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Malade, Alexandre Loukachenko laisse entrevoir une Biélorussie sans dictateur

Réapparu le 15 mai sur les écrans de ses médias d’État, le dictateur s’est montré fatigué, un bandage à la main gauche, lors d’une visite d’un centre de commandement militaire. Il avait déjà été aperçu affaibli le 9 mai à Moscou, où il avait atteint la tribune de la place Rouge grâce à un véhicule électrique. À Minsk, plus tard dans la journée, son ministre de la Défense avait dû prononcer le discours à sa place. “Il ne s’est rien passé d’extraordinaire : il est tout simplement tombé malade”, a finalement affirmé le député russe Konstantin Zatouline, vice-président du comité de la Douma chargé des relations avec les pays d’ex-URSS.

Le 14 mai, une clinique du centre de Minsk aurait accueilli Alexandre Loukachenko. Le quartier tout entier avait été bouclé par son service de sécurité. Ces disparitions inexpliquées sont plus courantes en Russie, où l’état de santé du président fait aussi l’objet d’un secret total. À chaque fois, il a été prêté à Vladimir Poutine des maladies, des vacances avec ses maîtresses ou des séances de chirurgie esthétique qui l’auraient poussé à éviter les caméras…

Plus le poids

Si Loukachenko semble bien avoir des problèmes de santé, les nombreuses rumeurs de cancer diffusées par l’Ukraine et les États-Unis sont avant tout l’apanage des dictateurs, dont le pouvoir repose sur la stabilité politique. Stabilité qui ne peut se permettre d’être troublée par des problèmes de santé. Ce qui n’a pas empêché plusieurs médias russes et ukrainiens de se poser la question de ce qu’il adviendrait de la Biélorussie si son leader disparaissait.

À Minsk, « un climat d’arbitraire et de peur »

“Toute personne qui viendra le remplacer aura de nombreux problèmes avec la promotion des récits russes”, explique Ivan Preobrajenski, docteur en sciences politiques russe, au média ukrainien Kanal 24. Car Alexandre Loukachenko mène un double jeu depuis toujours. Il répond à toutes les requêtes du président russe, tout en tentant de protéger l’intégrité de son pays au maximum.

Depuis les manifestations intervenues à la suite de sa réélection frauduleuse, qui avaient fragilisé son pouvoir en 2020, Loukachenko ne fait plus le poids face aux demandes incessantes de rapprochement du Kremlin. Le leader biélorusse, qui avait longtemps refusé l’installation d’une base militaire russe sur son territoire, vient finalement d’accepter la présence d’armes nucléaires tactiques russes. Le rêve de Vladimir Poutine de concrétiser son projet d’union rapprochée entre les pays prendrait forme, 28 ans après la naissance de ce projet sans cesse ralenti par Alexandre Loukachenko.

guillement

Si ça devait arriver, il est loin d’être certain que l’élite politique locale saurait profiter de sa disparition.

Le Kremlin a, à plusieurs reprises, utilisé le territoire biélorusse pour attaquer l’Ukraine. Mais les Biélorusses, culturellement proches des Ukrainiens, qui n’ont pas baigné dans la propagande russe ces dernières années, se sont bien gardés de participer activement au conflit. Si Alexandre Loukachenko venait à disparaître, “il est loin d’être certain que l’élite politique locale saurait (en) profiter. La Russie a une énorme influence sur la Biélorussie. Mais Loukachenko avait déclaré que ‘la souveraineté est très rentable’. Et de nombreux membres de la classe dirigeante biélorusse sont d’accord avec cette affirmation”, estime Ivan Preobrajenski.

Une invasion russe ?

Pour l’expert, ne resterait alors qu’une solution : l’invasion. “Mais comment tenir l’occupation ? Poutine devrait-il y transférer des troupes, qui font déjà défaut en Ukraine ? Serait-il capable de pousser les Biélorusses à lutter contre les Ukrainiens ? Si Poutine a sa raison, une disparition de Loukachenko n’est pas dans son intérêt.”

Côté russe, on balaie instantanément la possibilité d’une nation biélorusse indépendante. Tout en estimant qu’une scission des élites serait inévitable. “De toute évidence, la Biélorussie n’existerait pas en tant qu’État indépendant”, a affirmé le propagandiste en chef, Vladimir Soloviev. “Une ère de principautés disparates commencerait, comme cela se passe sur le territoire de la soi-disant Ukraine. Le pays serait déchiré entre des clans oligarchiques.” Et la Russie, qui ne laisserait jamais transformer le pays en “Maïdan ukrainien” (du nom des manifestations pro-européennes), prendrait rapidement le contrôle politique total de la Biélorussie.