International

Guerre civile au Soudan : Femmes et enfants en détresse, l’IA exploitée.

La vidéo montrant une femme ligotée et forcée de courir a été générée avec l’aide de l’intelligence artificielle et n’a jamais eu lieu. Selon les Nations Unies, la guerre civile au Soudan a déplacé 12,4 millions de personnes, et 15 millions d’enfants ont besoin d’aide humanitaire.

La souffrance et la détresse sont visibles sur son visage. La vidéo de cette femme ligotée, contrainte de courir aux côtés d’une voiture et maintenue par un homme en uniforme militaire, a touché des millions d’internautes. Partout, elle est décrite comme celle d’une femme victime de la guerre civile qui sévit au Soudan, où de nombreuses atrocités ont été documentées.

Cette vidéo, montrant une femme ligotée et forcée de courir, a été générée avec l'aide de l'intelligence artificielle. Des détails, tels que les pieds de la femme ou le rétroviseur de la voiture, le montrent.
Cette vidéo, montrant une femme ligotée et forcée de courir, a été générée avec l’aide de l’intelligence artificielle. Des détails, tels que les pieds de la femme ou le rétroviseur de la voiture, le montrent. - Capture d’écran TikTok

Cependant, cette scène n’a jamais eu lieu. Elle a été élaborée grâce à un outil d’intelligence artificielle. Depuis fin octobre, alors que des vidéos authentiques émergeaient montrant des exactions commises sur des civils tentant de fuir la ville d’El-Fasher, les réseaux sociaux, tels que TikTok, Instagram ou X, sont envahis par ces vidéos censées montrer des victimes du conflit opposant l’armée régulière des Forces armées soudanaises (FAS) aux Forces de soutien rapide (FSR).

Parmi ces vidéos, plusieurs « tendances » se distinguent. Les plus répandues mettent en avant des femmes et des enfants en détresse, pleurant et implorant de l’aide. D’autres semblent dénoncer l’influence des Émirats arabes unis dans le conflit, en présentant des hommes vêtus de la dishdasha, le vêtement traditionnel du pays, assis à une table bien garnie et lançant les restes à des Soudanais en guenilles à leurs pieds.

Les déformations sur les pieds des mains et de l'enfant trahissent l'usage de l'intelligence artificielle.
Les déformations sur les pieds des mains et de l’enfant trahissent l’usage de l’intelligence artificielle. - Capture d’écran TikTok

Des instructions pour générer des images

20 Minutes a identifié deux créateurs de ces vidéos. Aucun ne réside au Soudan. L’un se trouve en Arabie saoudite, tandis que l’autre est en Asie du Sud-Est. Pourquoi ont-ils commencé à publier de tels contenus ? Contactés, ils n’ont pas répondu à nos sollicitations au moment de la parution de cet article.

Le premier internaute semble s’intéresser à la création numérique. Avant d’utiliser Gemini, l’outil de génération d’images de Google, pour produire ces fausses vidéos de victimes, il publiait déjà sur son compte TikTok les instructions qu’il donnait à l’outil pour générer d’autres images. Le second encourage ses abonnés, dans d’autres vidéos beaucoup moins regardées que celles relatives au Soudan, à le soutenir dans le programme partenaire de TikTok.

La désinformation, arme dans le conflit

Ce flot de vidéos, présentes sur les principaux réseaux sociaux, de Facebook à X, risque d’accroître la désinformation déjà existante concernant le conflit. Un autre danger, comme le souligne l’enquêteur en données numériques Benjamin Strick sur X, est de compliquer le travail d’enquête sur les exactions. « Malheureusement, sur certaines plateformes, ce contenu détourne les hashtags que beaucoup d’entre nous utilisons pour rechercher et enquêter sur les questions relatives aux droits humains, et remplit le contenu de fausses vidéos tout en noyant les vidéos réelles de ceux qui ont fui ou les images des violations », explique-t-il.

Selon les Nations Unies, la guerre civile au Soudan a provoqué le déplacement de 12,4 millions de personnes. Quinze millions d’enfants ont besoin d’aide humanitaire et la faim s’installe durablement dans le pays, 45 % de la population manquant de nourriture. Dans le sud du pays, l’insécurité alimentaire et la malnutrition restent à des niveaux élevés, en raison du conflit et des inondations.

Une proposition de trêve

Ce mardi, l’émissaire du président américain pour l’Afrique, Massad Boulos, a appelé les deux parties du conflit à accepter une proposition de trêve. Cette proposition, présentée récemment au nom des pays médiateurs (États-Unis, Émirats arabes unis, Arabie saoudite et Égypte) et dont les détails n’ont pas été divulgués, a été qualifiée d’« inacceptable » par le général de l’armée soudanaise, Abdel Fattah al-Burhane.

Son opposant et ancien bras droit, le chef des FSR, Mohamed Hamdane Daglo, a de son côté annoncé lundi une trêve humanitaire unilatérale de trois mois. Au cours des deux dernières années, les parties belligérantes au Soudan ont violé tous les accords de cessez-le-feu, entraînant l’échec des efforts de négociation.

Retrouvez tous nos articles de fact-checking directement sur Whatsapp : https://whatsapp.com/channel/0029VaMIW3lHrDZnCQn2RO13