International

Guerre en Ukraine : “Avec l’accord sur les armes nucléaires en Biélorussie, Poutine a obtenu la castration définitive de Loukachenko”

Samedi dernier encore, le président russe Vladimir Poutine a affirmé que Moscou allait déployer des armes nucléaires “tactiques” sur le territoire de son allié, le Bélarus. Un pays qui partage ses frontières avec l’Ukraine, la Pologne et la Lituanie, aux portes de l’Union européenne donc.

Le secrétaire du Conseil de sécurité ukrainien, Oleksiï Danilov, a directement accusé le Kremlin de prendre le Bélarus comme “otage nucléaire” et estimé que c’était un “pas vers la déstabilisation interne du pays”.

Selon Vladimir Poutine, il n’y a rien d’inhabituel. “Les États-Unis font cela depuis des décennies. Ils déploient depuis longtemps leurs armes nucléaires tactiques sur le territoire de leurs alliés”, a dit le président dans une interview accordée à la télévision russe. “Nous avons convenu de faire de même.”

Les États-Unis ont réagi. John Kirby, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de l’exécutif américain a déclaré dimanche soir que les États-Unis n’avaient “aucune indication” que la Russie ait transféré des armes nucléaires au Bélarus, ni même que le président Vladimir Poutine ait l’intention de recourir à l’arme nucléaire en Ukraine.

Des armes nucléaires “tactiques” à la frontière de l’Union européenne : qu’est-ce que cela signifie ? Et peuvent-elles avoir une influence sur la suite du conflit ? Nicolas Gosset, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD), fait le point.

Ces armes nucléaires tactiques n’ont rien “d’inhabituel”, selon Poutine. De quoi s’agit-il exactement ?

Pour le moment, il y a un accord politique pour réinstaller de manière permanente des armes nucléaires russes – on ne sait pas lesquelles ni dans quelle quantité – en Biélorussie. Mais le dépôt d’armes nucléaires russes en Biélorussie, c’est un sujet qui est dans l’air depuis des mois. Les Russes avaient déjà rééquipé deux bases militaires dans l’est et dans le sud de la Biélorussie où ils ont des missiles Iskander (des missiles de moyenne portée régulièrement utilisés en Ukraine qui peuvent potentiellement porter des charges nucléaires) depuis un moment.

Ils avaient donc déjà des missiles, et là, ils vont entreposer dans des silos des armes nucléaires. Les analystes américains et le Pentagone insistent toutefois pour dire que ce n’est pas encore fait et affirment à tue-tête depuis deux jours qu’ils n’ont vu aucun changement qui les pousserait à modifier leur propre position nucléaire.

Une installation d’armes nucléaires russes en Biélorussie serait-elle légale ? Les États-Unis font-ils vraiment pareil ?

Tout à fait. La Biélorussie est sortie du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) lors du référendum constitutionnel biélorusse de 2022. C’est une décision entre États. S’il y a un accord politique entre Minsk et Moscou, c’est légal.

Quand Poutine dit que les États-Unis agissent de la même manière dans les États européens, sur le fond, il a raison. Mais il y a encore une question que je me pose et c’est peut-être la différence entre les deux positions. Est-ce que Moscou pourra utiliser ces armes sans même concerter Loukachenko ? J’en doute, mais Poutine semble affirmer que la Russie est la seule détentrice de la décision de l’emploi de ces armes. Je dois encore vérifier mais ça m’étonnerait que les États-Unis puissent utiliser ses armes sur le sol européen sans même consulter les États. Ça pourrait être une différence entre ces armes russes et américaines.

Avec cet accord politique, quelle est l’intention de Vladimir Poutine ?

Consolider sa posture nucléaire et rigidifier encore plus le conflit est/ouest. Poutine est dans une sorte de prophétie autoréalisatrice de retour aux années de la guerre froide, au minimum. Il estime que tout ce qui s’est passé depuis 1991 est un cauchemar pour la Russie. Il est occupé à réinstaller la situation qui prévalait avant la dissolution de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Quand il y avait des armes nucléaires soviétiques sur le territoire de la Biélorussie.

Dans la logique de confrontation est/ouest, on retourne à une situation similaire à la crise des euromissiles.

« La sécurité de l’Europe dépend de la Moldavie »

Qu’est-ce que ces armes nucléaires “tactiques” impliquent pour la suite de la guerre en Ukraine et les stratégies militaires ?

Fondamentalement, ça ne change rien sur la guerre en Ukraine. Est-ce que ça accroît le risque d’une attaque nucléaire russe ? Non.

Ça a un impact à long terme sur la position stratégique de l’ouest vis-à-vis de la Russie. De facto, ça rapproche les ogives nucléaires de la frontière otanienne et européenne. Ça peut donc conduire à un renforcement de la “posture Otan”. Cependant, pour le moment, c’est une position politique qui a été prise et les Russes nous habituent à prendre des décisions politiques fortes, sans effet immédiat derrière. La sortie du traité international New Start le 21 février en est un exemple.

Derrière cet accord, il y a surtout un jeu de politique interne entre Loukachenko et Poutine. Le président russe a obtenu la castration ferme et définitive de Loukachenko. Ce dernier résistait à l’invasion de ses troupes en Ukraine, du coup il y a probablement dû céder un deal sur l’installation d’armes nucléaires sur son territoire. Ce qui n’est vraiment pas impossible vu l’état de dépendance politique et économique de Loukachenko à la Russie. Il est pieds et mains liés. Plus qu’il ne l’a jamais été.

Faut-il imposer des sanctions supplémentaires à la Biélorussie ? Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a averti dimanche que l’Union était “prête” à adopter de nouvelles sanctions contre le Bélarus si ce pays déployait des armes nucléaires russes sur son territoire.

Je reste convaincu que dans l’arsenal dont l’Europe dispose – qui est tout de même limité -, les sanctions [économiques] restent le moyen de pression le plus efficace que nous ayons. Les mots de Borrell sont intéressants. Il dit bien “si” il y a dépôt de ces armes, donc nous n’en sommes pas encore là. Il faudra analyser la situation en temps voulu.

Les sanctions sur la Biélorussie sont déjà très fortes, parce qu’elles sont dues à une double cause. Il y a des sanctions pour le soutien direct à l’armée à russe dans l’invasion de l’Ukraine : passage de troupes, tirs de missiles, mises à disposition de casernes, etc. Des sanctions qui sont venues se superposer à celles qui ont été décidées après l’échec de la révolution biélorusse. S’il y a de nouvelles sanctions, elles ne seront pas très différentes de celles qui existent déjà. Elles intensifieront probablement les précédentes.