Guerre en Ukraine : Le « Normandie-Niémen », régiment « mythique » franco-russe dont la Russie vole le nom et la mémoire

Dans une déclaration à l’agence de presse russe Tass, relayée par Le Figaro, le président russe Vladimir Poutine a assuré ce mercredi que des « citoyens français combattent sur le front aux côtés de la Russie » au sein d’une unité nommée « Normandie-Niémen ». Se félicitant de l’engagement de citoyens européens dans le combat russe, il ajoute qu’il y a « toujours eu en France des gens qui partagent les valeurs de la Russie », et se félicite que « de tels citoyens existent encore aujourd’hui ».
Pour les spécialistes de la Seconde Guerre mondiale, le nom « Normandie-Niémen » n’est pas anodin. Il fait référence à un contingent de pilotes français envoyé sur le front de l’Est pour combattre les Nazis au côté des Russes. Pour le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense, « l’instrumentalisation par Vladimir Poutine de ce régiment est une honte absolue et une réécriture de l’Histoire ».
Un régiment « mythique » tombé dans l’oubli
A l’origine, le régiment « Normandie-Niémen » est né de l’idée du lieutenant-colonel Luguet, attaché militaire de l’ambassade de France à Moscou, et du capitaine Mirlesse, pilote d’origine russe engagé dans les forces aériennes françaises libres (FAFL). Les deux hommes convainquent le général De Gaulle d’envoyer des pilotes en URSS, pour combattre les Nazis sur tous les fronts.
62 volontaires (dont 14 pilotes) rejoignent Moscou pour se former sur les avions russes, apprendre la langue, et s’adapter au froid polaire du front de l’Est. Ils partagent la vie des Russes et échangent techniques militaires et coutumes. « Il y a une dimension très importante qui est oubliée dans ce régiment, explique le général Pellistrandi. De Gaulle voulait que les militaires représentent la société française dans son ensemble. Vous aviez aussi bien des aristocrates, comme Roland de La Poype, que des communistes des brigades internationales. »
A l’issue de trois campagnes aux côtés des troupes russes pour libérer l’Europe, le « Normandie-Niémen » totalise 273 victoires aériennes officielles et plus de 4.354 heures de vol, faisant de l’escadron une « unité mythique » de la Seconde Guerre mondiale. Toujours actif dans la seconde moitié du XXe siècle, le « Normandy » va être petit à petit abandonné avec la crispation des relations avec la Russie.
« Une instrumentalisation de l’Histoire »
Le nom de ce régiment mythique refait son apparition en 2024 lorsque Sergueï Munier, qui se présente comme un « volontaire français », publie une vidéo sur les réseaux sociaux pour annoncer la « renaissance », du « Normandie-Niémen ». Armé, accompagné de deux soldats masqués, il déroule en plusieurs langues son argumentaire : le gouvernement français doit selon lui rejoindre le camp de la Russie, au nom de ses « valeurs européennes communes » et « contre les Etats-Unis ». Après 10 minutes d’éléments de langage de la propagande russe, le militaire lance un montage macabre de ses exploits militaires sur fond de musique épique. Des vidéos d’attaques de drones par dizaines, visant des soldats de l’armée ukrainienne.
Né à Lougantsk en Ukraine, Munier rejoint la France très jeune avec sa mère, avant de servir plusieurs années dans l’armée française. Il revient en Ukraine en 2014, au moment de l’invasion du Donbass, et intègre les forces russes. Il a d’ailleurs été interrogé à plusieurs reprises par des médias français comme franceinfo ou Le Figaro. Pour le Général Pellistrandi, il ne faut pas se laisser avoir par la propagande russe : « Il n’y a pas de régiment franco-russe actif. Ce sont ici des initiatives personnelles, parfois même par des personnes qui ne sont pas des militaires. »
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Bien qu’il ait repris le nom et les armoiries du régiment, le « Normandie-Niémen » à la sauce Sergueï Munier, ce sont avant tout des drones kamikazes. A partir de 2023, il se forme avec d’autres soldats russes au maniement de ces engins mortels, devenus clés dans la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine. C’est lui qui dirige désormais ce contingent de quelques dizaines de français, souvent militaires de carrière, qui ont rejoint petit à petit les rangs de la Russie. Si ce régiment est négligeable militairement, il est devenu un pion de la propagande russe. En mettant en valeur ces Français ayant basculé dans le camp russe, Vladimir Poutine peut illustrer la soi-disant baisse du soutien occidental à l’Ukraine, un des points centraux du récit russe.