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La Justice belge condamne la Tunisie : “Ils m’ont accusé d’espionnage, pour me licencier”

Un ancien employé, agent de sécurité, fait condamner l’ambassade de Tunisie en Belgique. L’ancien ambassadeur Nabil Ammar est présumé le fautif, une affaire qui va dégénérer et qui risque de lui couter son poste d’ambassadeur de la Tunisie à l’ONU, NewYork. Détail…

Licencié sur des accusations mensongères d’espionnage et de piratage informatique, Mohamed Khammouri, ancien agent de sécurité à l’ambassade de Tunisie à Bruxelles, où il travaillait depuis dix-sept ans, a fait condamner, par un tribunal belge, la République de Tunisie.

Tunis devra ouvrir le portefeuille : c’est bien ce qu’il résulte du jugement, encore inédit, prononcé par la 4e chambre du tribunal du travail francophone de Bruxelles.

La DH avait évoqué, en 2022, les tensions persistantes au sein du personnel des services diplomatiques tunisiens de l’avenue de Tervuren. L’assistante de l’ambassadeur, Nabil Ammar, se plaignait (DH 16/11/22) d’avoir été traitée par lui de “conne”, “traîtresse”, “menteuse” , et “manipulatrice”, notamment.

Le cas n’était pas isolé. Six collègues, dont M. Khammouri, dénonçaient, quant à eux, le despotisme pratiqué, dès sa prise de fonction, par le nouvel ambassadeur. Tous se disaient victimes de “menaces” et d’ ”intimidations ”. Avec M Ammar, disaient-ils, ils s’attendaient à l’arrivée d’”un fils de la Tunisie nouvelle, de la Tunisie de la Révolution et des Droits de l’homme”.

Ils comprenaient qu’avec lui, “le renvoi au chômage pour des futilités” leur pendait au nez, “même si nous n’avions commis aucune erreur.”

Le nouvel ambassadeur était, selon eux, envoyé de Tunisie “avec la mission de (nous) expulser de l’ambassade et nous remplacer” , la principale préoccupation de M. Ammar étant “l’art de trouver de nouvelles façons de nous nuire”.

“La peur aux tripes”

Les choses n’ont pas traîné, en effet. L’un des six, M. Khammouri qui travaillait à l’ambassade depuis 2006 en tant qu’agent de sécurité, apprenait, le 6 mars 2023, qu’il était remercié pour fautes graves. Motifs allégués : espionnage et piratage.

Selon l’ambassade, Khammouri avait “accédé aux enregistrements du système de visionnage des caméras” du bâtiment situé numéro 278 avenue de Tervuren.

Non-sens, répliquait Mohamed Khammouri pour qui “visionner les caméras de surveillance faisait partie de mes prérogatives, évidemment. C’était même mon travail, tout simplement, depuis dix-sept ans, en tant qu’agent de sécurité “.

M. Khammouri se souvient très bien. Sans revenus du jour au lendemain, il tombait en dépression. “ C’était catastrophique. Je ne mangeais plus, je n’arrivais plus à dormir. Stress, menaces, harcèlement : j’ai vécu cette période avec la peur au ventre. ”

Dans sa décision, le tribunal de Bruxelles juge que le licenciement de M. Khammouri était “manifestement déraisonnable”. Les juges s’étonnent que les accusations d’espionnage et de piratage n’aient d’ailleurs “pas fait l’objet d’une plainte pénale”.

Pour le tribunal, en tout cas, “aucun employeur normal et raisonnable placé dans les mêmes circonstances n’aurait licencié M. Khammouri, en particulier en invoquant des motifs contraires à la réalité.”

Licencié en représailles

Le tribunal belge n’en a pas fini. “De telles accusations, dans la mesure où elles mettent en cause l’honnêteté de M. Khammouri, étaient graves et vexatoires”.

Pour les juges encore, Mohamed Khammouri n’a pas seulement été victime d’un licenciement “déraisonnable”.

Son licenciement était, de plus, “abusif”. Enfin, l’ambassade “a porté atteinte à l’honneur de M. Khammouri en l’accusant de faux motifs particulièrement graves, allant jusqu’à (porter) des accusations à titre de représailles”.

Représailles ? Le tribunal rappelle, à ce propos, qu’alors que six employés dont M. Khammouri avaient participé quatre mois plus tôt à une manifestation en soutien à la secrétaire traitée de “conne”, la plupart sinon la totalité des six, dont M. Khammouri, furent mis à la porte, tout simplement, affirme le jugement, “en représailles. ”

“Je demande au président de la Tunisie…”

L’ambassadeur Ammar n’a pas duré. En février 2023, il était rappelé à Tunis et devenait le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger. Nabil Ammar est, depuis mars, le représentant permanent de la Tunisie auprès des Nations Unies, à New York.

Pour licenciement “abusif” et “manifestement déraisonnable”, la justice belge condamne la Tunisie à devoir verser 10.703,43 € à l’ancien employé, montant à augmenter de 2.000 € à titre d’indemnités de procédure.

Licencié à l’âge de 50 ans, Mohamed Khammouri a galéré pour retrouver du travail. Il explique : “Le président de Tunisie M. Kaïs Saïed a parfaitement compris la situation. Nous n’étions pas les seuls à Bruxelles à avoir été licenciés par le fait de M. Ammar. Plusieurs diplomates l’ont également été et le président est intervenu en leur faveur afin qu’ils obtiennent les salaires dont ils furent privés. J’attends de la République tunisienne qu’elle fasse de même en ma faveur, la justice belge ayant été très claire”.

Mohamed Khammouri était défendu par l’avocat spécialisé Philippe Barbier.

Sources : Economics for Tunisia, E4T et médias belges