Turquie : La jeunesse anti-Erdogan défile à Istanbul après l’arrestation du maire et dans tout le pays

«Ceux qui nous gouvernent violent nos droits », lance Ara Yildirim, un étudiant stambouliote qui espère que les jeunes Turcs ne « lâcheront rien », au quatrième jour d’une vague de contestation déclenchée par l’arrestation du maire d’Istanbul. « Nous vivrons encore en Turquie dans 20, 30 ou 40 ans, nous devons tirer ce pays vers le haut », poursuit l’étudiant en médecine de 20 ans dans une des rues animées de Yeldegirmeni, un quartier alternatif du district de Kadikoy, un des bastions de l’opposition au président Recep Tayyip Erdogan sur la rive asiatique d’Istanbul.
L’arrestation mercredi du maire de la métropole, Ekrem Imamoglu, principal opposant au chef de l’Etat, a déclenché une vague de contestation inédite en Turquie depuis le grand mouvement de Gezi de 2013, parti à l’époque de la place Taksim d’Istanbul. Des dizaines de milliers de manifestants, souvent jeunes, se sont retrouvés vendredi soir devant la municipalité d’Istanbul. Surtout, des rassemblements se sont tenus depuis mercredi dans au moins 55 des 81 provinces turques, selon un décompte de l’AFP.
La police a procédé à 343 arrestations, a annoncé samedi le ministre de l’Intérieur, Ali Yerlikaya, énumérant les neuf villes, dont Istanbul, où elles ont eu lieu comme Izmir, Ankara la capitale, Erdrine et Canakkale dans le nord-ouest, Adana et Antalya dans le sud, témoignant de l’ampleur de la contestation. Le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), première force d’opposition à laquelle appartient Ekrem Imamoglu, a appelé à de nouveaux rassemblements samedi soir.
Un régime aux airs de « dictature »
« Si les gens ne lâchent rien, ça débouchera peut-être sur quelque chose de positif », espère Ara Yildirim, né à une époque où Recep Tayyip Erdogan était déjà Premier ministre. Son amie Inci Ercan, 19 ans, longs cheveux noirs aux reflets bleus, déplore elle aussi « le manque de libertés ». « Les figures politiques (d’opposition) finissent souvent en prison. Depuis que je suis petite, il y a des manifestations mais le gouvernement ne bouge pas. Les gens protestent, ils sont réprimés et ça s’arrête là », regrette-t-elle.
Cinquante mètres plus loin, au coin d’une rue où des concerts de casseroles ont eu lieu cette semaine en soutien au maire de la ville, Sevval estime que son pays vire à la « dictature ». « Nous voulons plus de droits, nous voulons vivre dans la liberté et la prospérité », clame cette vendeuse de 26 ans qui refuse de donner son nom de famille « de peur d’être fichée ».
La jeune femme est allée manifester jeudi devant l’hôtel de ville d’Istanbul et elle y retournera samedi soir. Elle pense que la contestation actuelle peut prendre de l’ampleur : « Nous avons davantage conscience des choses aujourd’hui et les réseaux sociaux jouent un plus grand rôle », expose-t-elle.
L’envie de quitter « ce merdier »
Koray, 25 ans, jure lui aussi qu’il ira manifester dimanche si le maire d’Istanbul, accusé de « corruption » et de « terrorisme », n’est pas relâché à l’issue de sa garde à vue samedi soir. « Je veux quitter la Turquie pour différentes raisons alors je veux aider à améliorer les choses tant que je suis ici », explique-t-il. « En tant que gay, je suis attaché à la question des libertés mais la principale raison pour laquelle les jeunes sont dehors c’est l’économie », affirme ce jeune qui peine à trouver un emploi. La Turquie traverse une grave crise économique et une inflation de plus de 35 % depuis trois ans.
De l’autre côté du trottoir, un petit square porte le nom d’Ali Ismail Korkmaz, un étudiant de 19 ans battu à mort en 2013 lors d’une manifestation du mouvement de Gezi. Assis sur un scooter, pull à capuche vert et tasse de thé à la main, Özkan, 27 ans, croit que la contestation en cours depuis mercredi peut dépasser celle de 2013, qui avait fini par s’essouffler. « Les jeunes veulent la justice, la démocratie. Ils ne veulent plus vivre dans ce merdier », lâche-t-il.