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Etats-Unis : A la tête de SpaceX et chargé d’amincir la Nasa, Elon Musk en plein conflit d’intérêts ?

La scène était prévue pour passer à la postérité. Elle restera finalement un brouillon. Mardi, Elon Musk et Donald Trump ont assisté, impuissants, à l’échec du rattrapage de la fusée Starship de SpaceX. L’occasion était belle pour le président américain élu et son futur ministre chargé de l’efficacité gouvernementale de lancer un mandat sous le signe de la conquête spatiale, c’est un peu raté.

Mais les ambitions restent, avec un gros point d’interrogation. Toujours patron de SpaceX, Elon Musk va se retrouver à la tête d’un service chargé d’appliquer une cure d’amaigrissement à l’administration fédérale. Administration dont fait partie la Nasa, qui externalise déjà une partie de ses opérations… grâce à SpaceX. Le milliardaire pourrait-il être tenté, d’une manière ou d’une autre, d’orienter son action politique au profit de son entreprise ? 20 Minutes fait le point avec Oliver Sanguy, responsable de l’actualité spatiale à la Cité de l’Espace de Toulouse.

Elon Musk peut-il démanteler la Nasa ?

Au cœur de ses préoccupations de businessman, la Nasa n’a pas de raison d’être la priorité politique du ministre du Doge (nom anglais du ministère de l’efficacité gouvernementale, mais aussi d’une cryptomonnaie qu’il a lancée). « La Nasa ne représente que 0,5 à 0,7 % du budget fédéral, on fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose », nuance Olivier Sanguy. Mais même avec d’autres chantiers à mener, Elon Musk pourrait vouloir profiter d’une « administration Trump qui aura les coudées franches au Congrès pendant deux ans ».

Sauf que « les lois sont quand même là ». Le risque que le patron de SpaceX « se retrouve juge et partie » sur ce dossier est assez clair. La trajectoire d’externalisation des activités de la Nasa n’en sera alors que plus scrutée. « La mission de la Nasa n’est plus de construire ou de lancer des fusées, mais de savoir quoi en faire », explique Olivier Sanguy. De plus en plus, la Nasa se retrouve donc « à appliquer la politique spatiale de la Maison-Blanche », orientée vers la Science et l’exploration.

Le milliardaire pourrait tout de même être tenté de « réduire l’empreinte administrative de la Nasa », auquel cas un conflit d’intérêts serait possible. Mais Olivier Sanguy rappelle un principe majeur à la Nasa : « toujours avoir deux prestataires, au cas où », que ça soit pour les lanceurs ou les scaphandres. Ainsi, « la Nasa fait attention à ne pas trop dépendre de SpaceX, et SpaceX doit son existence aux demandes de prestations de la Nasa ».

SpaceX a-t-il un coup à jouer sur les missions vers la Lune ou Mars ?

Malgré les retards, Artémis, la mission de retour vers la Lune (lancée sous Trump), est bien avancée. Si SpaceX a un rôle à jouer avec le vaisseau Starship, notamment sur le ravitaillement et le module d’alunissage, elle n’est pas seule. « Le lanceur SLS est un lanceur classique de Boeing » et la capsule Orion est équipée par l’ESA. « A l’heure actuelle, les Américains ne vont pas sur la Lune sans les Européens », rassure Oliver Sanguy. Certains s’imaginent déjà que « Starship pourrait tout faire, or il y a des problèmes de sécurité pour la capsule, le Starship habité n’est pas au point », signale le spécialiste de l’actualité spatiale.

Le dossier serait d’ailleurs coûteux politiquement. « La construction du SLS fait vivre plusieurs Etats, c’est un enjeu bipartisan au Sénat », qui pourrait alors se retourner contre Elon Musk. Le milliardaire, plus intéressé par Mars que par la Lune, pourrait-il faire changer tout le programme ? Olivier Sanguy ne croit pas en « une mission habitée sur Mars en quatre ans », et rappelle que « Trump a toujours fait de l’opposition à la Chine un axe fort ». Dans la course à laquelle se livrent les deux pays vers la Lune, il est sans doute trop tard pour changer d’objectif.

FCC, FAA… Elon Musk tenté de sabrer les administrations qui le gênent ?

Plus discrètement, Elon Musk pourrait avantager son entreprise en s’en prenant aux administrations qui le gênent aujourd’hui. La Commission fédérale des communications (FCC) lui refuse régulièrement des subventions pour les satellites Starlink, un système loué par Donald Trump lors de la campagne électorale en Floride. Le milliardaire critique aussi régulièrement la FAA, seule habilitée à autoriser les essais de Starship.

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« Depuis des années, la Federal Aviation Administration (FAA) dit qu’elle n’a pas assez d’employés pour faire face à l’explosion de la demande de lancements spatiaux », souligne Olivier Sanguy. S’il pousse pour une réduction du nombre de fonctionnaires à la FAA, Elon Musk pourrait mettre l’administration en difficulté et, là encore, se retrouver juge et partie. « C’est dans la logique politique libertarienne : de moins en moins d’Etat, et c’est le privé qui assume tout, quitte à ce qu’il y ait des pots cassés », résume Olivier Sanguy.