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« Quand est-ce qu’on déploie le nouveau variant ? »: ces messages Whatsapp de l’ex-ministre de la Santé qui agitent le Royaume-Uni

Le quotidien a eu accès à plus de 100 000 messages reçus et envoyés sur WhatsApp par l’ancien responsable de la gestion de la crise du Covid-19, et révèle depuis quelques jours les coulisses des décisions qui ont affecté la vie de millions de Britanniques. Ces conversations ont été transmises au Daily Telegraph par la journaliste Isabel Oakeshott, qui a rompu avec un accord de non-divulgation avec le ministre, qu’elle avait pourtant aidé pour la rédaction du livre, Journal d’une pandémie, paru en décembre 2022.

Samedi, le Daily Telegraph a ainsi publié un article intitulé «Le plan de Matt Hancock pour “faire flipper tout le monde” avec le Covid», qui révèle que le ministre espérait jouer sur la peur pour pousser la population à respecter les restrictions sanitaires. On y apprend par exemple qu’en juin 2020, le ministre déclare que pour que les gens «se comportent bien», «ce n’est peut-être pas une mauvaise chose» que la presse s’intéresse davantage à un rapport de l’université de Cambridge, montrant un taux de transmission élevé dans certaines parties du pays, plutôt qu’une étude de l’Imperial College London donnant des nouvelles plus positives.

"Quand est-ce qu’on déploie le nouveau variant ?": ces messages Whatsapp de l'ex-ministre de la Santé qui agitent le Royaume-Uni
©Photo News

«On peut tâter le terrain avec la nouvelle souche»

L’article du Daily Telegraph insiste notamment sur le fameux message du 13 décembre 2020, concernant la révélation du «variant du Kent». Matt Hancock discute avec son conseiller média, Damon Poole. A quelques jours de Noël, et donc des premières réunions familiales depuis le début de la pandémie promises par Boris Johnson, la crainte de ne pas pouvoir tenir parole et de décevoir l’opinion publique est grande. Le maire de Londres, Sadiq Khan, vient d’exprimer dans la presse ses reproches à l’encontre du gouvernement, au moment où les règles de confinement vont être durcies dans la capitale. «On dirait que Sadiq va nous faire une Burnham», écrit le ministre de la santé, en référence au maire du Grand Manchester, Andy Burnham, qui avait poussé un coup de gueule similaire lorsque le confinement avait été durci dans sa ville en octobre 2020.

«Yep. Les députés tories sont aussi déjà furieux à cette idée. L’édito du Mail on Sunday veut aussi nous en dissuader», lui répond son conseiller, avant de lui faire cette proposition : «Plutôt que de faire trop de déclarations en amont, on peut tâter le terrain avec la nouvelle souche.»

«On fait peur à tout le monde avec la nouvelle souche», lance le ministre, qui reçoit l’approbation de son conseiller : «Oui, c’est ça qui va faire changer les comportements.» Seule crainte pour Hancock, l’information pourrait finir étouffée puisque «le problème c’est que le Brexit est en train de prendre la une des journaux». Les négociations du Brexit, qui risquent de se solder par un «no deal», font alors les gros titres.

Après quelques minutes sans échanges de message dans la conversation, le ministre de la santé demande à Damon Poole : «Quand est-ce qu’on déploie le nouveau variant ?» Son conseiller rebondit en insistant sur la prudence nécessaire liée à une telle annonce. «Il faut qu’on garde les écoles à l’écart [des mesures de confinement]», rappelle Damon Poole, qui considère qu’il y a un «grand risque» que «les journaux de droite relancent le mouvement en faveur du “laissons les gens s’infecter” en partant du principe que la stratégie des vaccins est compromise». «C’est pour ça qu’on va les rassurer sur le vaccin», termine Hancock.

Il n’est pas question ici d’un variant que le ministre aurait inventé de toutes pièces pour faire peur à la population britannique quelques jours avant Noël (ni encore moins, comme certains complotistes l’interprètent, d’un variant qui aurait été «fabriqué» à dessein puis «déployé») mais plutôt du variant du Kent, également appelé variant alpha. A l’international, il sera connu sous le surnom de variant anglais ou britannique (et devient majoritaire sur le territoire français de février 2021 à juin 2021, avant de céder sa place au variant delta en juillet 2021). L’expression «déployer» utilisée dans le message se comprend ici comme le lancement d’une communication autour de ce nouveau variant qui a émergé les dernières semaines.

1 108 cas identifiés au 13 décembre 2020

Dès le 14 décembre, au lendemain de l’échange dévoilé par le Daily Telegraph, Matt Hancock annonce l’identification d’un nouveau variant : «Nous avons actuellement identifié plus de 1 000 cas avec ce variant, principalement dans le sud de l’Angleterre, bien que des cas aient été identifiés dans près de 60 collectivités locales différentes», indique-t-il aux parlementaires. Le communiqué de Public Health England, l’agence gouvernementale qui gère les urgences sanitaires, cite précisément 1 108 cas identifiés au 13 décembre 2020.

Si l’échange (dont on n’a qu’un extrait) donne l’impression que Matt Hancock a voulu jouer sur le calendrier ou miser sur l’effet d’annonce, il convient de préciser que la communication publique autour du variant intervient effectivement au moment où les autorités sanitaires prennent conscience de son émergence.

Le nouveau variant, qui était responsable début novembre de 28 % des infections au Sars-CoV-2 à Londres, était à l’origine de 62 % des infections au cours de la première semaine de décembre. Dans une enquête très fouillée publiée en mars 2021, l’agence de presse britannique Reuters revenait en détail sur la chronologie. On y lit que le 7 décembre, une première estimation suggère que le nouveau variant pourrait être 70 % plus transmissible. Le lendemain, alors que le pays lance sa campagne de vaccination, une réunion avec des experts de Public Health England évoque le risque que ce nouveau variant anéantisse les espoirs nés du vaccin. Décision est prise d’intensifier les recherches sur ce variant qui est encore nommé B.1.1.7. Mi-décembre enfin, soit au moment de l’envoi des messages puis de l’annonce publique, il est acquis que le variant est la cause de la forte remontée du nombre de cas dans le pays.

Le 19 décembre, quelques jours après l’annonce officielle de l’existence du variant, le Premier ministre, Boris Johnson, annule les retrouvailles de Noël dans la ville de Londres et une partie du sud et est de l’Angleterre, où de nouvelles restrictions sanitaires sont introduites.