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Guerre en Ukraine : Et si Vladimir Poutine acceptait une trêve pour faire souffler son économie ?

«Ils ne tiendront pas un mois si l’argent s’épuise… » Ce mercredi, Vladimir Poutine a réagi à la proposition de négociations de paix lancée par Volodymyr Zelensky en relevant notamment que l’Ukraine était dépendante de l’aide financière des Occidentaux. Une manière de gonfler un peu plus les muscles dans le bras de fer militaire, diplomatique et économique entre les Russes et le camp Ukraine/Occident. Pourtant, lancée à corps perdu dans le conflit depuis trois ans, l’économie russe est mise à rude épreuve et commence à sérieusement surchauffer… jusqu’à l’explosion ?

Pour bien comprendre la situation économique de la Russie, deux paramètres essentiels sont à prendre en compte. Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie/Eurasie de l’Ifri (Institut français des relations internationales) nous les expose : D’abord, pour le président russe, « les considérations financières, économiques et même les pertes humaines sont insignifiantes à côté de l’intérêt vital pour lui de remporter ce conflit ».

Ensuite, quelles sont les réelles connaissances de la situation économique de son pays qu’a Vladimir Poutine ? « Il voit son économie plus forte qu’elle n’est. Il ne cesse de vanter sa résilience, mais on sait qu’au début de la guerre, il était très mal renseigné. Il est entouré de personnes qui lui disent que tout va bien et que la Russie est forte. »

Une économie florissante en apparence

Et on pourrait le comprendre en jetant un rapide regard sur Moscou « où les terrasses sont pleines, les services sont impeccables et on trouve de tout dans les magasins ». La capitale s’est même permis de s’offrir une nouvelle ligne de métro flambant neuve et moderne, inaugurée par Poutine lui-même en septembre dernier.

Un coup d’œil sur les chiffres du pays semble même confirmer le belliqueux président dans sa démarche : Une croissance qui frôle les 4 % (3,6 % en 2024 d’après les estimations du FMI) malgré les sanctions, un taux de chômage inférieur à 3 %… De quoi rendre envieux nombre de démocraties occidentales.

De la même manière, la plupart des Russes ne ressentent pas d’effets négatifs de la guerre sur leur pouvoir d’achat. « Au contraire même, de nombreuses familles dans des régions reculées perçoivent une rente pour leurs maris ou fils partis à la guerre bien supérieure à ce qu’ils toucheraient comme salaire au pays. Et les primes en cas de mort sont très importantes. Cela crée même une forme d’économie morbide », explique Tatiana Kastouéva-Jean.

Une économie dopée à la guerre

Mais si l’économie russe tient le choc face à un conflit qui s’éternise plus que prévu, c’est qu’elle y est justement dopée. En effet, 40 % du budget de l’Etat est consacré à l’industrie militaire. Une manne qui explique les bons chiffres précédents mais qui n’est pas sans conséquences pour le reste de l’économie.

Tout d’abord, cette stratégie mobilise une très grande partie de la main-d’œuvre vers ce secteur, pénalisant de fait les autres. « C’est d’autant plus vrai que depuis les attentats de Moscou, des lois ont été promulguées pour limiter l’immigration qui était nécessaire au pays, surtout au secteur de la construction », explique Carole Grimaud, spécialiste de la Russie à l’université Paul-Valéry de Montpellier.

Flambée des salaires et de l’inflation

Aussi, une véritable bataille se livre pour attirer les travailleurs, provoquant une flambée des salaires. Mais cette augmentation des revenus couplée à l’impossibilité de se fournir en matières et produits occidentaux (du fait des sanctions) provoque une inflation extraordinaire. Autour de 8,5 % sur l’année 2024, elle s’est même envolée jusqu’à 14 % sur certaines périodes. « L’Etat compense l’inflation avec des enveloppes distribuées aux personnes âgées qui touchent des petites retraites, ou aux familles nombreuses. Mais combien de temps va-t-il pouvoir le faire ? » s’interroge Carole Grimaud.

Pour juguler cette hausse des prix, Elvira Nabioullina, présidente de la Banque centrale russe, a bien augmenté les taux directeurs afin de maintenir les taux d’intérêt au plus haut, jusqu’à 21 % en fin d’année dernière. Mais cette décision pénalise les entreprises, et notamment les PME qui se voient privées de capacité d’emprunt et donc d’investissement.

Les investissements à l’arrêt

C’est ce point qui inquiète particulièrement les économistes de tous bords en Russie. « Que ce soit dans le privé comme dans le public, la Russie s’est arrêtée. Elle ne se modernise plus », indique Tatiana Kastouéva-Jean qui prend en exemple Russian Railways, l’entreprise qui détient le monopole du ferroviaire dans le pays. « Ils ont coupé leurs programmes d’investissement, notamment sur le Transsibérien et sur la ligne Baïkal-Amour [BAM pour Baïkal Amour Magistral] les deux lignes les plus importantes du pays. À part un minimum de maintenance et l’achat de quelques locomotives, il n’y a plus rien. »

Autre symbole de cet arrêt des dépenses publiques : lors de l’hiver dernier, de nombreuses petites villes autour de Moscou se sont retrouvées privées de chauffage en raison de l’explosion de plusieurs canalisations, dans des régions où les températures peuvent descendre à – 30 °C. « Les élites économiques du pays sont assez catastrophistes et prédisent des faillites en série dans le pays en 2025 », ajoute Tatiana Kastouéva-Jean qui décrit la Russie comme un château de cartes qui tient, mais ne demande qu’à s’écrouler.

L’avenir de la Russie en jeu

« L’économie russe est une économie de rente qui vit sur ses matières premières à faible valeur ajoutée, même son pétrole est raffiné en Inde, qu’arrivera-t-il si le prix du baril baisse ? », interroge la chercheuse. Même les exportations de céréales pourraient chuter de près de 30 % en 2025.

« Les économistes s’accordent pour dire que la Russie peut tenir encore un, deux, peut-être trois ans. Mais selon les dynamiques à venir [décisions de Trump, situations économiques en UE, prix des matières premières, etc.] qu’en sera-t-il dans cinq ans ? Cette guerre est une course à celui qui va s’effondrer le premier et Poutine est persuadé, avec sa croissance supérieure à celle des Occidentaux, qu’il va gagner. Mais dans un sens comme dans l’autre, il a entaillé de manière significative l’avenir de la Russie et prend même le risque de le voir s’effondrer. »