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Guerre à Gaza : Les juifs américains ne tournent-ils pas le dos à Israël ?

Les pourparlers de Charm el-Cheikh, en Egypte, ont abouti dans la nuit de mercredi à jeudi à un accord fragile, soutenu par le président des Etats-Unis, Donald Trump. Un sondage paru lundi dans le Washington Post révèle que 61 % des juifs américains interrogés estiment qu’Israël a commis des crimes de guerre à Gaza et 39 % un génocide.


En Israël et à Gaza, la tension est palpable. Les négociations de Charm el-Cheikh, en Égypte, ont abouti dans la nuit de mercredi à jeudi à un accord fragile, soutenu par le président des États-Unis, Donald Trump. Cet accord prévoit la libération des otages, enlevés lors des violentes attaques du 7 octobre, ainsi qu’un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, où des dizaines de milliers de civils ont perdu la vie dans la réponse israélienne.

À travers le monde et particulièrement aux États-Unis, où réside la plus grande diaspora juive mondiale, les Juifs sont attentifs à cet accord. Les crimes commis par le Hamas, suivis de la riposte israélienne d’une violence inouïe, ont plongé toute la communauté dans l’horreur et la malaise.

Face à des situations dramatiques dont ils sont également des témoins impuissants, les Juifs américains ont progressivement évolué dans leur perception des événements qui secouent le Proche-Orient. Selon un sondage publié lundi par le Washington Post, 61 % des Juifs américains interrogés estiment qu’Israël a commis des crimes de guerre à Gaza, et 39 % évoquent un génocide. Le journal américain parle de « rupture historique », mais l’historien Marc Knobel souligne que ce sondage n’est qu’une « photographie partielle et non définitive d’une réalité mouvante et liée à une actualité particulièrement intense ».

Une fracture entre démocrates et républicains

Entre les données critiques envers le gouvernement de Benyamin Netanyahou, Marc Knobel relève une « fracture profonde au sein de la communauté juive américaine », surtout sur le plan politique. Ainsi, 85 % des Juifs républicains approuvent l’action militaire israélienne à Gaza, contre seulement 31 % des démocrates. Notons que « la population juive américaine vote majoritairement à gauche. Lors des élections de 2024, 71 % des Juifs américains ont soutenu Kamala Harris [dans les États clés] », rappelle Laura Hobson Faure, professeure d’histoire contemporaine à l’université Paris-1-Panthéon-Sorbonne.

Elle ajoute : « Puisque la gauche est plus critique envers le gouvernement de Netanyahou, surtout en ce moment, il est normal que les Juifs américains adoptent une attitude critique envers Israël ». Le sénateur Bernie Sanders, un indépendant de gauche et lui-même de confession juive, a qualifié mi-septembre les actions de Tel-Aviv à Gaza de « génocide ». Que ce soit des républicains ou des démocrates, les Juifs interrogés ne remettent pas en cause l’existence de l’État d’Israël, mais mettent en question les politiques menées. Plus de trois quarts des sondés estiment que son existence est vitale pour l’avenir du peuple juif, surtout face à la montée des actes antisémites à travers le monde.

Une véritable fracture générationnelle

Longtemps avant les attaques du 7 octobre et la guerre à Gaza, les Juifs des États-Unis exprimaient majoritairement des critiques à l’égard de la politique israélienne. « Une grande partie des Juifs américains soutient l’État d’Israël dans ses frontières reconnues en 1948 tout en critiquant l’occupation israélienne de la Cisjordanie », explique Laura Hobson Faure. La violence du conflit a amplifié ces critiques, faisant ressortir une fracture générationnelle au sein de la diaspora juive américaine : 50 % des jeunes de 18 à 34 ans estiment qu’Israël a commis un génocide à Gaza, contre seulement 30 % chez les plus âgés.

Marc Knobel note que « les plus de 65 ans sont probablement plus marqués par la Shoah que les plus jeunes, leurs parents ayant parfois été déportés ». La polarisation politique américaine accentue également les clivages, rendant la droite plus conservatrice et la gauche plus progressiste. La droite est souvent représentée par les générations plus âgées, tandis que la gauche attire les plus jeunes.

Un écœurement progressif

Le Washington Post souligne que de nombreux interviewés expriment un écœurement croissant. Bien qu’ils aient soutenu le droit d’Israël à se défendre après les attaques du Hamas, l’accumulation de rapports signalant des crimes de guerre et des atrocités a provoqué leur indignation envers les actions de Tel Aviv. Julia Seidman, 42 ans, affirme que les attaques du 7 octobre ne « justifient en rien ce qui se passe aujourd’hui ». Dans le journal, cette écrivaine résidant à Issaquah, dans l’État de Washington, se dit « écœurée » par « l’ampleur des souffrances humaines ».

Laura Hobson Faure rappelle que les tensions liées aux actions d’Israël et aux conflits entourant son histoire sont anciennes. « Aux États-Unis, le lobby pro-israélien AIPAC soutient la politique d’Israël quel que soit le gouvernement depuis 1963. À l’inverse, J Street, fondé en 2007, prône une vision pro-israélienne et une solution à deux États qui critique davantage le gouvernement actuel. » Certains Juifs sont même antisionistes et s’opposent à l’existence d’Israël.

La diaspora juive, tant en Amérique qu’en France, est diverse. « Être juif ne signifie pas faire partie d’un troupeau de moutons où chacun bêle en chœur : chacun a son histoire et sa part de vérité », rappelle Marc Knobel. Si les pro-israéliens les plus convaincus ne sont pas près de tourner le dos à Tel Aviv, une partie des Juifs américains, notamment les jeunes, semble adopter un regard de plus en plus critique sur cet État refuge.