« Plan de réarmement de l’Europe » : La Commission européenne outrepasse-t-elle ses compétences ?

Alors que le revirement de position des Etats-Unis vis-à-vis de l’Ukraine pousse les pays européens à revoir leur politique en matière de défense, la présidente de la Commission européenne a annoncé qu’elle allait prochainement présenter un « plan complet de réarmement de l’Europe ». Ursula von der Leyen a fait cette déclaration à la sortie du sommet de Londres, qui a réuni dimanche une vingtaine d’Etats de l’Union européenne pour affirmer leur soutien à l’Ukraine et discuter de la sécurité de l’Europe.
« Il est urgent de réarmer l’Europe, et pour cela je présenterai un plan complet de réarmement de l’Europe le 6 mars […] Nous devons vraiment augmenter massivement les dépenses de défense, et pour cela nous avons besoin d’un grand plan clair de la part de l’Union européenne », a déclaré Ursula von der Leyen auprès des journalistes (intervention complète ici).
Dans un message posté sur X dimanche soir, Marine Le Pen a réagi à ces déclarations en affirmant notamment : « La Commission européenne outrepasse totalement ses compétences. Comme à chaque fois, elle se sert d’une crise pour s’arroger des pouvoirs qui ne sont pas les siens, mais ceux des États. »
FAKE OFF
Contrairement à ce qu’affirme Marine Le Pen, encourager l’industrie de la défense fait bien partie des compétences de la Commission européenne. Comme l’explique Carolyn Moser, directrice d’un groupe de recherche à l’Institut Max Planck de droit public comparé et de droit international, spécialiste de l’Union européenne et des questions de défense : « La Commission peut encourager la compétitivité et l’innovation, y compris dans l’industrie de l’armement. C’est très clairement prévu par les traités organisons l’Union européenne que la Commission puisse prendre des mesures sur la question ». La spécialiste renvoie notamment vers l’article 173 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
De fait, il existe également depuis 2021 le Fonds européen de la défense, « dont l’idée est aussi de promouvoir l’industrie de l’armement en Europe », explique Carolyn Moser. Ce fonds est géré par un service de la Commission dédié à la défense : la direction générale de l’industrie de la défense et de l’espace (site Internet). L’année dernière, la Commission a également nommé son premier Commissaire à la Défense.
« Depuis 2022 et l’invasion de l’Ukraine, deux lois ont été adoptées au niveau européen, pour augmenter la production en munition et pour faire des achats communs, ajoute la spécialiste. Tout s’accélère en raison du contexte de la guerre, mais cette évolution n’est pas nouvelle, et a commencé après l’annexion de la Crimée en 2014. »
La Commission ne peut pas décider de l’envoi de troupes
Si l’industrie de la défense fait bien partie des compétences de la Commission, cela n’a pas toujours été le cas, et peut expliquer la remarque de Marine Le Pen. « Il y a encore 20 ans, la Commission n’était pas active en matière d’industrie de l’armement, explique Carolyn Moser. Mais à l’époque il n’y avait pas de guerre en Europe ».
Il faut aussi rappeler que si la Commission a des compétences pour ce qui est de l’industrie de la défense, ce n’est pas le cas pour la défense en tant que tel. « La Commission peut aider à financer des projets d’industrie de l’armement, mais ne va jamais décider de l’envoi de troupes », souligne ainsi la spécialiste. De plus, la Commission ne peut pas dicter aux Etats ce qu’il faut acheter ou produire. « Elle peut les inciter à produire et acheter conjointement, en les subventionnant par exemple. Mais les Etats peuvent toujours refuser. »