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Le Monténégro va-t-il tourner la page Djukanovic ?

Milo Djukanovic, que l’on pensait indéboulonnable

Depuis, toutefois, la nouvelle majorité n’a cessé de se déchirer. Il est vrai qu’elle se composait de forces hétéroclites – depuis les pro-serbes du Front démocratique (DF) jusqu’aux écologistes du mouvement citoyen URA. Trois gouvernements se sont succédé et, depuis décembre dernier, le Premier ministre Dritan Abazovic, le chef d’URA, dirigeait un gouvernement technique ayant perdu la confiance du Parlement. Milo Djukanovic bloquait la nomination d’un nouveau mandataire, mais aussi celle des nouveaux membres de la Cour constitutionnelle, maintenant le pays dans un dangereux vacuum politique et institutionnel.

Le président se pose en ultime rempart face au “chaos”

Pour Milo Djukanovic, il s’agit de dramatiser l’enjeu, en se posant comme l’ultime rempart face au “chaos”. Pour la présidentielle, il fait campagne sur son prénom, avec d’immenses affiches proclamant “Milo, sinon qui ?”. Le chef de l’État cherche à se présenter comme le garant de l’orientation euro-atlantique du petit pays, qui a rejoint l’Otan en 2017, qui est candidat à l’adhésion à l’Union européenne (UE) mais qui serait menacé de tomber dans l’escarcelle des forces “pro-serbes et pro-russes”. En vérité, le risque est peu fondé : depuis 2020, le Monténégro n’a remis en cause aucun de ses engagements internationaux et mène une politique étrangère totalement alignée sur celle de l’UE, notamment à propos de la Russie.

Le candidat du DF à la présidentielle, le très radical Andrija Mandic, est l’adversaire que Milo Djukanovic rêverait d’avoir au second tour de la présidentielle, car il pourrait l’emporter contre lui mais, selon tous les sondages, c’est plutôt l’économiste Jakov Milatovic qui a de bonnes chances d’accéder à ce second tour, où il serait en mesure de battre largement le sortant.

”Andrija Mandic est activement soutenu par Belgrade, mais aussi, de fait, par Milo Djukanovic”, analyse la journaliste Milka Tadic, directrice du Centre pour le journalisme d’investigation de Podgorica. “L’intérêt de Milo Djukanovic est de jouer l’opposition identitaire, pro-serbes contre partisans de la souveraineté nationale, pro-russes contre pro-européens, mais cela ne prend plus.”

Le mouvement L’Europe maintenant a le vent en poupe

De fait, la candidature de Jakov Milatovic est présentée par le mouvement L’Europe maintenant, nouveau venu sur la scène politique, qui a triomphé lors des élections municipales de l’automne dernier. Il l’a notamment emporté dans la capitale Podgorica, même si l’élection de Jakov Milatovic a été bloquée par des recours déposés par le DPS, qui n’ont pas toujours pu être examinés, du fait du blocage de la Cour constitutionnelle. “Ainsi, le DPS a conservé le contrôle de la capitale quelques mois de plus, ce qui lui a permis d’embaucher des dizaines de cadres pour renforcer encore son système clientéliste”, poursuit Milka Tadic.

Si Jakov Milatovic emporte la présidentielle, le mouvement ne devrait pas avoir de mal à transformer l’essai aux législatives fixées au 11 juin, permettant au Monténégro de tourner pour de bon la page de l’ère Djukanovic, mais rien n’est acquis, et les “patriotes” monténégrins, manipulés par le DPS n’ont pas hésité à empêcher physiquement la tenue de meetings du candidat. “Je n’ai jamais pris dans ma voiture quelqu’un qui se dise prêt à voter pour Djukanovic et le DPS”, assure un chauffeur de taxi. “Pourtant, durant des années, ce sont toujours eux qui ont fini par l’emporter.”

Le succès de L’Europe maintenant s’explique par de fortes augmentations de salaires, décidées quand ses dirigeants, Jakov Milatovic et Milojko Spajic, étaient ministre du gouvernement formé fin 2020. “Ce sont des libéraux très populistes dont les mesures ont vidé les caisses de l’État”, soupire Milka Tadic, “mais les gens sont las des querelles identitaires et attendent des réponses concrètes à leurs problèmes : les plus petits salaires sont passés de 250 à 450 euros.”