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Le Liban pourrait-il « lâcher » Riad Salamé ? « Une page est en train de se tourner »

Agé de 73 ans, le patron de la BDL est mis en cause dans une série d’enquêtes judiciaires au Liban comme en Europe, pour des suspicions de blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite. Des soupçons qu’il rejette en bloc, se disant « innocent, jusqu’à ce que la justice prouve le contraire ».

Mercredi matin, Riad Salamé a dépêché son avocat afin de plaider auprès du juge Abou Samra que la délégation de juges européens n’assiste pas à son audition. Motif invoqué : « La présence de juges internationaux au Liban et l’instruction de dossiers financiers le concernant vont à l’encontre de la souveraineté nationale ». Une requête balayée par le magistrat libanais qui a estimé que « la mise en œuvre de la convocation internationale ne contredit pas le droit libanais et ne porte pas atteinte à la souveraineté libanaise », et a fixé une nouvelle audience ce jeudi matin.

Des questions transmises

Le gouverneur s’y présentera-t-il ? Rien n’est moins sûr. Car les juges européens, autorisés à assister à l’audition sans toutefois pouvoir l’interroger en personne au Liban, ont communiqué à leur homologue libanais une centaine de questions, soigneusement étudiées par le juge Abou Samra. Celui-ci s’est assuré qu’elles étaient bien conformes à la loi libanaise, selon l’accord d’entraide judiciaire réglementé par la Convention des Nations unies contre la corruption, ratifié par le Liban en 2009.

Au Liban, le gouverneur de la BDL est poursuivi depuis le 23 février, avec son frère et son ancienne assistante pour blanchiment d’argent, détournement de fonds et enrichissement illicite. Des poursuites qui ont soulevé de nombreuses questions au Liban quant à leur éventuel pouvoir de nuisance visant à parasiter les éventuelles poursuites européennes.

« Selon le paragraphe 25 de l’article 46 de la Convention des Nations unies contre la corruption, l’enquête ouverte par le juge Abou Samra pourrait retarder l’entraide judiciaire demandée par la justice européenne, car une telle entraide peut être différée par le pays requis (ici le Liban) si elle entrave une enquête, des poursuites ou une procédure judiciaire en cours sur le territoire de ce pays », explique le Dr Paul Morcos, directeur de la Fondation Justicia au Liban. Même si le magistrat libanais semble pour l’heure coopérant, « il peut à tout moment activer l’article 46 et décider plus tard que les deux dossiers (libanais et européens) sont contradictoires et cesser son entraide », précise l’avocat, qui émet des « doutes » quant à un tel scénario.

Une enquête entravée

Le juge Abou Samra avait été accusé par le passé d’avoir entravé une enquête portant sur le Premier ministre Nagib Mikati, lui-même très proche de Riad Salamé. Néanmoins, le Dr Morcos relève que « les enquêteurs européens peuvent tout à fait poursuivre leurs investigations sans entraide libanaise ». Avec un bémol : « Si un mandat d’arrêt peut être émis en dehors du territoire libanais, il ne serait pas exécuté sans coopération de la justice libanaise », affirme Paul Morcos. Cela rappelle le cas du vice-président de Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, condamné en France pour diverses malversations financières, mais blanchi par la justice de son pays.

Le Liban pourrait-il dans ce cadre « lâcher » Riad Salamé ? « Il profite toujours de réseaux de soutien assez significatifs dans l’oligarchie politico-financière libanaise, notamment de Nagib Mikati ou du chef du Parlement, Nabih Berry », pointe le politologue Karim Bitar pour qui le problème de fond est « politique ». « Ils ont tous compris qu’il y a une unanimité internationale contre son maintien à la BDL au-delà du mois de juillet (où son mandat expire, NdlR). Il y a aujourd’hui une succession de faisceaux de présomption assez accablants qui montrent que Riad Salamé était le champion du monde des acrobaties financières […] et qu’on ne pourra pas restaurer la confiance au Liban tant qu’il est à son poste », observe-t-il, soulignant qu’« une page est en train de se tourner ».

Riad Salamé ne semble en tout cas pas sorti des ennuis judiciaires. Mercredi, il a fait l’objet d’une nouvelle plainte émanant du service du contentieux de l’État, rattaché au ministère libanais de la Justice, pour « pots-de-vin, faux et usage de faux, blanchiment d’argent, enrichissement illicite et évasion fiscale ».