Intervision : Pourquoi Poutine veut relancer un concours inspiré de l’Eurovision
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Lundi, Vladimir Poutine a signé un décret pour organiser, à Moscou, à une date encore non précisée, un événement nommé Intervidnié (« Intervision »). Quelque vingt pays seraient prêts à y participer, parmi lesquels les Etats émergents membres des Brics (Brésil, Inde, Chine…) et d’autres de la Communauté des Etats indépendants, où figurent par exemple, la Biélorussie, le Kirghizistan et le Tadjikistan.
L’objectif annoncé de ce concours de chansons est de « développer la coopération culturelle et humanitaire internationale ». Mais là n’est sans doute pas la seule intention du président russe, notamment trois ans après l’exclusion de son pays du concours Eurovision de la chanson. Explications.
Une nouveauté qui n’en est pas une
Le concours Intervision n’a pas attendu 2025 pour être créé. Il est né en 1965, neuf ans après le premier Eurovision, mais n’a connu que neuf éditions : de 1965 à 1968, de 1977 à 1980 et en 2008 (la seule, donc, à s’être tenue après la chute de l’URSS). On pourrait résumer cette compétition à une sorte d’Eurovision de l’ère soviétique puisqu’il rassemblait essentiellement les Etats du bloc de l’Est. Cependant, plusieurs pays d’Europe occidentale, tels que l’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas ou la Suisse, y ont aussi participé, ainsi que Cuba, le Canada et le Maroc… « Le manque partiel de cohésion culturelle, économique et politique à l’intérieur du bloc soviétique contribue à expliquer l’incapacité de ce dernier à produire une alternative au concours Eurovision de la chanson », souligne l’historien Dean Vuletic dans son livre – inédit en français – Postwar Europe and the Eurovision Song Contest. Les pays participant à Intervision ne disposaient également pas des mêmes moyens technologiques, ajoute-t-il.
Pourquoi relancer le concours Intervision ?
Au départ, Intervision a été créé en partie pour répondre à la force de frappe de la musique occidentale, et notamment états-unienne, durant la guerre froide. « C’est la musique américaine et non la soviétique qui a joué un rôle essentiel dans les batailles culturelles des années 1960 en Allemagne de l’Est », écrit ainsi Dean Vuletic dans son ouvrage, pointant « l’incapacité de l’URSS de s’imposer comme une superpuissance sur le terrain de la musique populaire. » La compétition musicale revêt donc un enjeu de soft power, c’est-à-dire, qu’elle correspond à une stratégie visant à convaincre par le rayonnement des arts et de la culture..
Après la chute du bloc soviétique, la Russie n’a pas tardé à rejoindre le concours Eurovision de la chanson. Elle y a fait ses premiers pas en 1994, ne faisant pas mystère de son appétit de victoire. En 1997, elle a été représentée par l’une de ses plus grandes stars, Alla Pugacheva, par ailleurs gagnante de l’Intervision en 1978. Mais, plutôt inconnue en Europe, elle a dû se contenter de la quinzième place avec une chanson ne soulevant pas l’enthousiasme des foules. En 2003, la Russie a misé sur t.A.T.u., alors portées par le succès international de leur tube All The Things She Said. Elles ont fini sur la troisième marche du podium. Choisir ce duo de chanteuses se faisant passer pour des lesbiennes était un moyen de mettre au défi l’organisation du concours alors effrayée à l’idée qu’elles puissent s’embrasser sur scène – l’Eurovision n’avait pas encore l’aura progressiste qu’on lui connaît aujourd’hui. La Russie a finalement décroché le trophée avec Dima Bilan et Believe en 2008.
Ce pays, au cours des années 2010, a entretenu un rapport chaotique avec le concours. En 2014 et 2015, après la mise en place des premières lois anti-LGBT + et l’annexion de la Crimée, ses représentantes ont été copieusement sifflées par le public. Les tensions géopolitiques avec l’Ukraine se sont invitées dans le décor à plusieurs reprises, notamment en 2017, où la Russie a fini par se retirer de l’édition organisée à Kiev.
Moscou ne goûte guère à la dimension progressiste du concours et, notamment, à la visibilité donnée aux artistes LGBTQ+. La victoire de la drag-queen autrichienne Conchita Wurst a été très mal perçue en Russie en 2014, année où il fut projeté de relancer le concours Intervision. Mais il n’avait finalement pas revu le jour.
Cette année, c’est la bonne ?
En 2022, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le diffuseur russe Chanel One, accusé de désinformation, ne répondait plus aux critères nécessaires pour conserver son statut de membre actif de l’Union européenne de radiotélévision (UER) qui chapeaute l’organisation de l’Eurovision. En conséquence, la Russie a été bannie de l’Eurovision. Un coup dur symbolique pour Vladimir Poutine, d’autant plus que cette année-là, c’est l’Ukraine qui a remporté le concours. Le groupe Kalush Orchestra s’est imposé grâce au soutien massif du public européen. Un camouflet pour Moscou.
Relancer le concours Intervision, et fédérer une vingtaine de pays, pourrait donc contribuer à prouver, là encore de manière symbolique, le rayonnement de la Russie et sa place dans le concert international. Selon les éléments consultés par Reuters, cette compétition s’inscrira aussi dans un contexte de guerre culturelle. L’agence de presse avance que les artistes participant à Intervision seraient invités à mettre en avant les « valeurs traditionnelles universelles, spirituelles et familiales ». Le « mouvement international LGBT » – une expression restant à définir – étant considéré depuis l’an passé comme « terroriste et extrémiste » en Russie, il va sans dire que toute expression queer ou dérogeant à l’hétéronormativité n’aura pas voix au chapitre.
Notre dossier sur l’Eurovision
A l’inverse, l’UER a, de son côté récemment publié un code de conduite pour l’Eurovision. Elle exprime ainsi explicitement les valeurs qu’elle soutient, à savoir, « l’universalité, la diversité, l’égalité et l’inclusivité ».