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Inquiets pour leur sécurité en Tunisie, de nombreux Subsahariens préfèrent partir

Agressions, saccages, expulsions : ils ne se sentent plus en sécurité en Tunisie. Après une vague d’arrestations et surtout des propos très durs du président Kaïs Saïed, la situation est extrêmement tendue pour les Africains subsahariens présents sur le sol tunisien. Illustration du climat de panique, beaucoup se tournent vers leur ambassade, dans l’espoir d’être rapatriés.

Nous voulons rentrer chez nous », entend-t-on de plus en plus dans les rues de Tunis. Devant l’ambassade du Mali, du Cameroun ou encore de la Côte d’Ivoire, les files d’attente s’allongent. Après une vague importante d’arrestation et la multiplication des violences à leur encontre, nombre de Subsahariens préfèrent partir. Tous disent la même chose : ils ne se sentent plus en sécurité.

L’ambassade de Côte d’Ivoire a en ce sens organisé une campagne de recensement pour tous ses ressortissants désireux de quitter la Tunisie. Devant l’ambassade, plusieurs ressortissants ivoiriens se sont mobilisés pour que les départ soient organisés le plus rapidement possible. Ils ont été interrogés par Radio Libre Francophone, un média communautaire africain.

Il y a une différence entre avant et après le discours du président Kaïes Saïed

Aboubacar Dobe, directeur de la Radio Libre Francophone

L’ambassade du Mali propose également à ses ressortissants de s’inscrire pour un « retour volontaire ». « En ces moments très inquiétants, l’Ambassade, au nom des plus Hautes Autorités du pays, exprime la solidarité à l’égard des Maliens vivant en Tunisie, les invite au calme et à la vigilance dans le strict respect des lois et règlement du pays hôte. L’Ambassade rassure les Maliens de Tunisie de la grande attention des plus Hautes Autorités du Mali et leur demande, pour ceux qui le souhaitent, de s’inscrire pour un retour volontaire », est-il écrit sur le communiqué.

Même son de cloche du côté de l’ambassade du Cameroun en Tunisie : « Les compatriotes peuvent se rapprocher de la Chancellerie pour tout besoin d’information et/ou procédure dans le cadre d’un retour volontaire ».

Depuis le discours, les gens se lâchent complètement »
Il est « évident qu’il y a une différence entre avant et après le discours du président Kaïs Saïed », estime Aboubacar Dobe, directeur de la Radio Libre Francophone.

Et pour cause : mardi 21 février dans la soirée, Kaïs Saïed a annoncé des « mesures urgentes » contre l’immigration illégale subsaharienne en Tunisie, dénonçant l’arrivée de « hordes de clandestins » et « une entreprise criminelle pour changer la composition démographique » du pays. Des propos condamnés par l’Union Africaine qui a invité ses États membres à « s’abstenir de tout discours haineux à caractère raciste, susceptible de nuire aux personnes ».

« Quand c’était juste le Parti nationaliste tunisien (ouvertement raciste, NDLR) ou les réseaux sociaux, les gens se disaient que l’État allait les protéger mais maintenant ils se sentent abandonnés », explique Aboubacar Dobe. Lui-même fait l’objet de menaces téléphoniques.

Expulsion, incendies au pied des immeubles, tentatives d’intrusion, à Tunis et à Sfax (ville d’où partent régulièrement vers l’Europe des dizaines de migrants en situation irrégulière), plusieurs migrants font état d’une situation particulièrement difficile.

« Les propriétaires nous mettent dehors, on nous frappe, on nous maltraite. Pour plus de sécurité, on préfère venir à notre ambassade s’inscrire pour rentrer », confie Wilfrid Badia, 34 ans, qui vivote de petits boulots depuis 6 ans.

Bien que cette situation existait avant, Hosni Maati, avocat au barreau de Paris – qui assiste l’Association des Ivoiriens de Tunisie- estime que « depuis le discours du président, les gens se lâchent complètement ».

