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La « loi Poutine » inquiète les Géorgiens : « C’est une honte, nos dirigeants ne nous représentent pas »

Avec cette loi, tous médias, plateformes en ligne et organisations à but non lucratif recevant plus de 20 % de ses financements de l’étranger seront contraints de s’inscrire sur un “registre des agents d’influence étrangère”. Le ministère de la Justice pourra également ouvrir une enquête et exiger l’obtention des documents des organisations déclarées comme “agents étrangers”, dont des données personnelles potentiellement sensibles. Les membres de ces organisations auront également l’obligation de s’enregistrer, sous peine de risquer jusqu’à cinq ans de prison.

La loi, très controversée dans le pays, devait être initialement discutée ce jeudi. Misant sur un essoufflement de la contestation, les députés ont finalement décidé de l’inscrire à l’ordre du jour de mardi et, dans la foulée, de valider la première des trois lectures nécessaires à son adoption définitive. La feinte a aussitôt provoqué une vague de colère populaire, et des milliers de manifestants ont commencé à affluer autour du bâtiment parlementaire. Dès mardi matin jusqu’à tard dans la nuit, la foule a grossi, jusqu’à remplir l’avenue Rustaveli, la plus grande artère de la ville.

”Ils nous refont comme Ianoukovitch en Ukraine”

Près de 10 000 personnes faisaient bloc comme un seul homme, au son des hymnes géorgien et ukrainien. “C’est une honte, nos dirigeants ne nous représentent pas, comment peuvent-ils passer de telles lois sans prendre en compte l’avis du peuple ?” s’agace Nino, une étudiante qui a rallié la contestation dans la soirée avec un groupe d’amis. “Nous ne voulons pas d’une loi russe ici ! Notre cœur est européen, et nous allons le prouver. Qu’ils essaient seulement de passer la loi, je n’ai pas peur de rester là des jours et des jours”, affirme Ana, pins du drapeau de l’Union européenne épinglé sur son manteau. Au milieu des sifflements et des huées lancés en direction du Parlement, quelques hommes ont tenté d’arracher les barricades qui murent désormais l’imposant bâtiment pour empêcher les manifestants d’accéder à son enceinte.

Dans la nuit, la tension est montée d’un cran. D’importants cordons de policiers antiémeutes ont été déployés autour de la foule. Alors que les manifestants criaient de les rejoindre, les forces policières ont fait usage de canon à eau et de gaz lacrymogène, afin de tenter de disperser les manifestants, dont beaucoup n’étaient pas équipés de masque. “Ils nous refont comme Ianoukovitch en Ukraine mais ça ne me fait pas peur, ça ne me fera pas bouger de là”, commente Dachi, un grand gaillard d’une quarantaine d’années. Si quelques heurts entre policiers et manifestants ont fait quelques blessés légers, la ténacité de la foule n’a pas été entamée et la contestation a duré toute la nuit malgré une forte présence policière et plusieurs arrestations. Le rassemblement a ensuite pris fin au petit matin, alors que les derniers contestataires quittaient peu à peu les abords du Parlement.

Rapprochement avec Moscou

Il s’agit des plus importantes manifestations dans le pays depuis 2019. Surnommée “loi Poutine” pour ses similarités avec la loi russe, le projet de loi sur les agents étrangers est porté par Pouvoir du peuple. Ce groupe de députés est le porte-parole de la ligne dure, anti-occidentale et prorusse du parti Rêve géorgien, au pouvoir depuis 2012. Les députés défendent la future loi au nom de l’exigence de transparence et affirment qu’elle s’inspire de la législation américaine sur les agents étrangers.

L’opposition, elle, accuse le gouvernement d’opérer un rapprochement avec Moscou depuis le début de la guerre en Ukraine, malgré une population largement pro-européenne, et craint que l’adoption d’une telle loi sonne le glas de la perspective d’intégration de la Géorgie, alors que le statut de candidat lui avait déjà été refusé en juin. Tbilissi avait déposé sa candidature à l’Union européenne avec l’Ukraine et la Moldavie quelques jours après l’invasion russe en territoire ukrainien le 24 février 2022.