InternationalTunisie

Mariage forcé entre les banques suisses UBS et Credit Suisse

Après plusieurs jours de négociations frénétiques, le groupe bancaire Credit Suisse a été vendu à prix cassé à son concurrent UBS, avec la bénédiction des autorités suisses. Un mariage forcé, présenté comme inévitable et destiné à restaurer la confiance des marchés dans le système financier.

L’annonce a été faite dimanche soir à Berne, à quelques heures de l’ouverture des Bourses asiatiques. UBS, premier groupe bancaire suisse, va s’emparer de son principal concurrent, Credit Suisse, pour un peu plus de 3 milliards d’euros – soit le tiers de ce qu’il valait encore vendredi à la clôture de la Bourse. “Le système bancaire mondial entre dans une ère nouvelle et turbulente”, constate The Economist.

“L’accord, négocié à la hâte par le gouvernement suisse, marque la chute spectaculaire d’une institution vieille de cent soixante-six ans, qui fut autrefois un emblème de la fierté suisse”, observe The New York Times. “Il s’agit sans doute du bouleversement le plus considérable du secteur bancaire mondial depuis la crise financière de 2008, quand des géants financiers historiques avaient été acquis par leurs rivaux pour éviter des faillites catastrophiques.”

Si l’offre initiale d’UBS – 1 milliard de francs suisses – a finalement été revue à la hausse, le prix reste bien loin de la valeur réelle de Credit Suisse. “Le gouvernement suisse a pratiquement fait cadeau de l’un des fleurons de la finance du pays”, juge El Mundo.

Mais pour le président de la Confédération helvétique, Alain Berset, la fusion entre les frères ennemis, saluée par les banques centrales américaine, européenne et britannique, était “le meilleur moyen d’assurer la confiance” et “la stabilité de l’ensemble du système financier mondial”. Car la faillite de Credit Suisse aurait pu provoquer “des dommages économiques irréparables”, a renchéri la ministre des Finances suisse, Karin Keller-Sutter.

[embedded content]

*********

Garanties

“Credit Suisse perdait la confiance des investisseurs et de ses clients depuis des années”, estime CNN. Mais sa chute s’est précipitée “la semaine dernière, lorsqu’il a reconnu des ‘failles’ dans ses livres de comptes, alors que la disparition de Silicon Valley Bank et Signature Bank alimentaient les craintes à l’égard des institutions bancaires les plus fragiles”.

Pour convaincre la saine et profitable UBS d’absorber le canard boiteux Credit Suisse en un temps record et sans étude préalable, le gouvernement a offert à la banque une garantie de 9 milliards de francs suisses, destinée à couvrir toute mauvaise surprise, tandis que la banque centrale suisse a accordé une ligne de liquidités pouvant aller jusqu’à 100 milliards.

En d’autres termes, il a fallu “un mariage forcé”, garanti par l’argent des contribuables, pour sauver une banque “trop grosse pour faire faillite”, écrit The Wall Street Journal. C’est “exactement” le genre d’opération d’urgence que “les règles d’après 2008, nous avait-on dit, devaient empêcher”. Pour le quotidien économique américain, “le sauvetage de cette semaine a valeur d’avertissement : deux semaines après le début de cette nouvelle panique bancaire, le mode d’emploi d’après 2008 est déjà un échec”.

“Accord à l’arrache”

Mais en dépit de ses pieds d’argile, “Credit Suisse ne devait pas tomber !” s’insurge Le Temps, sonné par la disparition d’“un établissement qui a accompagné le développement de la Suisse moderne, entretenant le mythe d’une nation privilégiée, vouée à la réussite et à la prospérité”.

Dans son éditorial, le quotidien de Genève pointe du doigt les “occasions manquées” – notamment la séparation des actifs suisses et internationaux, réclamée depuis des mois par les actionnaires –, l’inaction et le paradoxal “excès de confiance” des autorités politiques et financières helvètes ces derniers mois.

Pour le Financial Times, en revanche, “les autorités suisses n’avaient pas vraiment le choix. Finalement, ce sont les propres clients de Credit Suisse qui ont scellé son sort, pas les investisseurs. Ils ont pris leur décision et ont retiré leur argent. La fusion avec UBS était la solution évidente que tout le monde avait tête.”

Le mariage n’en reste pas moins le fruit d’un “accord à l’arrache, via des mesures d’urgence”, remarque Le Soir : en temps normal, “les règles prudentielles suisses imposent une période de consultation de six semaines pour les actionnaires et un vote à l’échéance dans le cas d’une telle opération”. Mais pour boucler l’opération au plus vite, “les politiciens suisses ont réécrit les lois du pays en urgence, pendant le week-end, pour court-circuiter les actionnaires”, raconte The Daily Telegraph.

“Gabegie historique”

L’ espagnol El País s’inquiète pour sa part des conséquences de la fusion sur “la concurrence. Réduire de deux à un le nombre de grandes banques dans le pays permettra à UBS de dominer le marché sans quasiment personne en face”. Le quotidien madrilène évoque en outre les inévitables suppressions d’emplois. La direction d’UBS “n’a pas donné de chiffres” mais a promis de les communiquer au plus vite “pour ne pas prolonger l’incertitude des travailleurs”.

Enfin, pour la Tribune de Genève, la fin “indigne” de Credit Suisse reste “un gâchis social (pour les emplois), économique (pour la réputation de ce pays) et une honte politique pour des dirigeants trop lents à agir, à comprendre que les requins du monde anglo-saxon imposeraient des solutions radicales pour stopper un incendie qui menace de s’étendre chaque jour un peu plus”.

“La Suisse se retrouve aujourd’hui plus petite et revient à une forme de normalité bancaire”, ajoute le quotidien. “Ce n’est pas la fin de l’histoire, mais une gifle à sa fierté. L’économie suisse a profité durant des décennies de l’abondance des capitaux drainés par ses deux géants, avec des coûts d’emprunt plus faibles. Elle paie aujourd’hui le prix d’une gabegie historique.”

[embedded content]