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La retraite à 64 ans pour les Français ? L’heure de la vérité a sonné

À Paris, le cortège est passé devant l’Assemblée nationale où la commission mixte paritaire (CMP), composée de sept députés et de sept sénateurs, débattait du texte. En fin de journée, ces derniers se sont accordés sur la dernière version du projet de loi qui sera, ce jeudi, soumis au vote au Sénat puis à l’Assemblée nationale. Si l’étape du Palais du Luxembourg ne sera qu’une formalité pour le gouvernement, celle du Palais Bourbon sera une autre paire de manches.

Menaces, tractations et marchandage

573 sièges sont actuellement occupés à l’Assemblée nationale, quatre étant vacants. Pour faire adopter son texte, l’exécutif mise sur la loyauté des 249 députés de son camp formé par les groupes Renaissance, MoDem et Horizons. Pour obtenir une majorité, il devra aussi avoir convaincu assez d’édiles du groupe Les Républicains (LR), qui compte 61 élus. Le hic : des députés du camp présidentiel et de la droite n’approuveront pas le texte…

Alors, ces derniers jours, le gouvernement a augmenté la pression sur ses élus indociles, brandissant la menace d’une exclusion. Il a, en outre, fait de nouvelles concessions à la droite.

Mais cela suffira-t-il ? Pas sûr… ” À l’heure qu’il est, je n’ai pas changé d’avis”, a déclaré mardi sur BFM TV le député Richard Ramos (MoDem), opposé au projet de loi.

”Est-ce légitime de tordre le bras des parlementaires qui doivent agir selon leurs convictions ?”, s’est interrogée, le 7 mars, l’ex-ministre et députée Renaissance Barbara Pompili, qui ne votera pas la réforme comme deux autres élues de son mouvement baptisé En Commun.

Hésitant entre abstention et opposition, le député Yannick Favennec (Horizons) a opté pour la deuxième voie. ” C’est invraisemblable qu’on en soit à menacer les députés d’être exclus lorsque l’on n’a pas la majorité absolue. S’ils veulent m’exclure, ils m’excluront, mais je ne comprends pas trop leur calcul”, a-t-il lancé lundi au Journal du Dimanche.

Côté LR, au moins un tiers des élus voteraient contre le texte ou s’abstiendraient. Parmi eux : Aurélien Pradié, issu de la droite plus populaire, sociale. Déchu de son titre de vice-président de parti pour avoir tenu tête au chef Éric Ciotti, il a continué à naviguer à contre-courant. ” Il n’y a pas eu de dialogue social”, a regretté le député, hier, sur FranceInfo, avant de déplorer” un exercice ultra-dégradé de la démocratie”. “Et le marchandage, les coups de fil des ministres pour proposer que le vote soit acquis en échange d’un coup de main, c’est une faute lourde. Tout cela est en train d’abîmer notre démocratie. Je ne cautionnerai jamais cette méthode macroniste qui consiste à mépriser l’exercice démocratique.”

French right-wing party Les Republicains (LR) member of Parliament and former Executive Vice-President, Aurelien Pradie, arrives for a public meeting in Bordeaux, southwestern France, on February 24, 2023. - Evicted from the leadership of the Republicans, Aurelien Pradie is making a point of reconnecting with the popular right, an audacious gamble which, according to his detractors, does not hide his personal ambitions in the run-up to 2027 election. (Photo by Philippe LOPEZ / AFP)
Issu de la droite plus populaire, sociale, le député Les Républicains Aurélien Pradé s’oppose au projet de réforme des retraites à contre-courant de la majorité des membres de son parti. ©AFP or licensors

Aurélien Pradié a mis le doigt là où le bât blesse, comme l’ont fait des députés de la majorité d’ailleurs. Déployant autant voire plus d’énergie à négocier avec la droite qu’à convaincre, le gouvernement a aussi choisi d’inscrire la réforme des retraites dans le cadre d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Ce “véhicule” législatif a permis de limiter les débats parlementaires à 50 jours, de rejeter des amendements, ainsi que d’éviter les sujets de fond. Au Sénat, l’exécutif a aussi fait usage de l’article 44.3 de la Constitution, obligeant les élus à se prononcer par un seul vote sur toute la réforme, et en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement.

Le spectre du 49.3

Confiant, le président Emmanuel Macron (Renaissance) s’est entretenu hier soir avec la cheffe du gouvernement Elisabeth Borne (Renaissance) et le ministre du Travail Olivier Dussopt (Renaissance), qui porte la réforme. ” Le président de la République est déterminé à ce qu’on puisse aller à un vote comme la Première ministre le souhaite. Il veut s’assurer que les conditions sont bien réunies pour y aller”, a souligné l’entourage du chef de l’État.

À Paris, bras de fer autour des poubelles

Le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a également déclaré que l’exécutif voulait trouver une majorité sans avoir recours au 49.3, déjà utilisé à dix reprises par le gouvernement Borne en huit mois. Face à une issue pourtant incertaine, des macronistes préféreraient activer le 49.3 pour faire adopter le texte sans vote à l’Assemblée nationale, et ainsi éviter un éventuel revers.

Elisabeth Borne sur la sellette ?

Quelle que soit l’issue du vote sur la réforme des retraites ce jeudi, cet épisode ne sera pas sans conséquences, notamment au sein du camp présidentiel et de la droite tant les tensions ont été vives. ” Si c’est un rejet, Elisabeth Borne sera en grande difficulté et des voix vont s’élever pour demander sa démission”, analyse Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS au Centre d’études européennes de Sciences Po et auteur de Réformer les retraites (Presses De Sciences Po, 2023). “Si l’exécutif opte pour le 49.3, j’ignore si c’est un aveu d’échec pour Emmanuel Macron, mais le problème de légitimité sera plus sérieux que si le texte était adopté par un vote. Dans ce dernier cas, le gouvernement en sortirait victorieux après avoir joué à la roulette russe.”

Bruno Palier évoque aussi cette” majorité de Français qui auront le sentiment de ne pas avoir été entendus et dont certains le feront savoir lors de prochaines élections”. Cette réforme et la manière dont elle a été conduite” vont laisser des traces politiques qui risquent bien se traduire par une augmentation du vote en faveur du Rassemblement national. En tout cas, tous les ingrédients sont là.”

Quant aux syndicats, ils suivront de près cette journée décisive. ” Quoi qu’il arrive, il faut continuer le combat”, a glissé le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, qui peut compter sur le soutien d’une majorité de citoyens. D’après un sondage Toluna Harris Interactive pour RTL et AEF Info publié ce mardi, 62 % des Français sont défavorables à la réforme des retraites. Même si elle est adoptée, un sondé sur deux souhaite que la mobilisation se poursuive et plus encore (61 %) si le gouvernement a recours au 49.3.