International

Syrie : Entre champ de ruines et instabilité politique, quel retour possible pour les réfugiés ?

L’effondrement du régime syrien a signé ce dimanche la fin de cinquante-trois années de dictature féroce, partagée entre Bachar al-Assad et son père, Hafez. Un espoir pour les quelque cinq millions de Syriens qui ont fui leur pays et la répression sanglante de Damas. Si certains rêvent déjà de rentrer chez eux, d’autres ont fait leur vie dans leur pays d’accueil ou n’ont pas de foyer qui les attend. Pourtant, certains pays, notamment en Europe, poussent déjà ces exilés à retourner dans un pays où aucune stabilité n’est garantie.

L’Europe veut fermer ses portes (y compris la France)

A peine Bachar al-Assad envolé, de nombreux pays européens se sont empressés d’analyser la situation de leur point de vue national. C’est ainsi que moins de 48 heures après, les gouvernements allemand, autrichien, suédois, danois, norvégien, belge, britannique, suisse, italien et néerlandais ont décidé de suspendre les demandes d’asile des ressortissants syriens. L’Autriche est allée encore plus loin, annonçant aussitôt « un programme de rapatriement et d’expulsion vers la Syrie ». Epousant la même logique que ses voisins européens, le ministère de l’Intérieur français a indiqué lundi « travailler sur une suspension des dossiers d’asile en cours provenant de Syrie ».

Face à cet empressement, le Haut-Commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR) a appelé à faire preuve « de patience et de vigilance ». Même son de cloche pour la Commission européenne qui estime que les conditions ne sont pas réunies pour des retours en toute sécurité en Syrie, rapporte le site indépendant Euobserver. Le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, avait d’ailleurs souligné que la France avait « dit que le retour des réfugiés ne pouvait advenir que dans la mesure où ils pouvaient rentrer en Syrie en sécurité, la sécurité n’étant encore tout à fait assurée ».

13 millions de Syriens déplacés et réfugiés

Plusieurs vagues d’exil ont touché le peuple syrien. Mais la plus importante dans l’histoire du pays a commencé en 2011, quand le régime a commencé à réprimer avec violence le soulèvement de la population dans la lignée du Printemps arabe. A partir de 2015, des bombardements russes sur les civils, des exactions à terre des milices iraniennes et de l’installation d’un califat islamique à Raqqa, environ 13 millions de personnes au total ont fui leur maison, déplacés et réfugiés, sur une population de quelque 25 millions d’habitants, selon les chiffres de l’ONU.

Sur ces 13 millions, l’organisation estime que 4,8 millions ont quitté leur pays, selon les derniers chiffres de novembre 2024. La plupart ont posé leurs valises dans les pays les plus proches, comme la Turquie qui, avec près de trois millions de réfugiés, devance largement le Liban, la Jordanie ou l’Irak. L’Europe a également accueilli de nombreux Syriens, notamment au plus fort de la crise en 2015, l’Allemagne en tête avec environ un million de réfugiés syriens. La France, elle, en compte 45.000, selon l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

Attendre la stabilité avant de rentrer

La question du retour pour ces réfugiés dépend de nombreux paramètres. Certains ont réussi à reconstruire une carrière, à faire vivre leur famille, à scolariser leurs enfants et ne risqueront pas de tout quitter maintenant, estime auprès de 20 Minutes Adel Bakawan, chercheur associé au programme Turquie/Moyen-Orient de l’Institut français des relations internationales (Ifri). En revanche, concernant les Syriens installés au Liban [où la situation est plus qu’instable malgré le cessez-le-feu entré en vigueur entre le Hezbollah et Israël], « c’est probable qu’ils reviennent au regard des conditions économiques et sécuritaires déplorables », souligne encore notre expert.

En ce qui concerne les Syriens qui n’ont pas quitté leur pays mais ont changé de région, « il est peu probable qu’ils rentrent tout de suite, étant encore dans l’incertitude totale concernant la suite des événements. Ils rentreront seulement s’ils sont directement menacés là où ils résident ».

Rentrer mais où et vers quoi ?

« Pour pouvoir retourner chez soi, il faut absolument la reconstruction, la sécurité, la stabilité, donc un gouvernement et un contrat social qui respectent les minorités », avance Adel Bakawan. Et, pour le moment, l’incertitude domine et les Syriens craignent la répétition d’un scénario libyen ou yéménite. « Il y a au moins 500 micros et macros groupes en Syrie qui revendiquent leur opposition au régime, et ils sont tous lourdement armés », rappelle avec prudence Adel Bakawan, qui ajoute que le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui a renversé le pouvoir, « doit envoyer des messages positifs par des actes, et non des discours, à la communauté internationale pour qu’elle accompagne le pays dans sa reconstruction ».

Toutes nos infos sur la crise en Syrie

Ceci sans compter que beaucoup de réfugiés n’ont même pas un toit sous lequel s’abriter, alors que la Syrie n’est qu’un immense champ de ruines, éventré par des bombardements quotidiens depuis une dizaine d’années.