Manifestations en Turquie : Nombreuses arrestations, maire en prison… Ce que l’on sait sur la situation inflammable

Depuis 2013, la Turquie n’avait pas connu un mouvement d’opposition d’une telle ampleur. Depuis l’arrestation d’Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul et principal opposant au président Erdogan, les manifestations se multiplient à travers le pays pour demander sa libération.
Plus de 1.130 personnes ont été interpellées par les autorités, qui ont interdit tout rassemblement dans les trois plus grandes villes du pays jusqu’à mercredi prochain. L’accès à la métropole est aussi restreint pour éviter à des personnes extérieures de rejoindre ces manifestations.
Une ampleur digne du Printemps arabe
Dimanche, comme tous les soirs depuis mercredi, des dizaines de milliers de manifestants ont envahi la place de la mairie d’Istanbul sous une forêt de drapeaux. Des incidents ont éclaté entre manifestants et policiers, avec usage de gaz lacrymogène.
« Vous serez vaincus ! » a lancé à la tribune l’épouse du maire, Dilek Imamoglu, en direction des autorités. « Ce que vous avez fait à Ekrem a touché un point sensible qui nous rappelle à tous vos injustices. » Les manifestations se poursuivent ce lundi à l’appel des étudiants, notamment à Istanbul et Ankara.
« Mon poignet est solide et vous ne pourrez pas le tordre »
L’élu, accusé de « corruption », ce qu’il réfute, a passé sa première nuit en prison à Silivri, en lisière d’Istanbul, au moment où son parti l’investissait candidat à la prochaine élection présidentielle, prévue en 2028. « Je suis là. Je porte une chemise blanche et vous ne pourrez pas la salir. Mon poignet est solide et vous ne pourrez pas le tordre. Je ne reculerai pas d’un pouce. Je gagnerai cette guerre », a-t-il dit dans un message transmis par ses avocats.
Le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), première force de l’opposition, avait maintenu dimanche une primaire à laquelle Imamoglu était le seul candidat. Le parti affirme que quinze millions d’électeurs ont pris part au vote ayant désigné l’élu emprisonné. « Ekrem Imamoglu est en route vers la prison mais il est aussi en route vers la présidence », a lancé Özgür Özel, le chef du CHP.
Des arrestations massives
L’arrestation mercredi de Emrek Imamoglu a déclenché une vague de protestation inédite en Turquie depuis le grand mouvement de contestation de Gezi, parti de la place Taksim en 2013. Des rassemblements ont eu lieu dans au moins 55 des 81 provinces turques, soit plus des deux tiers du pays, selon un décompte de l’AFP.
D’après le ministre de l’Intérieur turc, 123 policiers ont été blessés – et un nombre indéfini de manifestants. Au moins dix journalistes, dont un photographe de l’AFP, ont été également arrêtés à l’aube à leur domicile à Istanbul et Izmir (ouest), troisième ville du pays, a rapporté l’association turque de défense des droits humains MLSA.
Outre Emrek Imamoglu, près de cinquante coaccusés ont également été placés en détention dimanche pour « corruption » et « terrorisme », selon la presse turque. Parmi eux figurent deux maires d’arrondissement d’Istanbul, membres eux aussi du CHP. Les deux élus ont été destitués et l’un d’eux, accusé de « terrorisme », a été remplacé par un administrateur nommé par l’Etat, ont annoncé les autorités.
En réponse à la contestation, le président Erdogan a juré de ne pas céder à la « terreur de la rue ». Outre ces centaines d’arrestations, le chef de l’Etat a aussi demandé au réseau social X la fermeture de plus de 700 comptes jugés hostiles, « organismes de presse, journalistes, personnalités politiques, étudiants et autres… », selon l’équipe de communication du réseau.
Stupeur à l’international
« L’incarcération du maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu ainsi que de nombreuses autres personnalités constituent des atteintes graves à la démocratie », a déploré dimanche soir la diplomatie française, qui avait déjà condamné son arrestation mercredi.
À l’unisson, l’Allemagne, où vit la plus grande communauté turque de l’étranger, a condamné lundi l’incarcération et la suspension « totalement inacceptables » d’Imamoglu, Berlin y voyant un « mauvais signal pour la démocratie ». « Nous observons avec une grande inquiétude l’évolution de la situation en Turquie en ce moment », a dit à la presse Steffen Hebestreit, le porte-parole du chancelier Olaf Scholz, appelant Ankara à « clarifier [la situation] très rapidement et de manière très transparente ».
Notre dossier sur la situation en Turquie
Même son de cloche du côté de la Commission européenne, qui exhorte la Turquie à « respecter les valeurs démocratiques » : « Nous voulons que la Turquie reste ancrée à l’Europe, mais cela passe par un engagement clair en faveur des normes et des pratiques démocratiques », a affirmé un porte-parole de la Commission Guillaume Mercier.