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Scandale en France : des pratiques mystico-érotiques au cœur de l’Église

L’Arche, une fédération d’associations fondée par Jean Vanier et qui accueille dans 38 pays des personnes ayant une déficience intellectuelle, avait en effet dévoilé en février 2020 un rapport interne mené par un organisme indépendant, affirmant que Jean Vanier avait eu avec six femmes adultes (et non handicapées), dont certaines vulnérables, “des relations sexuelles, généralement dans le cadre d’un accompagnement spirituel, et dont certaines ont gardé de profondes blessures”.

Lundi, une commission d’étude indépendante, mise en place en novembre 2020 par l’Arche internationale et composée de six chercheurs, a rendu ses conclusions qui portent aussi sur le dominicain Thomas Philippe, l’aumônier de l’Arche et père spirituel de Jean Vanier décédé en 1993.

« L’Église doit sortir d’une logique de pouvoirs »

Ce document de 900 pages, transmis à la presse, révèle que 25 femmes majeures, célibataires, mariées ou consacrées, non handicapées, ont été identifiées pour avoir “vécu, à un moment de leur relation avec Jean Vanier, une situation impliquant un acte sexuel ou un geste intime”, entre “1952 et 2019”.

”Certaines se sont présentées comme victimes d’une relation abusive, d’autres plutôt comme des partenaires consentantes d’une relation transgressive. Ces relations […] s’inscrivent toutes dans un continuum de confusion, d’emprise et d’abus”, a précisé l’Arche, dans un communiqué distinct.

”Emprise, abus sexuels, délire collectif, dévoiement de notions au coeur du christianisme, représentations incestueuses des relations entre Jésus et Marie” ont été les “mécanismes déployés” à la fois par Jean Vanier et Thomas Philippe, résume le rapport. Dans le communiqué, les responsables de L’Arche Internationale, Stephan Posner et Stacy Cates Carney, ont exprimé leur “consternation” et condamné “sans réserve, les agissements” des deux hommes.

”L’Arche reconnaît sa responsabilité de n’avoir su ni prévenir ces abus, ni les repérer, ni les signaler, et par conséquent, ni les faire cesser”, écrit l’association qui souligne cependant que les personnes accueillies dans le cadre de leurs maisons n’ont pas été impliquées ni touchées par ces pratiques.

Rendons hommage à Jean Vanier : changeons notre regard sur la fragilité.
©AP

Une gnose érotico-mystique

Ce premier février aux éditions du Cerf, l’historien Tangi Cavalin publie en France une importante enquête expliquant la manière avec laquelle le dominicain Thomas Philippe et son frère Marie-Dominique ont pu, pendant des décennies, mettre en place un véritable système d’abus spirituels et de violences sexuelles. Dans cet ouvrage intitulé “L’Affaire. Les dominicains face au scandale des frères Philippe, l’auteur enquête pour savoir comment l’ordre des dominicains, duquel relevaient les deux frères, a pu ignorer ce système d’emprises. “L’historien décortique la mécanique ayant permis aux deux hommes, condamnés par Rome en 1956 et 1957, de poursuivre leurs abus spirituels et sexuels pendant plus d’un demi-siècle, et de fonder une véritable nébuleuse sectaire ‘d’initiés’, dont le plus tragiquement connu d’entre eux est Jean Vanier”, écrit l’hebdomadaire français La Vie qui a pu lire cet ouvrage de 730 pages.

Les deux frères Philippe, explique l’auteur, ont profité des failles de l’institution ecclésiale “pour renvoyer les niveaux d’autorité dont ils dépendent dos à dos, dans un art consommé de la manipulation, résume La Vie. Le résultat est accablant car, à tous les niveaux, les pouvoirs vont se montrer inopérants.”

Par ailleurs, l’auteur souligne les mécanismes d’un “système” sectaire, fondé sur une gnose érotico-mystique perverse. On découvre “que Thomas Philippe entretient, depuis au moins 1942, des relations sexuelles avec des femmes qu’il accompagne spirituellement, assorties de justifications théologiques dans une emprise spirituelle très profonde”, synthétise de son côté La Croix. “Au départ, plusieurs scènes collectives ont eu lieu mais, par la suite, c’est au sein d’accompagnements individuels que se vivent ces ‘prières‘ où Thomas Philippe va jusqu’à demander à l’initiée de boire son sperme en lui disant ‘de boire ainsi au Cœur de Notre Seigneur‘”.

Fort de son aura spirituelle, ayant mis ses victimes sous une emprise psychologique, Thomas Philippe jouait de concepts théologiques flous et complexes pour soumettre ses victimes.