Syrie : Le captagon, « cocaïne du pauvre » et manne financière du régime de Bachar al-Assad
Surnommée « cocaïne du pauvre » ou « drogue des djihadistes », le captagon a été la source de nombreux fantasmes. Depuis le renversement du régime syrien de Bachar al-Assad par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), une certitude déjà bien documentée a été actée par les images : l’ancien gouvernement était à la tête d’un trafic d’ampleur à échelle étatique.
Découvrant des milliers et des milliers de pilules dans des hangars ou des bases militaires, le groupe islamiste à la tête du pays a promis de « purifier la Syrie ». Mais c’est quoi exactement le captagon ? Que sait-on de son trafic par Damas sous la dynastie Assad ? Comment HTS peut-il venir à bout du trafic ? 20 Minutes fait le tour de la question.
C’est quoi le captagon ?
Le captagon est une drogue de synthèse composée de fénétylline de la famille des amphétamines. « Ses effets, quoique moins puissants, sont similaires à ceux de la d-amphétamine », explique l’agence de l’Union européenne sur les drogues (Euda). On retrouve le sulfate de cette d-amphétamine sur les marchés européens sous le nom de « speed », la « cocaïne du pauvre ». Mais à l’origine, le nom du captagon vient d’un médicament psychotrope commercialisé dans les années 1960 par un groupe pharmaceutique allemand pour traiter le « trouble déficitaire de l’attention, de la narcolepsie et comme psychostimulant », développe l’Euda. On reconnaît ses comprimés par leur couleur blanchâtre et les deux demi-lunes gravées dessus.
Que révèlent les images de stocks découverts en Syrie ?
Ce n’était un secret pour personne, mais c’est désormais une certitude encore un peu plus ancrée : les vidéos et photos partagées par HTS montrent que le régime de Bachar al-Assad était un « narco état », il était à la tête de la plus grosse production et distribution de captagon au monde. Ces images démontrent également que « tout ceci était largement connu par la population, les lieux de production et de stockage, le régime n’en faisait pas mystère », note également Nicolas Tenzer, spécialiste des questions stratégiques et internationales, enseignant à Sciences po, auteur de Notre guerre (L’observatoire).
Un trafic sous l’autorité des proches de l’ancien dictateur syrien, son frère Maher al-Assad en personne, selon Caroline Rose, directrice au New Lines Institute for Strategy and Policy, interrogée par France 24, et avec l’aide appuyée du Hezbollah. Un commerce qui aurait généré 5,7 milliards de dollars (5,2 milliards d’euros) en 2021, selon le New Lines Institute, dirigés vers les poches du clan Assad.
« C’est l’une des explications de la chute si rapide du régime, c’était un était failli consacré à l’exploitation des richesses propres du clan plus que pour le pays », analyse Nicolas Tenzer. Ces preuves « mettent par ailleurs à mal les discours sur la prétendue stabilité du régime Assad », souligne-t-il.
Comment venir à bout de ce trafic ?
C’est l’une des nombreuses promesses de HTS : débarrasser la Syrie du captagon et des trafics liés à cette drogue. Le groupe a d’ailleurs commencé à partager des vidéos de destructions des stocks de pilules à l’image de la communication des polices occidentales quand elles mettent la main sur une large saisie de cocaïne ou cannabis. « Commencer par détruire les stocks et les unités de production », un bon début pour atteindre leur objectif, estime Nicolas Tenzer. Mais il faudrait également qu’un organisme indépendant puisse « superviser ces démantèlements », ajoute-t-il.
« C’était l’une des rares sources de revenus de l’Etat syrien » et sa destruction va causer un manque à gagner, ajoute à son tour Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie qui a milité pour une coopération entre les pays de la région sur la lutte contre le captagon. « Les nouveaux arrivants peuvent faire comme les talibans en Afghanistan qui ont lutté contre l’opium », mais ces derniers « ont mis la pédale douce car ils n’ont pas assez de ressources », nuance-t-il.
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Autre difficulté : les groupes implantés dans d’autres régions de la Syrie, comme les Kurdes dans le Nord ou les rebelles du Sud, qui pourraient avoir un regard « moins sévère » sur le trafic de drogue, prévient encore l’ancien ambassadeur. Alors, outre la destruction matérielle, Nicolas Tenzer appuie sur la nécessité de mettre en place « un Etat contrôlé avec une police, une justice, des services de renseignements intérieurs et des douanes qui fonctionnent ». Le risque, ensuite, c’est que la production et le trafic de captagon tombent entre de nouvelles mains, comme celles du Hezbollah ou de l’Iran car la demande existe toujours dans les pays du Golfe, premier marché de consommation du captagon.