Guerre en Ukraine : Nazisme, soldats inventés, graffitis haineux… Comment la propagande russe en France a changé

Trois ans d’un récit mouvant, qui s’adapte à l’actualité. Depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russsie, le 24 février 2022, des officines russes ou pro-russes visent le public occidental et français en publiant des intox sur le conflit et le pays agressé. Si ces narratifs s’attachaient au début à dépeindre l’Ukraine comme un pays perméable au nazisme – c’était d’ailleurs un des arguments de Vladimir Poutine pour justifier sa guerre d’agression – ces infox visent maintenant à dépeindre l’image d’un président et d’élites ukrainiennes corrompues, qui n’hésiteraient pas à détourner l’aide occidentale au pays en guerre.
Les premiers narratifs essayaient d’asseoir l’idée dans l’opinion publique française que l’armée ukrainienne compte de nombreux sympathisants nazis parmi ses rangs, en s’appuyant sur l’existence du régiment Azov, qui fut particulièrement dans l’actualité lors de la bataille de Marioupol. En réalité, ce régiment n’est pas représentatif de l’ensemble de l’armée ukrainienne, comme le notait Le Monde en mars 2022.
Non, la France n’a pas envoyé de soldats en Ukraine
Les premiers mois du conflit, alors qu’une forte attention internationale se porte sur les victimes, la Russie essaie également de nier être derrière les attaques qui font des victimes civiles. L’exemple le plus marquant fut probablement celui du massacre de Boutcha, qui a fait l’objet d’enquêtes internationales. L’entreprise américaine Newsguard note que « les fausses affirmations niant les attaques russes bien documentées contre les civils ont diminué au fur et à mesure que l’attention internationale s’est détournée de la guerre ».
Au fil des mois, alors que le conflit se prolongeait, les narratifs évoluaient et visaient directement les actions de la France. Des vidéos ou des photos tentent alors de montrer que des soldats français seraient engagés sur le sol ukrainien, des récits inventés de toute pièce. A ce jour, la France n’a envoyé aucun de ses soldats sur le sol ukrainien.
Des récits qui accusent Volodymyr Zelensky de corruption
Le narratif le plus prégnant est sûrement celui qui s’est installé après plusieurs mois de conflit, visant à saper le soutien des populations occidentales à l’effort de guerre ukrainien. Ces récits accusent les élites ukrainiennes d’être corrompues et de détourner l’aide occidentale. Depuis plusieurs mois, Volodymyr Zelensky et son épouse sont ainsi accusés à tort d’avoir acheté au moins une dizaine de propriétés opulentes à travers le monde, selon un décompte de 20 Minutes.
En 2023 et 2024, un réseau, surnommé Matriochka par Viginum, diffuse des photomontages montrant des graffitis du président ukrainien, grimé soit en mendiant soit en cannibale. Ces graffitis auraient été exécutés dans les rues de Paris, Madrid ou encore Berlin, et seraient le reflet d’une critique dans ces capitales du soutien à l’Ukraine. Certaines de ces publications usurpaient l’identité de médias occidentaux, y compris français, pour laisser penser que ces médias étaient à l’origine de ces publications.
Même les actualités non liées au conflit sont l’occasion de distribuer ces récits : lors des incendies de Los Angeles, une fausse information a été relayée sur X pour laisser penser que de luxueuses villas de généraux ukrainiens seraient parties en flammes dans la ville californienne.
Une portée « relativement limitée »
Trois ans après le début du conflit, quels impacts ces publications numériques ont-elles eus ? La question est délicate à trancher, certaines des données des réseaux sociaux étant manipulables. Des contenus peuvent être amplifiés artificiellement. Dans un rapport publié ce lundi, Viginum, le service gouvernemental français recensant les ingérences étrangères, note que deux de ces campagnes d’influence, surnommées Doppelgänger et Matriochka, ont eu une portée « relativement limitée ». Les causes ? « De nombreuses erreurs techniques commises par leurs opérateurs et la mauvaise qualité des contenus produits. »
Ces campagnes atteignent une plus large audience lorsqu’elles quittent l’écosystème de comptes inauthentiques qui commencent à les promouvoir et sont relayées par des influenceurs, telles cette infox sur le prétendu achat d’une villa sur la Côte d’Azur par Olena Zelenska, l’épouse du président ukrainien, que 20 Minutes avait vérifié ici.
L’objectif de ces campagnes ne serait pas forcément d’atteindre la plus large audience, mais d’inscrire dans le débat public les sujets les plus clivants, comme l’expliquait le chercheur David Coulon à L’Express. Un des acteurs de la campagne Doppelgänger tirerait quant à lui profit des dénonciations de l’opération, écrit Viginum en s’appuyant sur des documents internes de la société russe ASP publiés par un consortium de rédactions européennes. Ces dénonciations « lui permettraient d’exagérer les capacités de sa société à influencer les audiences étrangères, […] et, ce faisant, d’en tirer également des bénéfices financiers et politiques ».