Campagnes haineuses et arrestations arbitraires
Jeudi 16 février, une vingtaine d’ONG tunisiennes avaient dénoncé la montée d’un « discours haineux » et du racisme dans leur pays contre les migrants originaires d’Afrique subsaharienne.

« Ces derniers jours, plus de 300 migrants ont été arrêtés, placés en garde à vue et déférés devant la justice », affirmait alors dans un communiqué les ONG, dont le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), qui se penche de près sur les questions migratoires.

Ces migrants « ont été arrêtés à la suite d’un contrôle d’identité au faciès, ou même à la suite de leur présence devant les tribunaux en soutien à leurs proches », ont dénoncé les signataires du texte.

Selon eux, « l’État tunisien fait la sourde oreille sur la montée du discours haineux et raciste sur les réseaux sociaux et dans certains médias ».

Dénonçant « les violations des droits humains » dont sont victimes les migrants, les ONG ont appelé les autorités tunisiennes « à lutter contre les discours de haine, la discrimination et le racisme envers eux et à intervenir en cas d’urgence pour garantir la dignité et les droits des migrants ».

En décembre dernier, le gouvernement tunisien avait décidé l’expulsion « dans les plus brefs délais » d’un groupe de migrants qui occupe depuis plus de cinq ans une Maison de jeunesse dans la banlieue nord de Tunis, une décision qualifiée alors d’ »inhumaine et répressive » par le FTDES.

Psychose de la communauté
A 20 km au nord de Tunis, dans le quartier de Bhar Lazreg, les salons de coiffure et restaurants africains informels créés ces dernières années ont baissé les rideaux définitivement, des façades colorées ont disparu sous une peinture blanche. Aucune trace non plus de la garderie où des bénévoles s’occupaient depuis cinq ans d’une soixantaine d’enfants.

En tant qu’étranger et noir, je me sens menacé

Étudiant en Tunisie

Il y a une vraie « psychose au sein de la communauté » qui inclut aussi des Sénégalais, Guinéens, Congolais ou Comoriens, qui « se sont sentis livrés à la vindicte populaire », raconte Jean Bedel Gnabli, vice-président du Comité des leaders subsahariens.

En attendant que des vols de rapatriement soient organisés pour ceux qui le souhaite, exhorte les autorités tunisiennes d’ »assurer leur sécurité ». Il demande également à la population pour « les traiter dignement » et ne pas les jeter à la rue quand ils ne peuvent pas payer leur loyer.

Les étudiants appelés à rester chez eux
Dans ce climat de panique, les étudiants ne sont pas épargnés. Eux aussi se sentent menacés.

« En tant qu’étranger et noir, je me sens menacé », a témoigné un étudiant sur les ondes de la radion tunisienne Mosaïque FM, relayé par Radio Libre Francophone. « Du fait que tu as la peau noire, que tu es Subsaharien, tu es dans le viseur de la population et même de la police », ajoute-t-il.

Mercredi 22 février, l’association des étudiants subsahariens AESAT a même recommandé à ses étudiants « de ne plus sortir même pour aller en cours jusqu’à ce que les autorités assurent notre protection effective face à ces dérapages et agressions ».

Même appel à la vigilance du côté de l’association malienne des étudiants et stagiaires en Tunisie. Elle a également mis en place une cellule de crise dans toutes les régions ainsi que les différents quartiers à Tunis pour assister tous nos étudiants et nos stagiaires.

Samedi 25 février, des centaines de personnes ont manifesté dans le centre de Tunis. « A bas le fascisme, la Tunisie est une terre africaine », « Solidarité avec les migrants sans papiers » ou encore « Président de la honte présente tes excuses », pouvait-on entendre tout l’après midi dans les rues de la capitale, sous les applaudissements de plusieurs ressortissants subsahariens, restés chez eux, par mesure de sécurité.

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