Etats-Unis : La marche arrière de Donald Trump sur la corruption est « un séisme dramatique »
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Ils étaient les pionniers en matière de lutte contre la corruption, les Etats-Unis sont tombées très bas dans le tableau. Parmi les dernières frasques de Donald Trump, l’une est passée un peu inaperçue à l’ombre de son ambition de faire de la bande de Gaza la prochaine « Riviera » ou son empressement à discuter avec Vladimir Poutine sur le sort de l’Ukraine.
Le président américain a signé un décret mardi 11 février mettant fin à l’application de la loi anticorruption, le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). Un « séisme dramatique », s’alarme Elsa Foucraut, enseignante à Sciences po Paris et spécialiste de la lutte contre la corruption.
A quoi servait cette loi ?
Datant de 1977, c’était la première loi au monde à sévir dans la lutte contre la corruption en interdisant aux entreprises américaines de pratiquer la corruption auprès de dirigeants et de responsables, sur le sol américain mais surtout à l’étranger. Ainsi, une boîte américaine se rendant coupable de tels actes pouvaient être poursuivie et sanctionnée aux Etats-Unis, même si les faits n’avaient pas été commis sur le sol américain.
Cette loi est donc considérée comme « un pilier dans la lutte contre la corruption internationale », d’autant plus qu’elle a été mise en œuvre par « l’acteur le plus puissant au monde pour mener ces enquêtes », souligne Elsa Foucraut. Sa force, c’est justement sa portée extraterritoriale. Le texte a d’ailleurs été un élément fondateur de la convention de l’OCDE contre la corruption entrée en vigueur en 1999, rappelle Blast.
Cette loi américaine novatrice a permis de poursuivre et faire condamner des géants aussi influents que la filiale malaisienne de Goldman Sachs en 2020 ou McKinsey Africa, du cabinet de conseils McKinsey, sommé en décembre dernier de payer plus de 122 millions de dollars en échange de l’arrêt des poursuites. Plus globalement, le texte a permis de mettre le pied du monde à l’étriller pour faire reculer la corruption dans le marché mondial.
Qu’est-ce que ça change concrètement ?
L’impact immédiat, c’est donc la suspension des poursuites et des sanctions contre les entreprises concernées. Les boîtes américaines ont alors les mains libres pour corrompre en toute impunité, ce qui met à mal tous les efforts entrepris depuis près de cinquante ans. D’autres Etats ont des lois anticorruption, comme la France, mais « aucun autre acteur n’a la force de frappe des Etats-Unis, les amendes prononcées par le ministère de la Justice américain pouvaient atteindre plusieurs milliards de dollars, des niveaux que l’on ne retrouve nulle part ailleurs », alerte Elsa Foucraut. « Le FCPA n’a pas d’équivalent ailleurs. »
Concrètement, cela met également un coup de frein à la coopération entre les juridictions américaines avec d’autres Etats. « Quand une condamnation d’une multinationale est prononcée en France, c’est souvent dans le cadre d’une enquête menée en coopération avec le ministère de la Justice américain », souligne encore Elsa Foucraut.
L’autre risque, c’est que toute la loi soit finalement suspendue alors que pour le moment, le décret s’attaque uniquement à l’application de la loi. Donald Trump a en effet déjà évoqué l’abolition du FCPA, qu’il a qualifié de « loi horrible », rappelle la BBC. Selon l’organisme de surveillance anticorruption Transparency International, le décret de Donald Trump « diminue – et pourrait ouvrir la voie à son élimination complète – le joyau de la couronne dans la lutte des États-Unis contre la corruption mondiale ».
Pourquoi c’est une mauvaise nouvelle ?
Donald Trump est persuadé que l’application du FCPA « nuit activement à la compétitivité économique américaine et, par conséquent, à la sécurité nationale », jugeant le texte « bien sur le papier » mais « un désastre » en pratique. Pourtant, l’abolir « est une idée horrible dont les entreprises américaines ne veulent pas », estime sur X Richard Nephew, chercheur à l’université Columbia à New York et ancien coordinateur de la lutte anticorruption au département d’Etat.
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« La corruption est un facteur d’instabilité du système économique mondial et l’idée que la lutte contre la corruption empêche de faire des profits est fausse », martèle Elsa Foucraut. Cette suspension est donc « dramatique sur le plan légal et sur les plans symbolique et politique, car le discours de Donald Trump estimant que la corruption est un frein aux profits, qu’on croyait enterrée, revient en force », s’inquiète l’enseignante.