Macron accuse Musk de vouloir créer une « Internationale réactionnaire » en Europe, mais quel est ce projet ?
Sans le nommer, Emmanuel Macron s’est attaqué en début de semaine à Elon Musk lors de la conférence des ambassadeurs à Paris. Selon le président français, en manifestant son soutien à différents partis d’extrême droite comme Reform UK en Angleterre ou l’AFD en Allemagne, le milliardaire tente de mettre en place en Europe une « nouvelle Internationale réactionnaire ».
Un terme utilisé depuis plusieurs années maintenant par les chercheurs spécialistes de l’extrême droite comme Erwan Lecoeur : « On observe depuis l’apparition d’Internet une internationalisation des nationalismes autoritaires, historiquement en désaccord et même en conflit, qui vont échanger des idées, des éléments de langage, des contacts… C’est l’apparition de la fachosphère. »
La collaboration physique n’est apparue que plus tard, avec l’intervention de grandes fortunes dont Elon Musk n’est que l’héritier : « On peut penser à Bolloré en France, mais aussi aux frères Koch en Belgique, qui ont financé de nombreuses campagnes de l’extrême droite. »
Steve Bannon avant lui
Ce n’est donc pas une idée nouvelle, même aux Etats-Unis, puisque l’expérience avait été tentée lors du premier mandat de Donald Trump. En 2019, c’est Steve Bannon, tout juste exclu de l’administration du président républicain, qui lance « The Movement », ainsi qu’une tournée en Europe à la rencontre des différents partis et dirigeants d’extrême droite. France, Italie, Hongrie, Bannon obtiendra le soutien de personnalités comme Viktor Orban ou Matteo Salvini. Quelques mois avant les élections européennes de 2019, ce projet avait pour objectif de créer une union soudaine afin de booster les scores de la droite radicale. Un échec, dans les scores et dans la méthode, qui n’étonne pas Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite.
« Le problème de Steve Bannon est qu’il arrive en Europe avec un prisme américain et pense que tous les partis vont l’écouter. Mais les Le Pen, les Salvini ne l’ont pas attendu pour obtenir des succès électoraux ». Trop de condescendance qui pousse alors les partis européens à s’éloigner progressivement de cette initiative.
Musk peut-il changer la donne ?
Le propriétaire de X semble avoir appris de ces erreurs et change de méthode : pas d’organisation mais un soutien virtuel, majoritairement sur son réseau social, en réagissant aux actualités politiques de chaque pays ciblé. « Il ne cherche pour l’instant pas à mettre en place une structure, explique Jean-Yves Camus, mais possède une fortune et une influence plus grande que Steve Bannon à l’époque. »
La question principale, selon lui, est de savoir si Donald Trump laissera une telle liberté à Elon Musk à compter du moment où il entrera à la Maison-Blanche. « A partir du 20 janvier, Elon Musk sera au service du président pour une mission très particulière. » En compagnie de Vivek Ramaswamy, Elon Musk sera à la tête d’une mission de réduction des coûts de l’appareil étatique, lui permettant de pousser son ultralibéralisme à son paroxysme. Impossible pour lui de partir en tournée en Europe avec cette étiquette, encore moins pour haranguer l’extrême droite européenne.
Aucun contact avec la France ?
Une des questions que se pose le politologue, c’est la raison pour laquelle aucun rapprochement public n’a pour l’instant été tenté par Elon Musk avec Marine Le Pen et le Rassemblement National. C’était pourtant avec le Rassemblement National, à l’époque le Front National, que le mouvement de Bannon s’était lancé. En mars 2018, il avait prononcé un discours au 16e congrès du Front National, pour l’une de ses premières grandes apparitions en Europe.
Pour Jean-Yves Camus, l’échec de 2018 a beaucoup appris a Marine Le Pen. « Elle a compris que la différence de culture entre l’extrême droite française et américaine était trop forte. Chez les nationalistes français, les Etats-Unis n’ont pas trop la côte. L’américanisation de la société, le consumérisme, le poids financier, culturel des Etats-Unis, ce sont des éléments qui sont critiqués par l’extrême droite. » Une Amérique toute puissante qui ferait perdre à la France ses « valeurs », son « importance », une rhétorique classique de l’extrême droite française.
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Un dernier point de désaccord selon lui porte sur des différences de programme majeures, sur la question du libéralisme : « Donald Trump a annoncé vouloir opérer d’énormes coupes dans le fonctionnement de l’Etat américain, ce qui va à l’inverse du programme du Rassemblement National, qui souhaite maintenir un Etat social fort… mais réservé aux nationaux. »