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L’adrénochrome est-elle vraiment la drogue des élites à base de sang d’enfant, comme expliqué dans l’émission TPMP ?

Une digression sur le Vatican et la drogue plus tard, l’homme lâche, au sujet de l’humoriste mis en cause dans un grave accident de voiture sous l’emprise de cocaïne : « Je sais qu’il est pas très net. J’irai même à dire qu’il y avait peut-être – là je n’affirme rien – mais qu’il y avait peut-être une histoire d’adrénochrome dans l’histoire. » Sous les cris de l’assistance, Gérard Fauré poursuit : « Mais c’est la vérité, mais réveillez-vous bon dieu ! » Et de détailler plus loin : « L’adrénochrome, c’est du sang qu’on prend sur des enfants de 3 ans. J’ai envoyé en HP une nana qui voulait vendre sa fille, l’installer dans un laboratoire d’adrénochrome. J’ai dénoncé, j’ai donné l’adresse du laboratoire et tout ! […] Ça démarre au Maroc, à Marrakech, voilà. » Il ajoute : « Céline Dion, elle en prend. T’as vu la tronche qu’elle a Céline Dion ? » Il enchaîne encore : « Les enfants ? Ils sont kidnappés, ils partent en Ukraine, il y a des Roumains qui viennent kidnapper des enfants en Espagne, en Italie… »

Hanouna tente péniblement de clore la séquence lorsque le nom de Macron est balancé en plateau par l’auteur. Quelques instants plus tôt, il avait ponctué les déclarations de Gérard Fauré par cette observation : « Il y a énormément de gens sur les réseaux qui disent que Gérard soulève un truc qui est réel. On sait pas… […] C’est important qu’il le dise. »

Drogue fictive

Or cette séquence, diffusée à heure de grande écoute auprès de 2,12 millions de téléspectateurs (presque un record), relève d’une pure rhétorique complotiste sur fond de relents antisémites et xénophobes. Car si la substance d’adrénochrome existe bien en tant que telle, il s’agit en réalité d’une drogue fictive qui figure au cœur de nombreux fantasmes depuis plusieurs années.

A l’origine, l’adrénochrome est un composé organique obtenu par l’oxydation de l’adrénaline, cette hormone produite par le corps humain, rappelle Elise Roumeau, docteure en droit, autrice d’une thèse intitulée «Les sujets humains d’expérimentation face aux droits fondamentaux» ainsi que d’un article sur l’adrénochrome dans la revue The Conversation. Au cours du XXe siècle, cette substance a fait l’objet de diverses recherches scientifiques. En 1962 au Canada, deux psychiatres notamment, Abram Hoffer et Humphry F. Osmond, ont tenté de démontrer un lien entre l’adrénochrome et la schizophrénie, indiquant par exemple que «les modifications de la pensée induites par l’adrénochrome sont similaires à celles observées dans la schizophrénie». Même si cette hypothèse a largement été remise en cause, elle a ouvert la porte, selon Elise Roumeau, aux «plus folles rumeurs». On a ainsi prêté à cette substance des effets psychotropes extrêmement forts.

Pourtant, l’adrénochrome n’est pas classé, ni en France ni aux Etats-Unis, parmi les stupéfiants. Il est donc possible de s’en procurer. Ce qu’ont fait quelques internautes afin de tester l’adrénochrome par eux-mêmes pour le site Erowid, comme l’ont remarqué nos confrères de l’AFP. L’un d’entre eux, qui a goûté, sniffé puis fumé l’adrénochrome décrit par exemple un effet «très léger et vraiment inintéressant, ni hallucinogène ni psychédélique». Il ajoute : «Je n’appellerais même pas ça une montée.»

Kamoulox de théories complotistes

Alors comment expliquer que des rumeurs aussi délirantes perdurent au sujet de cette substance ? L’explication se trouve dans la pop culture américaine. Et plus précisément dans l’œuvre de Hunter S. Thompson, père du journalisme gonzo. Dans son livre Fear and Loathing in Las Vegas, un personnage mentionne l’adrénochrome et assure : «Il n’y a qu’une seule source pour ce truc… Les glandes d’adrénaline d’un corps humain vivant. Ça ne fonctionne pas si tu le récupères sur un cadavre.» La scène est reprise dans l’adaptation cinématographique de l’ouvrage.

Ainsi, le film Las Vegas Parano (Terry Gilliam, 1998) montre Johnny Depp ingérer le contenu de plusieurs pipettes d’adrénochrome et partir dans un trip psychédélique impressionnant. Dans cette œuvre fictionnelle, les personnages récupèrent cette drogue dans les affaires… d’un sataniste qui torture des enfants. Soit, dans les grandes lignes, le narratif qui circule aujourd’hui au sujet de cette substance, moyennant une dimension raciste certaine.

En effet, la forme actuelle de cette rumeur, principalement véhiculée par le mouvement américain QAnon en 2020 à la faveur de la pandémie de Covid-19, voudrait que les élites de ce monde prélèvent l’adrénochrome dans le sang d’enfants torturés, y trouvant une sorte d’élixir de jouvence. «Quand je me suis penchée sur cette question, affirme à CheckNews Elise Roumeau, il était déjà question de stars qui utilisaient cette substance. Par exemple, une rumeur circulait au sujet de Céline Dion ou de Hillary Clinton, qui auraient consommé de l’adrénochrome d’enfants covidés et que c’est ainsi qu’elles auraient attrapé le Covid.» Une rhétorique qui prend ses racines dans un mythe antisémite datant du Moyen-Age, appelé «la diffamation du sang», selon lequel les Juifs capturaient des enfants pour utiliser leur sang lors de rites religieux.

Cette légende urbaine, trois ans plus tard, n’a pas perdu de son côté xénophobe, puisque Fauré, sur le plateau de TPMP, ne s’est pas privé d’évoquer le cas de «Roumains qui enlèvent les enfants en Espagne et en Italie». Une sorte de grand kamoulox des théories complotistes racistes : les Roms étant régulièrement accusés d’enlever des enfants à bord de camionnettes blanches afin d’alimenter un réseau de trafic d’organes. Il n’y a pas si longtemps encore, en 2019 puis en 2022, ils étaient ainsi la cible de rumeurs malveillantes en banlieue parisienne ou autour de la gare Saint-Charles, à Marseille.

Jeudi dans la soirée, la chaîne C8 a jugé bon de «condamner fermement les propos tenus en direct par Gérard Fauré» dans l’émission. Une prise de conscience pour le moins tardive.