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Les propos d’Alexander De Croo sur les réglementations environnementales font écho à ceux des conservateurs européens

Lancé au début de la législature européenne, le Green deal, ou Pacte vert européen, est un vaste ensemble de textes législatifs qui guident les pas de l’Union européenne sur le chemin de la neutralité climatique et de la durabilité environnementale.

Comment la Commission propose d’amener l’Union européenne sur le chemin de la (r)évolution verte

Alexander De Croo estime qu’il faut se concentrer sur le premier objectif et mettre en parenthèse le second. Dans son collimateur se trouvent entre autres le renforcement des normes en matière d’azote – un sujet qui agite particulièrement les agriculteurs flamands et néerlandais – et d’autres textes actuellement en négociations concernant la restauration des écosystèmes ou la protection de la biodiversité.

Des nuances entre les discours de De Croo et de Macron

L’occupant de l’Elysée et celui du 16, rue de la Loi avancent peu ou prou les mêmes arguments pour justifier leur position : l’Union européenne en a déjà fait beaucoup, plus que ses voisins, et en demander davantage pénaliserait les entreprises du Vieux continent. Dans l’esprit d’Alexander De Croo, le mieux est l’ennemi du bien. Le Premier ministre belge dit redouter qu’on surcharge la barque des entreprises et qu’on en arrive à “une situation où il y a tellement de règles que notre industrie ne peut plus les gérer […] et alors nous ne tiendrons pas nos objectifs de réduction des émissions de CO2, car c’est l’industrie qui va devoir les mettre en œuvre”. Cet état de fait aurait selon lui pour effet pervers “de briser l’élan qui existe pour la lutte contre le changement climatique et entraîner un scepticisme généralisé” quant à l’action européenne dans ce domaine.

Sans surprise, ces propos ont été étrillés par les Verts. Bien qu’il siège au sein du groupe libéral-centriste Renew Europe dans lequel on retrouve notamment les eurodéputés de l’Open VLD… d’Alexander De Croo, le Français Pascal Canfin, président de la commission Environnement (Envi) du Parlement européen, ne partage pas non plus la position exprimée par le Belge. “Sur le fond, opposer l’action de protection de la nature et l’action pour le climat n’a pas de sens. Parce que restaurer la nature, protéger les zones humides, les écosystèmes, c’est aussi améliorer notre résilience climatique, et donc aussi agir pour réduire nos émissions et favoriser notre adaptation [au changement climatique]”, pointe l’élu macroniste. Qui insiste sur le fait qu’il y a plus que des nuances entre le discours d’Alexander De Croo et celui d’Emmanuel Macron. “Sur le plan politique, la France n’est pas dans une position de rejet d’aucun des textes qui fait l’objet de négociations en cours, que ce soit sur l’économie circulaire, sur la protection de la nature, sur les pesticides, etc.”. Bon.

Pascal Canfin ne rejoint pas non plus complètement Alexander De Croo quand celui dit que l’Europe use trop du bâton (la réglementation) et pas assez de la carotte (des investissements publics) pour amener les entreprises à l’évolution verte. “Les réglementations ne sont pas des bâtons, mais permettent la stabilité des investissements pour les entrepreneurs”, pose le Français. “Là où Alexander de Croo a raison, c’est qu’il faut avoir des financements européens correspondant aux objectifs”, ajoute le député européen, citant l’exemple de la création d’un fonds de souveraineté européen que la Commission doit proposer à l’été.

L’Union européenne confrontée à la réalité

Reste que les mots d’Alexander De Croo ne sont pas perdus dans le désert. Ils s’ajoutent aux critiques concernant la mise en œuvre du Green deal. “Nous sommes à un moment dans l’UE où nous sommes confrontés à la réalité. Nous nous sommes fixés des objectifs ambitieux et les atteindre réclame un effort important”, reconnaît une source européenne de haut rang. “Les entreprises sont sous pression : c’est ici que le prix de l’énergie est le plus élevé, de même que le coût du travail, la fiscalité est élevée et nous avons les réglementations vertes les plus développées. Mais je n’ai encore entendu personne remettre en cause l’objectif” de lutte contre le changement climatique, rassure la même source.

Le consensus est autrement plus fragile en ce qui concerne les volets du Green deal relatif à l’environnement. Ceux-ci sont la cible d’attaques de plus en plus fréquentes, et de plus en plus dures, venant de la droite de l’échiquier européen – se profile, déjà, la période électorale des européennes de 2024. Les conservateurs Parti populaire européen (PPE, le groupe le plus important du Parlement européen) réclament de longue date un moratoire sur les lois environnementales.

Assaut de la droite contre la législation sur la restauration des écosystèmes

Le dernier exemple en date de ce mouvement de résistance est le double rejet, mardi par la commission Agriculture du Parlement européen, puis mercredi, par celle de la Pêche, de la proposition de la Commission européenne sur la restauration de la nature, avec les voix des élus PPE mais aussi de membres du groupe Renew. Pascal Canfin dit constater “une crispation très forte de la droite sur le Green deal”, mais cherche à désamorcer la situation :La commission compétente du Parlement européen sur ce dossier est la commission Environnement et nous continuons à travailler sur une amélioration du texte, mais en aucun cas sur son rejet”.

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Le Green deal est un ensemble : si une pièce tombe, toutes les autres tombent

Le vote en “Envi” aura lieu à la mi-juin, après quoi ce sera aux États membres de prendre position – l’Italie et la Pologne ont déjà dit leur opposition. Le texte devrait être soumis à la plénière. Afin de faciliter le consensus, Pascal Canfin entend démonter “les rumeurs et les fake news” véhiculées sur le règlement “restauration des écosystèmes”, y compris “par le Premier ministre néerlandais Mark Rutte”. Le texte, selon ses opposants, empêcherait le développement de la production de renouvelables, ou réduirait de 10 % de la surface des terres destinées à la production agricoles. C’est faux, et il suffit de le lire pour s’en rendre compte, soupire Pascal Canfin. Et d’insister sur le fait que “rejeter ce texte qui transforme en législation européenne nos engagements internationaux pris en décembre par tous les États membres, quelle que soit leur couleur politique à la conférence de Montréal serait comme rejeter un texte climat qui traduit l’accord de Paris”.

”Vous ne pouvez pas dire que vous soutenez le Green deal mais pas l’ambition de restaurer la nature. Ce n’est pas un menu à la carte”, avait expliqué, le 22 mai, le n°2 de la Commission européenne, Frans Timmermans, chargé du Green deal, devant les membres de la commission Envi du Parlement européen. “Le Green deal est un ensemble : si une pièce tombe, toutes les autres tombent” , a défendu le Néerlandais. Les semaines qui viennent diront si cet avis est partagé par des majorités d’élus au Parlement européen et d’États membres au sein du Conseil.