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Etats-Unis : Une journaliste française moquée par une députée, la presse étrangère en difficulté sous Trump

«Et on en parle de l’accent de cette journaliste ? Je pense qu’on doit se débarrasser de toute la presse étrangère ! Les médias américains avant tout ! » Ce tweet de Marjorie Taylor Greene, députée trumpiste à la Chambre des représentants, vise directement Sonia Dridi, correspondante française à la Maison-Blanche.

Tout est parti d’un point presse au cours duquel la journaliste interrogeait l’administration sur la gestion des effectifs fédéraux après le crash aérien de l’aéroport de Washington. Son échange avec la porte-parole Karoline Leavitt fait rapidement le tour des médias américains, au point d’attirer l’attention de l’élue trumpiste. En quelques heures, la polémique enfle : la presse française se mobilise, des journalistes américains apportent leur soutien à la correspondante et dénoncent une attaque injustifiée, tandis que Sonia Dridi découvre l’affaire par le message d’une collègue.

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Une Maison-Blanche qui brise les codes

Dès les premières semaines du second mandat de Donald Trump, un changement radical s’opère dans la salle de presse de la Maison-Blanche. D’emblée, la nouvelle porte-parole Karoline Leavitt, annonce une refonte des accréditations, et ouvre la porte à de nouveaux acteurs médiatiques. Contactée par 20 Minutes, Sonia Dridi explique : « Je m’attendais à ce que cette salle de presse change de visage. Et là, oui c’est clairement le cas. Dès le premier point presse, la porte-parole nous a dit : ‘On va ouvrir aux podcasteurs, aux influenceurs.’ Je ne pensais pas que ça allait être énoncé aussi clairement. »

Le résultat est saisissant. Des figures issues de médias ultra-conservateurs comme One America News ou du podcast de Steve Bannon occupent désormais les premiers rangs. Et certains posent des questions d’une complaisance flagrante. « Il y a même le petit ami de Marjorie Taylor Greene, un membre de One America Network, qui était là. Son intervention ? ‘Vous êtes magnifique aujourd’hui, merci de tenir ce point presse.’ »

L’émergence d’un média d’État officieux

Avec l’arrivée de nouveaux médias alignés sur la ligne politique de l’administration, un phénomène de média d’État officieux semble s’installer. « J’avais l’impression d’être dans un régime autoritaire avec des médias d’État et des médias de propagande. Là, ce sont des supporters MAGA. Ils ne posent pas de questions, ils offrent des tribunes. »

Les interventions ne visent plus à confronter l’administration aux faits, mais à amplifier son message. « À côté de ça, le correspondant de Fox News paraissait totalement objectif. » Dans ce climat, les médias jugés trop critiques envers l’administration Trump 2.0 risquent l’isolement, au profit de ces nouveaux relais du discours officiel.

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Les médias traditionnels mis à l’écart

Ce réalignement médiatique ne se limite pas à la Maison-Blanche. Au Pentagone, plusieurs grands médias ont récemment perdu leur accès permanent. Le New York Times et NBC News se voient par exemple imposer une rotation, une décision qui inquiète de nombreux journalistes. « C’est un mauvais signe. Pour l’instant, on n’a pas de signaux qui nous montrent que la place des journalistes étrangers à la Maison-Blanche serait menacée, mais on s’en inquiète tous fortement. Déjà, on a vu que la porte-parole ne prenait pas automatiquement des questions du journaliste du pool étranger [NDLR comme cela était la tradition avec les autres administrations] et Karoline Leavitt a bien dit qu’il fallait faire plus de place pour d’autres médias. On ne sait pas à quoi s’attendre. »

Une politique qui traduit une volonté plus large de remodeler la couverture médiatique. « Il ne s’agit plus seulement de favoriser certains médias conservateurs. Là, on parle de l’entrée de médias ultra-droite complotistes. Ce ne sont pas des journalistes, ce sont des militants. »

Connue pour ses prises de position ultra-conservatrices et ses sorties médiatiques polémiques, Marjorie Taylor Greene (ici lors de l'inauguration du Président Trump en janvier dernier) est une figure influente du mouvement MAGA et une fervente alliée de Donald Trump.
Connue pour ses prises de position ultra-conservatrices et ses sorties médiatiques polémiques, Marjorie Taylor Greene (ici lors de l’inauguration du Président Trump en janvier dernier) est une figure influente du mouvement MAGA et une fervente alliée de Donald Trump. - Chip Somodevilla

Une liberté de la presse en péril ?

Si l’administration ne s’attaque pas – encore – directement aux journalistes étrangers, la montée en puissance des influenceurs pro-MAGA et l’exclusion progressive des médias critiques interrogent sur l’avenir du journalisme politique aux États-Unis. « J’ai l’impression de vivre dans un théâtre de l’absurde. On pousse les fonctionnaires à partir, on ferme USAID, Elon Musk dit que c’est une entreprise criminelle… Tout devient surréaliste. »

Malgré tout, Sonia Dridi reste déterminée à poursuivre son travail. « Je n’ai pas été particulièrement choquée venant de Marjorie Taylor Greene, mais je dois bien avouer que c’est toujours surprenant d’être la cible d’une élue avec autant de followers radicaux. »

Sonia Dridi (ici devant le Capitole à Washington DC) est membre de l'association des correspondants étrangers de la Maison-Blanche.
Sonia Dridi (ici devant le Capitole à Washington DC) est membre de l’association des correspondants étrangers de la Maison-Blanche. - Archives Personnelles

Une vague de soutiens de part et d’autre de l’Atlantique

L’incident a provoqué une vague de soutiens en France comme aux États-Unis. « J’ai reçu pas mal de messages de journalistes américains qui m’ont dit : ‘Ce n’est pas l’accent, c’est la question qui l’a dérangée.’ » explique-t-elle. « Et je pense que c’est vrai. C’est la réponse de la porte-parole qui a vraiment fait le buzz. Plusieurs chaînes d’information américaines l’ont d’ailleurs reprise avec ma question. Donc si ma question était si incompréhensible, ils ne l’auraient pas gardée. »

La réponse ? On peut dire qu’elle a fait mouche. « Quand vous prenez l’avion avec votre famille, vous priez pour atterrir en sécurité, ou vous priez pour connaître la couleur de peau du pilote ? » rétorque Karoline Leavitt. Une phrase qui a fait le buzz et a attiré l’attention… de Marjorie Taylor Greene. C’est après avoir vu cette séquence que l’élue a décidé de s’en prendre non pas à la réponse de Leavitt, mais à l’accent de la journaliste.

La porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, informe les médias lors d’un point presse. Elle a répondu aux questions sur le crash aérien, les initiatives DEI (diversité, équité et inclusion) et d'éventuelles hausses de tarifs.
La porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, informe les médias lors d’un point presse. Elle a répondu aux questions sur le crash aérien, les initiatives DEI (diversité, équité et inclusion) et d’éventuelles hausses de tarifs. - Andrew Leyden

Et l’accent de la First Lady ?

L’ironie de la situation n’a échappé à personne. Sur les réseaux sociaux, certains ont rappelé que Greene elle-même a un accent sudiste très marqué. D’autres ont rappelé l’accent de la First Lady. « Je crois que pas mal d’Américains ont pensé : ‘Attendez, et l’accent de Melania ?’ » s’amuse Sonia Dridi.

Certains supporters de Trump eux-mêmes ont trouvé la sortie de Greene exagérée. « Il y a quand même des Trumpistes qui se désolidarisent. Certains ont même répondu sous son tweet : ‘Là, c’est trop loin, je me désabonne.’ »