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« l faut un certain courage pour s’en prendre à un homme politique puissant » : l’étau judiciaire se resserre un peu plus sur Nicolas Sarkozy

Si ces deux condamnations étaient confirmées après les divers recours, Nicolas Sarkozy, 68 ans, pourrait encore bénéficier d’un aménagement de peine en portant un bracelet électronique. Problème : ses ennuis judiciaires ne sont pas terminés. D’autres affaires sont en cours, dont celle dite du financement libyen de sa campagne électorale de 2007. Le parquet national financier (PNF) a demandé, le 10 mai, le renvoi devant le tribunal correctionnel de l’ancien chef de l’État et de douze autres suspects dont les ex-ministres Claude Guéant, Brice Hortefeux et Éric Woerth.

Les procès liés à des affaires très souvent politico-financières se sont multipliés ces dix dernières années. Avant Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, l’ancien Premier ministre François Fillon, l’ancien maire de Levallois Patrick Balkany, ou encore l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac, ont tous écopé d’une peine de prison ferme. Le Rassemblement national a aussi été condamné en appel, en mars, à une amende de 250 000 euros dans l’affaire dite des kits de campagne du FN.

Les enquêtes en cours sont, elles aussi, nombreuses. Elles visent notamment la secrétaire d’État Marlène Schiappa et le leader des Républicains et député Éric Ciotti, sans oublier l’affaire McKinsey qui inquiète le camp présidentiel. Quant au patron du Modem, François Bayrou, il a été renvoyé, le 9 mars, en correctionnelle dans l’affaire des assistants d’eurodéputés.

Une illusion d’optique

La justice serait-elle donc devenue plus sévère avec les politiques ? « C’est une illusion d’optique : la justice est nécessairement plus dure mais c’est parce que nous partons de très loin« , estime Olivier Cahn, professeur de droit pénal à Cergy Paris Université et chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip). « La France a longtemps été un pays où le fait d’être puissant politiquement garantissait de l’action de la justice. Des condamnations sont tombées : Jacques Chirac et Alain Juppé dans l’affaire des emplois fictifs à la mairie de Paris, des socialistes dans l’affaire Urba relative au financement occulte du PS… Mais ces affaires ont surtout éclaté en période d’affaiblissement de l’exécutif qui pouvait moins exercer d’autorité sur le judiciaire, pendant des périodes de cohabitation. »

Nicolas Sarkozy cumule les pensions de retraite pour un montant très confortable

L’effet Cahuzac

Le réveil de la justice face aux affaires impliquant des politiques est dû à une combinaison de facteurs, dont la pression grandissante de l’opinion publique et, surtout, le scandale généré par Jérôme Cahuzac en 2013, condamné plus tard pour fraude fiscale. « Plusieurs outils ont été créés dans la foulée pour mieux détecter, prévenir et sanctionner les délits politico-financiers : il y a le PNF, mais aussi la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP, et l’Agence française anticorruption, l’AFA« , explique Benjamin Guy, responsable de la communication de la section française de l’ONG Transparency International. « Les lanceurs d’alerte, les journalistes et des associations comme la nôtre révèlent aussi de plus en plus d’affaires, ce qui peut pousser la justice, le PNF, à ouvrir des enquêtes », poursuit-il.

« Le niveau des parquetiers s’est également amélioré« , enchaîne le professeur Cahn. « Avant, les magistrats étaient plus ou moins spécialisés alors qu’ils doivent affronter des personnes puissantes qui peuvent s’offrir la meilleure défense. Et puis, autre élément important : le ministre de la Justice ne peut plus donner d’instructions au parquet dans des affaires individuelles depuis la loi Taubira de 2013. Il ne peut plus lui dire de poursuivre, ou de ne pas poursuivre. Les magistrats sont très attachés à cette nouvelle protection de leur indépendance. »

Un manque de volonté politique…

Le travail de la justice et de la police a d’ailleurs probablement fait diminuer le nombre d’infractions. « Le délinquant d’affaires étant un délinquant rationnel, je suis assez enclin à penser qu’il va moins tenter le diable en sachant qu’il peut se faire attraper« , juge Olivier Cahn. « Et puis, avec ces condamnations, dissuasives, la justice montre aussi qu’elle va jusqu’en haut de la chaîne, que les élites ne sont donc pas protégées, et que personne n’est à l’abri. C’est très bon pour l’image de la justice, et pour la démocratie.« 

La lutte contre les délits politico-financiers pourrait être plus efficace encore. « Il manque une réelle volonté politique pour faire tourner les outils existants à plein régime« , déplore Benjamin Guy. « Nous voyons d’ailleurs aussi l’accumulation de signaux au sommet de l’État qui témoignent du manque de considération pour les questions d’exemplarité et de probité. Le garant de l’institution judiciaire, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, est quand même mis en examen pour prise illégale d’intérêts. Le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler l’est aussi dans un autre dossier. Avant, il y avait la jurisprudence Bérégovoy-Balladur. Quand un ministre était mis en examen, il s’écartait pour préparer sa défense et ne pas perturber le travail de l’exécutif.« 

… et un manque de moyens

Olivier Cahn souligne lui aussi le manque de moyens, et relève encore deux autres écueils en termes de liberté d’action. « La police judiciaire reste aux ordres du ministre de l’Intérieur qui peut souhaiter qu’une affaire ne fasse pas l’objet d’une enquête adéquate, et cela va s’aggraver avec la réforme de la police judiciaire proposée par Gérald Darmanin. Et puis, le parquet reste soumis au ministre de la Justice et on sait comment se fait la carrière des magistrats. C’est-à-dire qu’il faut un certain courage pour s’en prendre à un homme politique puissant, et que ce n’est pas un accélérateur de carrière.«