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Les Britanniques sont privés de concombres, de poivrons et de tomates

Les supermarchés justifient leurs difficultés d’approvisionnement par “de mauvaises conditions météorologiques en Espagne et au Maroc, qui ont affecté la disponibilité de certains produits dans tout le secteur des supermarchés”, a fait savoir Lidl. Un argument repris par le gouvernement. Bien que le Royaume-Uni soit le seul pays européen dans cette situation.

Le Brexit n’explique pas tout

Pourtant, les étals de Da Giovanna, une épicerie italienne d’Islington, municipalité du nord de Londres, paraissent garnis. “Nous n’avons aucun souci pour nous approvisionner, même des tomates cerises noires, généralement plus compliquées à obtenir, et ce bien que tous nos produits viennent d’Italie”, assure sa patronne Veronica, étonnée que les Britanniques ne prennent pas en considération la saisonnalité des fruits et légumes. “Le Brexit n’a donc pas grand-chose à voir dans la pénurie actuelle des supermarchés, même si la hausse du coût du transport et du passage des douanes a fait augmenter les prix depuis deux ans.”

Installée sur le même trottoir, l’épicerie Food Bazar expose ostensiblement une montagne de tomates dans son espace légumes. “Effectivement, il y a moins de tomates, de concombres et de poivrons disponibles que d’habitude, mais je connais les distributeurs du marché au gros de Spitafields depuis plus de vingt ans, donc ils me mettent toujours des cartons de côté”, précise, tout sourire, son patron Ali Matur. “Pour cela, encore devais-je mettre le prix : je vends mes tomates cerises 8,99 livres sterling (10,15 euros) le kilo alors qu’elles étaient à 2,99 livres il y a six mois.”

En remontant la chaîne d’approvisionnement, la question financière se révèle centrale pour expliquer cette pénurie. “Il y a un an, la production d’un concombre nous coûtait 25 pence (0,28 euro)”, raconte Lee Stiles, le secrétaire de l’Association des producteurs de la Lea Valley. Dans cette zone agricole au nord de Londres, les quatre-vingt agriculteurs produisent 80 millions de concombres et 100 millions de poivrons par an, soit les trois quarts de la production nationale. “Avec la forte hausse des tarifs de l’énergie, notre coût de revient avait augmenté de 30 % , mais les supermarchés ont refusé de nous payer plus qu’avant. Ils ont donc opté pour des commandes plus importantes en Espagne et au Maroc.”

Le Royaume-Uni, un marché moins attractif

Au cours des dix dernières années, le Royaume-Uni a importé entre 43 % et 47 % de ses légumes frais, selon les chiffres du gouvernement. Mais les variations sont importantes selon les légumes : entre 80 % et 86 % des tomates consommées dans le pays sont importées. Si les supermarchés ont voulu accroître leurs commandes à l’étranger, les mauvaises récoltes en Espagne et au Maroc ne leur ont pas permis de compenser les commandes non passées auprès des producteurs britanniques. “Surtout que s’ils ont le choix, les producteurs européens et africains préfèrent désormais ne pas vendre aux supermarchés britanniques : il y a plus de documents à produire et d’attente à la frontière britannique, les supermarchés fixent des prix d’achat plus bas que ceux du continent et les camions reviennent aux trois quarts vides du Royaume-Uni, qui exporte moins vers l’Europe”, poursuit Lee Stiles. “De notre côté, comme nous ne plantons qu’à la commande, nous n’avons rien récolté aux alentours de la Saint-Valentin, comme c’est habituellement le cas.” Le moment où les tensions ont commencé à apparaître dans les grandes enseignes.

Pourquoi les supermarchés ont-ils choisi de ne pas augmenter leurs prix d’achat, quitte à les répercuter sur les clients pour préserver leurs marges ? “Les supermarchés préfèrent présenter des rayons vides et accuser le climat plutôt que de dire qu’ils refusent de mieux payer les agriculteurs britanniques”, analyse le représentant de la Lea Valley. “Nous sommes les premières victimes de cette stratégie : l’an dernier, 10 % de nos membres ont arrêté leur activité devenue non rentable. Mais le gouvernement refuse de s’en mêler.”

À plus court terme, la crise actuelle devrait durer au-delà de la fin mars, date avancée par le gouvernement. “Les producteurs viennent de replanter, pariant sur le fait qu’avec l’amélioration des températures, ils utiliseront moins d’électricité et que leurs coûts reviendront à des niveaux acceptables”, indique Lee Stiles. Pour le Gin Tonic et ses tranches de concombres, il faudra donc attendre les récoltes, prévues en mai.