après-midi un diplomate européen, alors que le sujet fera l’objet de discussions des ministres des Affaires étrangères des Vingt-sept, lundi à Bruxelles. Les mineurs ukrainiens sont en effet placés dans des familles russes et dotés de la nationalité russe, Vladimir Poutine ayant adopté en mai un décret pour faciliter ce processus.

La Russie vante un effort patriotique et humanitaire. « La télévision russe parle ouvertement de la déportation et de la rééducation d’enfants. Cela fait partie de l’objectif d’élimination de l’identité ukrainienne », constate M. Labuda. Ce qui a en quelque sorte facilité la tâche de la CPI. Celle-ci se penche également sur la destruction délibérée par la Russie d’infrastructures civiles en Ukraine. Les résultats de cette enquête pourront aussi alourdir les charges contre Vladimir Poutine (et d’autres).

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Un pari risqué pour la Cour

Mais concrètement, que signifie ce mandat d’arrêt, que Moscou a déjà qualifié d' »insignifiant » ? « La principale difficulté pour la CPI est qu’elle ne peut pas engager de poursuites in absentia. L’affaire ne sera donc jugée que si la CPI parvient à faire arrêter Poutine ou Lvova-Belova », souligne Marieke de Hoon. Seuls les 123 pays (dont la Belgique) qui sont parties au statut de Rome ont désormais l’obligation de mettre Vladimir Poutine (et Alekseyevna Lvova-Belova) en détention dès qu’il mettra un pied sur leur territoire – ce qu’il ne risque pas de faire très prochainement… Le président russe pourra par contre toujours se rendre à Pékin ou à New Delhi sans être inquiété. Notez que certains de ses alliés, comme l’Afrique du Sud, ou le Brésil – dont la position vis-à-vis de Moscou reste ambivalente – sont, eux, censés respecter le mandat de la CPI.

En s’attaquant au chef de l’État russe, la Cour prend un risque majeur. D’une part, parce que « cibler directement le sommet de l’État peut compliquer l’obtention des preuves, auprès des personnes situées à des niveaux inférieurs du pouvoir », explique M. Labuda, tout en constatant que dans ce cas, la Russie ne cache pas cette pratique de déportation d’enfants.

D’autre part, les tentatives de la CPI – qui ne reconnaît pas l’immunité des chefs d’État – de s’attaquer à des hommes de pouvoir ont jusqu’ici échoué. Les poursuites contre deux dirigeants kenyans n’ont pas abouti.Accusé de crimes contre l’humanité, l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, a par exemple été acquitté. Tout comme l’ancien vice-président de la République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba qui avait été initialement reconnu coupable. Visé par un mandat d’arrêt en 2011, le dictateur libyen Mouammar Kadhafi est décédé sans avoir été jugé, tandis que son fils, également recherché, est en fuite.

Le poids de la politique

Le cas d’Omar el-Bechir, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI depuis 2009, illustre aussi à quel point la politique peut parfois éclipser le droit international. L’ex-président du Soudan n’a jamais été livré à la CPI, pas même lorsqu’il s’est rendu dans des pays (comme le Tchad) qui étaientparties au statut de Rome.

Dans le cas de Vladimir Poutine, le mandat d’arrêt peut compliquer la donne au niveau politique, au point d’en payer le prix. « Si le président russe devait se rendre en Belgique ou en France dans le cadre de négociations de paix, par exemple, les autorités auraient l’obligation de l’arrêter », résume M. Labuda. Si ces pays européens sont attachés au droit international, il existe des possibilités pour déroger à cette obligation, notamment par le biais du Conseil de sécurité. « La politique peut changer les choses », poursuit l’expert.

Quoi qu’il en soit, « le symbolisme de ce mandat d’arrêt est immense. C’est un moment Nuremberg« , insiste M. Labuda, en référence au procès intenté en 1945 par les forces alliées contre des hauts responsables nazis. « C’est un signal important pour tous ceux qui participent à cette guerre : la CPI vous poursuit« , confirme Mme de Hoon, y voyant aussi une mise en garde pour d’autres pays tentés de soutenir davantage Moscou. Avec le risque, identifié par M. Labuda, que « certains États, comme la Chine, y dénoncent un complot et une preuve de la mainmise de l’Occident sur la CPI. Les interprétations de ce mandat vont forcément varier à travers le monde. »