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La France se prépare à un été potentiellement ravageur : « Ce plan n’est pas adapté pour faire face à ce qui arrive »

Tous les voyants sont en effet à l’orange foncé, voire au rouge. Un incendie a déjà détruit, début avril, plus de 900ha de végétation dans les Pyrénées-Orientales. Dans ce même département, les habitants de quatre communes sont privés d’eau du robinet depuis deux semaines. Au total, vingt départements de France métropolitaine (qui en compte nonante-six) sont aujourd’hui concernés par des restrictions d’eau. Même des départements comme le Nord et le Pas-de-Calais sont en état de vigilance. En cause, notamment : des précipitations en berne depuis l’été 2022, avec un record de 32 jours sans pluie cet hiver.

«Il n’y aura pas assez d’eau pour tout le monde.»

Dans son rapport sur la situation hydrogéologique au 1er avril, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) souligne que la situation est “peu satisfaisante sur une grande partie du pays : 75 % des niveaux des nappes restent sous les normales mensuelles avec de nombreux secteurs affichant des niveaux bas à très bas. A partir du mois d’avril, la hausse des températures, la reprise de la végétation et donc l’augmentation de l’évapotranspiration vont limiter nettement l’infiltration des pluies vers les nappes.”

Autre donnée inquiétante : l’eau renouvelable disponible, issue des précipitations ne retournant pas à l’atmosphère par évapotranspiration (94 %) et de l’apport des cours d’eau de pays voisins (6 %), baisse. Elle a diminué de 14 % sur les deux dernières décennies.

Un plan de sobriété jugé trop sobre

Face à cette situation alarmante due aux dérèglements climatiques et face à un risque accru d’incendies, le gouvernement a présenté son plan de bataille. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé, mi-avril, que 500 pompiers en renfort seront mobilisés en 2023, ainsi que neuf avions et hélicoptères bombardiers d’eau supplémentaires, portant le nombre d’appareils de 38 à 47. Une enveloppe de 180 millions d’euros doit aussi permettre l’achat de 1 100 engins de lutte contre le feu.

Deux semaines plus tôt, le président Emmanuel Macron a lui-même dévoilé le “plan eau”, avec un mot d’ordre : sobriété. “L’eau est redevenue un enjeu stratégique pour toute la nation, a déclaré le chef de l’État. Je veux fixer un cap à notre nation avec un objectif pour 2030 : faire 10 % d’économies d’eau dans tous les secteurs”, que ce soit “l’énergie, l’industrie, le tourisme, les loisirs ou l’agriculture”.

Parmi les 53 mesures annoncées, figurent la tarification progressive du prix de l’eau, expérimentée à Dunkerque, Montpellier et Libourne ; et le déblocage de 180 millions d’euros par an pour aider les collectivités à réparer les fuites dans les canalisations.

”Ce plan n’est pas du tout ambitieux”, tranche Agnès Ducharne, directrice de recherche CNRS et hydrologue, qui estime les mesures “insuffisantes”. “Le budget pour l’entretien des canalisations est faible. Quant à la tarification progressive, cela a du sens pour ceux qui ont de grands jardins et des piscines mais c’est difficile à mettre en œuvre et puis, elle ne concerne que les particuliers. Les autres usagers y échappent.”

”Nos forêts sont en danger”

Or, selon le ministère de la Transition écologique, l’agriculture est la première activité consommatrice d’eau avec 57 % du total, devant les usages domestiques (26 %), le refroidissement des centrales électriques (12 %) et les usages industriels (5 %).

Si la voie de la sobriété est la meilleure à prendre, le Syndicat national de l’environnement Sne-FSU et sa secrétaire générale, Véronique Caraco-Giordano, estiment toutefois que la réponse politique n’est pas à la hauteur de la problématique. “Le président affiche même aujourd’hui une ambition de 10 % d’économies d’eau en 2030 alors qu’en 2019, les Assises de l’eau visaient 10 % en 2024, et 25 % en 2034.”

Croiser les doigts…

”On retarde l’échéance alors qu’il faudrait au contraire accélérer la baisse des prélèvements, d’autant plus si les ressources en eau diminuent, renchérit Agnès Ducharne. Avant d’enchaîner : “ce plan n’est pas adapté pour faire face à l’été qui arrive. Cet été devrait être chaud. Ça, c’est probable à cause du réchauffement climatique. Un été sec, c’est plus difficile à prévoir, mais ce qui est certain, c’est que le niveau des nappes phréatiques est bas. La situation hydrogéologique est plus mauvaise que l’année dernière à pareille période et si l’été est chaud et sec, on risque de se retrouver dans une situation pire que l’été dernier, qui était déjà le pire que nous ayons connu depuis plus de 50 ans. Il serait dès lors de bon aloi d’anticiper cela mais finalement, on en arrive à se dire que, pour 2023, il faut croiser les doigts.”

Mardi 25 avril, le préfet des Pyrénées-Orientales a averti qu’en raison de la sécheresse exceptionnelle dans ce département, “il n’y aura pas suffisamment d’eau pour tous les usages” cet été, soulignant que les quantités disponibles “sont très faibles” et prévoyant “des décisions difficiles”. À Perpignan, des habitants s’en remettent même au ciel. Ils ont relancé, mi-mars, une procession abandonnée depuis une centaine d’années, celle de la Saint-Gaudérique, pour lui demander de déclencher la pluie. Le tout avec la bénédiction d’élus locaux du Rassemblement national, parti où le climatoscepticisme a encore de beaux jours devant lui.

De son côté, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a récemment publié une note soulignant le “besoin d’anticiper” dès ces “prochains étés” la manière dont seront gérées les canicules et sécheresses dans les centrales nucléaires d’EDF.