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La liberté de ton de Gary Lineker met à l’épreuve l’indépendance de la BBC

Gary Lineker, 62 ans, n’est pas n’importe quel commentateur sportif : ancien attaquant de l’équipe d’Angleterre de football, il est le présentateur le mieux payé de la chaîne avec un contrat annuel de 1,35 million de livres sterling (1,5 million d’euros) pour l’émission Match of the Day, qu’il présente depuis 1999. Il est sans doute aussi l’une des figures publiques les plus connues du Royaume-Uni, avec notamment 8,7 millions d’abonnés à son compte Twitter.

L’Allemagne des années 1930

C’est justement de ce réseau social qu’est partie l’affaire actuelle. Après la présentation mardi du projet de loi gouvernemental sur l’immigration illégale, le journaliste sportif a publié une vidéo d’une partie du discours de la ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, avec le commentaire : « Mon dieu, c’est plus qu’horrible. » Avant d’élaborer, suite à la protestation d’un utilisateur à son encontre : « Il n’y a pas d’afflux massif [d’immigrés]. Nous accueillons beaucoup moins de réfugiés que les autres grands pays européens. Il s’agit simplement d’une politique extrêmement cruelle qui vise les personnes les plus vulnérables, dont le langage n’est pas sans rappeler celui utilisé par l’Allemagne dans les années 1930« .

Visée, la ministre de l’Intérieur s’est dite « déçue » et a trouvé « peu utile » la comparaison de ses mesures à celles prises par les responsables nazis. Une transformation de la réalité, puisque Gary Lineker avait en fait dénoncé sa rhétorique populiste, destinée à monter les Britanniques contre les étrangers. À la Chambre des Communes, Suella Braverman avait, en effet, justifié la modification de la loi actuelle par le fait que « des centaines de millions de personnes dans le monde pourraient bénéficier d’une protection en vertu de nos lois actuelles. Soyons clairs : elles viennent ici, […] elles n’arrêteront pas de venir ici« .

À la suite de la réaction de la ministre, plusieurs députés ont réclamé la démission du présentateur. Sans doute parce que celui-ci n’en est pas à sa première critique de la politique du gouvernement conservateur sur les réseaux sociaux. Preuve de l’ampleur de « l’affaire du tweet », celle-ci a fait la une de la plupart des sites d’information, avant même le projet de loi lui-même.

Un retournement de situation

Le lendemain, la BBC a pourtant fait savoir que Gary Lineker « ne fera l’objet d’aucune mesure disciplinaire. De notre point de vue, le problème a été résolu. ». C’était déjà sa perception en 2018 : « Gary n’est pas impliqué dans la production d’informations ou d’émissions politiques pour la BBC et, à ce titre, l’expression de ses opinions politiques personnelles n’affecte pas l’impartialité de la BBC. »

Avant un retournement de situation totalement inexpliqué vendredi soir. La suspension du journaliste sportif a provoqué de nombreux questionnements dans la profession. L’ancienne journaliste politique de la BBC Emily Maitlis a ainsi trouvé « curieux que Gary Lineker ait été libre de soulever des questions sur la situation des droits de l’homme au Qatar pendant la Coupe du monde, avec la bénédiction de la BBC, mais qu’il ne puisse pas soulever des questions sur les droits de l’homme dans ce pays s’il critique ainsi la politique du gouvernement« .

L’attention s’est depuis tournée vers les personnalités à la tête de la BBC. Son président, Richard Sharp, est un ancien gros donateur du Parti conservateur et un ancien conseiller de Boris Johnson lors de son mandat de maire de Londres. Son directeur, Tim Davie, est un ancien conseiller municipal du Parti conservateur et ancien président d’une association locale du Parti conservateur. De quoi faire douter de leur impartialité et faire naître des soupçons d’interventions de ministres…

D’autant que d’autres présentateurs contractuels de la BBC, mais favorables à la politique du gouvernement, ont auparavant été lavés de tout soupçon par la chaîne après des commentaires politiques sur Twitter.

Un bond d’audience provisoire

Cette affaire a momentanément fait le bonheur de Match of the Day, dont la durée a été réduite d’une heure à vingt minutes sans le moindre commentaire, suite au refus de tous les journalistes habituels d’y participer. Samedi soir, l’émission a été suivie par 2,6 millions de téléspectateurs contre 2,09 millions la semaine précédente. Difficile de croire que ce rebond, sans doute dû à la curiosité des téléspectateurs, se reproduira si Gary Lineker et sa direction ne parviennent pas à s’entendre.